Cela fait plusieurs fois que je vous parle de Pasteur : l’Homme, sa vie, ses travaux, l’Institut, le musée de Lille et les nombreuses recherches qui y sont déployées (voir ce post sur Alzheimer, ou cet autre sur la consommation des plantes à des fins thérapeutiques). L’Institut de Lille ouvre très régulièrement ses portes, pour des conférences, des expos ou des visites au cœur des laboratoires.
C’est toujours passionnant … Aujourd’hui, je voulais vous parler des débuts de Pasteur et notamment les travaux qui l’ont mené à cerner l’importance de la position des atomes dans l’espace au sein d’une molécule… Bref, de la chimie, pure et dure ! Ces découvertes permettent de comprendre comment une molécule, selon sa disposition spatiale, peut soit avoir des propriétés thérapeutiques soit au contraire des propriétés toxiques. 😮 Voyons comment et quels exemples précis illustrent ce phénomène.
Un nouveau musée, une expo
C’est grâce au tout nouveau musée Pasteur de Lille, que j’ai pu me replonger sur ce sujet. Ouvert en septembre 2017, ce nouveau musée a pris ses quartiers dans les anciens appartements d’Albert Calmette et c’est splendide ! Une ambiance calme et feutrée avec peu de lumière mais qui invite à se pencher sur les portraits, les objets (microscopes, ballons, verrerie, pipettes…), les livres, les notes personnelles, les expériences reconstituées : un bel hommage aux travaux de ces grands hommes que furent Louis Pasteur et Albert Calmette.
Bref, ce bel écrin met en lumière les premiers travaux de Pasteur sur la cristallographie. Une expérience permet même de jouer avec la lumière pour montrer que la conformation spatiale des cristaux influe sur celle-ci : notamment son plan de polarisation.
Amis Parisiens ou touristes de passage, si vous voulez en savoir plus sur les expériences liées à ce sujet, je recommande la riche exposition dédiée à Pasteur au Palais de la Découverte. Elle s’intitule « Pasteur l’expérimentateur », visible jusqu’au 19 Août 2018 et aborde toutes les thématiques sur lesquelles il a travaillé (lien).
Comment ça marche ?
Je vous en avais parlé en détail dans ce précédent article mais j’aimerais revenir sur ces découvertes car elles impliquent beaucoup de challenges pour la synthèse de molécules actives à des fins thérapeutiques.
Petit résumé : Âgé seulement d’une vingtaine d’années, Pasteur s’intéresse aux dépôts blanchâtres présents à l’intérieur des tonneaux de vin ou sur des bouchons de bouteilles : des cristaux issus de l’acide tartrique et qui affectent (pas forcément dans le bon sens) le goût du vin.
Grâce à ses nombreuses observations au microscope, Louis Pasteur se rend compte qu’il y a deux types de cristaux, pourtant identiques chimiquement (les mêmes atomes les composent). Certains cristaux modifient le plan de polarisation de la lumière, et d’autres non. Pourquoi ? Tout simplement parce que leurs facettes ne sont pas disposées de la même façon.
Deux composés de même nature chimique (à base d’une molécule asymétrique) peuvent cristalliser de façon légèrement différente, selon l’environnement : cela joue sur la configuration des atomes dans l’espace. La molécule qui ne possède aucun plan de symétrie est dite chirale : elle n’est pas superposable à sa propre image dans un miroir.
Les deux possibilités pour la conformation spatiale des atomes ont été baptisées énantiomères : l’une des molécules est dite lévogyre (fait tourner le plan de polarisation à gauche), tandis que l’autre est dextrogyre.
L’exemple le plus classique pour se représenter cet aspect, ce sont nos mains. Elles sont identiques mais pas tout à fait : images l’une de l’autre dans un miroir, elles ne sont pourtant pas interchangeables, ni superposables.
Mis à part leur pouvoir rotatoire différent, on peut se demander si d’autres propriétés les distinguent ?
Leurs propriétés physiques sont identiques (point d’ébullition, solubilité…), mais lorsqu’elle doivent se lier à un substrat, à un site spécifique, on comprend bien que la position des atomes dans l’espace puisse être primordiale. Essayez donc de serrer la main droite de quelqu’un de la main gauche : ça ne s’ »emboîte » pas !
En biochimie par exemple, les enzymes, ces protéines qui « déclenchent » des réactions ou en inhibent d’autres, se lient à un substrat. Leur organisation spatiale est donc tout à fait capitale.
Qu’en est-il dans le vivant ?
Au sein du vivant, on trouve bien sûr ce type de molécules asymétriques et pas qu’un peu : les acides aminés constituant les protéines sont des molécules chirales ou encore les glucides ou acides nucléiques. Citons l’exemple de l’alanine, un acide aminé qu’on retrouve chez tous les êtres vivants.
On pourrait donc s’attendre à voir apparaître les deux énantiomères élaborés lors de leur biosynthèse. Et bien non, il s’avère que les molécules chirales produites au sein d’organismes vivants ne sont que dans une seule configuration spatiale : un seul énantiomère est fabriqué : la vie est « énantiosélective ».
On peut s’interroger sur ce résultat qui, hors vivant, au sein des laboratoires, n’est pas la norme. Les synthèses organiques et minérales font bel et bien apparaître les deux types de molécules, pas forcément dans des proportions identiques. Pourquoi la nature favorise-t-elle un seul des deux énantiomères ? En fait, s’il en était autrement, nous ne serions peut-être pas là pour en parler.
En effet, au sein du vivant, les sucres de l’ADN sont dextrogyres et les acides aminés lévogyres, ils sont donc synthétisés de façon non symétrique : c’est primordial pour la reconnaissance moléculaire et les processus de réplication.
Mais finalement, le mystère n’est pas encore tranché dans la communauté scientifique et plusieurs théories sont proposées pour expliquer cette orientation préférentielle.
Il semble que Pasteur qui avait bien noté cette différence, avait mis là le doigt en 1848 sur quelque chose de fondamental puisque c’est une façon, pour lui, de distinguer le vivant du non-vivant.
Les applications dans le domaine de la chimie de synthèse.
Mais alors comment s’assurer qu’une industrie fabrique le bon énantiomère ? C’est bien là toute la difficulté et plusieurs exemples désastreux ont montré d’une part que la chose n’est pas si aisée et d’autre part, que les conséquences d’une synthèse en faveur d’une molécule mal orientée sont terribles.
Le médicament Thalidomide (prescrit comme sédatif ou contre les nausées de la grossesse) a permis, malheureusement trop tard, une prise de conscience de l’importance de la chiralité. La molécule active possède un carbone asymétrique et donc deux énantiomères : l’un va remplir sa fonction d’anti-nauséeux (ou sédatif), l’autre est malheureusement tératogène (provoque des malformations lors du développement fetal).
Pour qu’une molécule chirale puisse servir de médicament, il convient donc de s’assurer de deux conditions :
– qu’au sein du medicament, seul le « bon » énantiomère soit présent,
– qu’une fois le médicament ingéré, il n’y ait pas transformation vers la mauvaise configuration.
C’est ce 2e cas de figure qui a conduit le Thalidomide à de nombreuses malformations chez les enfants des mères ayant consommé le médicament.
Plusieurs études ont permis de comprendre les mécanismes expliquant cet effet tératogène et même si tout n’est pas encore totalement élucidé, il semble que le mauvais énantiomère inhibe l’angiogenèse. Ainsi les cellules qui constituent les membres des fœtus en formation ne sont pas suffisamment alimentés en nutriments et oxygène et meurent ! (Pour en savoir plus sur cette histoire, je vous invite à visionner cette vidéo de Climen)
Alors comment optimiser et ne pas produire d’énantiomères aux propriétés biochimiques délétères ?
En 2001, un prix Nobel de Chimie a été partagé entre William Knowles, Noyori Ryoji et Karl Barry Sharpless qui ont travaillé sur la synthèse de molécules chirales. Ils ont trouvé un concept permettant d’obtenir le « bon » énantiomère plus facilement et cela repose, en partie, sur l’utilisation de catalyseurs « chiraux » eux-aussi qui permettent justement « d’orienter » les réactions pour obtenir les molécules intéressantes !
Références
Blackmond, « The Origin of Biological Homochirality », Cold Spring Harb Perspect Biol. 2010 May; 2(5): a002147.
Mori T. et al., « Structural basis of thalidomide enantiomer binding to cereblon », Scientific Reports volume 8, Article number: 1294(2018)
Le prix Nobel de 2001 pour les travaux de William Knowles, Noyori Ryoji et Karl Barry Sharpless, ICI