Dans mon précédent post, j’évoquais toute l’importance de la conformation spatiale d’une molécule sur ses propriétés et donc sur l’action qu’elle peut avoir sur son environnement. En fait, pouvoir orienter spécifiquement selon les besoins, la façon dont une molécule s’organise dans l’espace pourrait même jouer un rôle dans le domaine des plastiques afin d’augmenter leur recyclabilité. Voici les résultats de travaux de recherche publiés très récemment dans la revue Science.
Le problème des plastiques et de l’utilisation massive qu’on en fait, est sérieux. Nous en avons déjà parlé plusieurs fois sur ce blog.
La problématique est double :
– sa production s’appuie sur le pétrole (dont la fin est proche),
– sa fin de vie produit une montagne de déchets dont les impacts sont désastreux pour la biodiversité (la faune en ingère, les coraux en souffrent), et la pollution des eaux.
Alors, à notre échelle de citoyen consommateur, on cherche des solutions moins impactantes soit en utilisant des plastiques biodégradables soit des plastiques recyclables qu’on va trier pour qu’ils connaissent une seconde vie.
En fait, l’idéal pour qu’on continue à utiliser le plastique tel qu’on le fait actuellement (tout en veillant quand même à ne pas le « disséminer » dans l’environnement comme c’est encore beaucoup le cas), serait de « travailler » le problème à la source et de concevoir un matériau plastique qui serait recyclable « à l’infini » ou presque. Dans quelles mesures cela est-il possible ?
Pour obtenir un matériau plastique idéal (durant toute sa durée de vie et après), deux propriétés sont requises mais elles semblent à priori divergentes :
– la robustesse c’est-à-dire des propriétés mécaniques élevées : cela se traduit par de fortes liaisons chimiques au sein du polymère,
– la recyclabilité impliquant des liaisons faibles au sein de la molécule, faciles à couper.
Les matériaux recyclables actuels
Rappelons qu’un plastique est un polymère, constitué de blocs monomères associés. Donc un recyclage « idéal » d’un plastique impliquerait de pouvoir de nouveau séparer les blocs monomères, par le biais d’une réaction chimique ou physique*, et d’apporter la quantité d’énergie nécessaire à la rupture des liaisons. Cela conduit donc à une dépolymérisation de la chaîne initiale.
A l’heure actuelle, on ne parvient à dépolymériser qu’un petit nombre de plastiques et en plus, ce ne sont pas les plus usités… parce que justement, les plus utilisés sont ceux possédant les propriétés mécaniques les plus élevées : les liaisons solides sont donc plus difficiles à casser. Les plastiques qui peuvent se dépolymériser facilement sont ceux qui sont fabriqués à basse température, aux propriétés mécaniques plus faibles. Comment sortir de cette dichotomie qui semble inéluctable ?
Trouver le « bon » polymère
Pour s’en sortir « durablement », il faut en effet trouver le bon polymère, ce qui n’est pas sans poser beaucoup de challenges :
– chercher le bon compromis entre propriétés du polymère et facilité à le dépolymériser en fin de vie,
– optimiser les cycles monomères vers polymères puis polymères vers monomères,
– atteindre une bonne sélectivité dans les processus de recyclage.
Une équipe américaine de Fort-Collins (Département de Chimie de l’Université de Colorado), a peut-être mis le doigt sur la molécule et le process permettant de recycler « à l’infini ». Leurs travaux viennent d’être publiés dans Science (Avril 2018) et il me semble intéressant de s’y pencher.
Les chercheurs travaillent depuis quelques années sur la molécule γ-butyrolactone (γGBL), un ester hétérocyclique à 4 atomes de carbone utilisé comme solvant dans les peintures et qui a cette allure.
Cette molécule a l’odeur caractéristique du beurre rance 😮 et est réputée « difficile à polymériser ».
L’équipe a réussi à trouver un schéma réactionnel afin que cette molécule polymérise à des températures faciles à atteindre dans l’industrie et possède des propriétés mécaniques intéressantes. Pour cela, cette dernière doit être modifiée : posséder de nouveaux groupements et se trouver dans une stéréochimie particulière. Le second avantage est qu’il est alors possible de ramener le poly-γGBL à l’état de monomère en le chauffant entre 260 et 300 °C (ou plus bas avec un catalyseur).
Qu’ont-ils fait de spécial ?
Ils ont fait fusionner la molécule γGBL avec du cyclohexane (la molécule obtenue est le T6GBL) qui peut alors polymériser de façon linéaire ou cyclique (selon le type de catalyseur utilisé).
Bref,en polymérisant de façon linéaire, le matériau obtenu est très cristallin (il possède donc de bonnes propriétés mécaniques), très stable thermiquement (ce qu’on attend d’un plastique).
En plus, ils montrent qu’en jouant sur la stéréochimie et en partant d’un mélange d’énantiomères (cf post précédent) :
– les propriétés du polymère sont améliorées,
– la « dépolymérisation » est possible à des températures comprises entre 120 et 300°C tout en produisant exactement des monomères de départ : cela signifie que le plastique obtenu est entièrement recyclable.
Conclusion
Ces travaux sont très intéressants. L’équipe a réussi à montrer qu’en choisissant judicieusement le monomère, les conditions de polymérisation , il est possible de créer des plastiques recyclables chimiquement et cela dans des conditions industrielles peu coûteuses.
Référence
Jian-Bo Zhu, Eli M. Watson, Jing Tang, Eugene Y.-X. Chen, « A synthetic polymer system with repeatable chemical recyclability » Science, Vol. 360, Issue 6387, pp. 398-403, 2018, DOI: 10.1126/science.aar5498