Le Nord Pas-de-Calais, là où je suis née et là où je vis, a été durement marqué par les deux guerres. Cette région y a été le siège de lourdes batailles dont il faut garder mémoire. La génération de ma grand-mère a vécu tout cela de plein fouet, elle m’a d’ailleurs conté quelques anecdotes, notamment pendant les années d’occupation allemande (elle était petite fille pendant la première et jeune mère pendant la seconde) : je n’ose même pas imaginer le stress qui devait être quotidien… Terrible que de vivre dans sa terre natale et que celle-ci se retrouve soit détruite à 90% soit entièrement sous le joug de l’ennemi, aux méthodes « brutales ».
Lille est par exemple, sous domination allemande, pendant toute la guerre.
De ces périodes, il reste « matériellement » quelques traces. Heureusement… car il faut se souvenir.
Lorsque j’étais enfant, je me souviens m’être étonnée de voir présentes dans mon paysage de campagne, de drôles de structures, grises, sombres, tristes, au beau milieu des champs. Je posais quelques questions mais on m’en disait peu de choses : « Ce sont des Blockhaus allemands…ça date de la guerre ».
Puis j’ai oublié mes questionnements… jusqu’à ces derniers mois, où je prends conscience de l’ampleur de la guerre et ses douloureux épisodes, là où je suis née.
Je vous ai raconté ma rencontre avec la bataille de Fromelles, ici.
Plus récemment encore, j’ai redécouvert les BlockHaus, grâce à une exposition et animation conçue par l’Association l’Alloeu Terre de Batailles 14-18, et soutenue par les départements du Nord et du Pas-de-Calais.
Nous (j’emporte ma fille sous le bras) nous déplaçons à Illies, dans les Weppes à l’OUest de Lille, au lieu-dit de « La Bouchaine » à quelques kms de chez moi.
Et là, des Blockhaus de toutes sortes, siègent en pleine campagne. Et nous allons tâcher de comprendre…
Un « Blockhaus est un abri en béton armé* construit par les troupes allemandes puis, par les alliés. Il s’agit d’un gros travail de fortification mis en oeuvre dans les campagnes. Beaucoup sont encore visibles car non démantelés après la Guerre.
Nous voici au beau milieu des Stigmates de la Grande Guerre à quelques kms de la zone de combat : il y a en une douzaine qu’on peut toucher, visiter, comprendre. Mais le public est porté par les explications de notre guide de l’association ATB 14-18 qui s’est lancée depuis quelques années, dans une quête pour répertorier, classer, percer les secrets des BlockHaus grâce à un gros travail « d’archéologie » et de recherches dans de précieuses archives. Le but est de comprendre par exemple comment et par quels moyens étaient construits ces abris, à quelles fonctions précises ils répondaient selon leur configuration.
Dans le territoire des Weppes (Radinghem, Lorgies, Fromelles, Aubers, Don, Le Maisnil, Fleurbaix, Sainghin…), ils sont légion car nous nous trouvons dans la zone occupée par les soldats allemands non loin de la ligne de front allemande et dans cette guerre de position, il s’agissait bien sûr de défendre, protéger l’espace conquis pour ne pas reculer.
Quelles techniques, quels matériaux ?
Quand on évoque la 1e Guerre, on imagine les tranchées. Mais face aux menaces de l’ennemi, il faut se protéger au maximum : les premiers abris sont faits de planches et sont recouverts de terre, comportent des coffrages en bois. Pour monter en robustesse, des poutrelles métalliques sont introduites car pour contrer l’artillerie lourde et les bombardements, seul le béton armé* peut faire face. A partir de 1916, c’est cette option qui prend le pas.
Faire et maîtriser les constructions en béton-surtout armé-, c’est une affaire complexe réservée aux spécialistes. Plonger dans l’Histoire et observer les abris nous permet d’en prendre conscience.
Il faut prévoir le ferraillage pour les fondations, les voûtes et le coffrage interne et externe : des tôles ondulées pour l’intérieur du Blockhaus (voûtes), des planches pour l’extérieur, des troncs d’arbre pour les toitures.
Pour les matériaux, les troncs étaient prélevés dans les forêts environnantes et mis en forme dans les scieries de la région réquisitionnées pour la « bonne cause ».
Les granulats et le sable provenaient de Hollande, de Belgique et un réseau de voies ferrées. Sur place, des mélangeuses électriques étaient utilisées.
Le béton : qu’est-ce que c’est ?
On le définit comme un agglomérat artificiel de granulats (cailloux, graviers) et de sable, réunis entre eux au moyen par le liant (ciment en général).
Les propriétés du béton vont être étroitement liées aux caractéristiques de chacun des constituants et plus particulièrement le liant (comment va-t-il faire prise ?). Les grains minéraux que sont les granulats vont jouer le rôle de squelette qui s’opposera à la propagation de fissures.
On peut également ajouter des matériaux métalliques pour accroître la résistance du béton (notamment à la traction et la résistance au feu)
Quelles fonctions pour ces abris ?
Les Blockhaus d’Illies nous livrent un bel échantillon des types de constructions qui étaient mises en place. Ils sont de formes et de caractéristiques très variées, et doivent donc répondre à diverses fonctions.
Alors comment sont-ils ? Certains hauts, d’autres plus ramassés, de forme parallélépipédique ou arrondie, avec un nombre d’ouvertures variable. Ces ouvertures ont une position et une taille variable aussi, elles devaient aussi bien assurer la ventilation au sein des abris que laisser passer les gros engins de guerre..
Chaque configuration est adaptée à une fonction :
– poste de combat (avec des mitrailleuses qui tirent jusqu’à 500 coups/min ou canons),
– poste de commandement,
– poste d’observation,
– zone de protection pour les hommes et le matériel.
Et puis, la construction de ces abris devait se réaliser sans se faire repérer par l’ennemi : une des raisons pour lesquelles, certains Blockhaus étaient carrément apposés à des maisons en ruines ou carrément bâtis à l’intérieur.
En un mot, une exposition riche qui nous reconnecte à un passé pas si lointain. La guerre est un sacré catalyseur de percées technologiques, c’est peut-être un des seuls atouts dont on peut se réjouir.
Merci à l’association ATB 14-18 (et en particulier à Bertrand Lecomte, président, guide cette exposition) pour la passion qui l’anime, dans sa volonté de comprendre, de chercher et de mettre à disposition du plus grand nombre, les moyens de développer son esprit d’analyse pour encore mieux garder en mémoire de notre Histoire.
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