Je fonds pour le chocolat…littéralement. On en a d’ailleurs parlé à plusieurs reprises sur ce blog :
– la fabrication du chocolat,
– les effets de la théobromine, molécule clé du chocolat,
– chocolat vs Alzheimer.
D’un autre côté, je m’intéresse de près au réchauffement climatique (ses causes, ses conséquences ici ou là…) parce que la situation est des plus préoccupantes.
Or, il semblerait que le changement climatique tel que l’imaginent les scientifiques impliqués dans son étude (ce n’est malheureusement pas qu’une question d’imagination : indices, observations, mesures réelles et modélisations sont bien là pour étayer) puisse remettre en cause la production de chocolat ou en tous cas, la limiter… Je sais, il y a pire comme conséquence directe : nos palais pourraient s’en accommoder ! Mais quand même, une bonne partie de l’économie de certains pays producteurs (Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun et Sierra Leone) repose sur la bonne santé des cacaoyers.
En cette journée de la Terre, voyons les prévisions sur le sujet.
Une étude toute récente a été publiée [1] dans Science of The Total Environment, par des équipes du Brésil, du Nicaragua et d’Ouganda.
Les auteurs s’intéressent à l’effet du réchauffement en cours sur la production de cacao dont 70 % est issue des régions côtières du Golfe de Guinée (la ceinture du cacao).
La production de la cacao dans ces régions va devoir faire face à quelques challenges dont ceux posés par le changement climatique. Mais quels sont les facteurs réellement impactants ? Cette compréhension pourrait permettre de mettre au point des stratégies particulières pour s’adapter au changement climatique.
Des leçons du passé et méthode pour étudier les futurs risques
Pendant la seconde moitié du 20e siècle déjà, l’Afrique de l’ouest a connu des périodes plus intenses de sécheresse avec une diminution des précipitations pouvant atteindre 30%. Certaines régions deviennent alors impropres à la culture des cacaoyers.
Il est donc tout à fait légitime de s’interroger sur les conséquences de ce qui est annoncé à savoir l’augmentation des températures mondiales ; l’évapotranspiration* risque de s’intensifier et les besoins en eau des plantes seront particulièrement accrus pendant la saison sèche : un stress hydrique qui risque fort d’être mal supporté.
*L’intensité de l’évapotranspiration (évaporation de l’eau du sol et transpiration de la végétation) est fonction de l’énergie reçue, de l’humidité, du vent, du type de plante et de la nature du sol.
Les auteurs de l’étude se sont donc appuyés sur des modèles climatiques validés par le GIEC ainsi que sur des données issues de réseaux de dizaines de milliers de stations météo afin d’estimer l’impact sur la production de fèves de cacao en Côte d’Ivoire et au Ghana, et ce avec une résolution spatiale suffisamment fine. Dix ans de données ont été intégrées pour ce travail avec objectif d’estimer les effets à l’horizon 2050.
Résultats
A l’heure actuelle, dans la zone d’Afrique de l’ouest, leader de la production mondiale, les températures maximales rencontrées durant la saison sèche augmentent d’autant plus qu’on s’éloigne de la côté. Les plus intenses concernent le nord, zone proche de la savane (au delà de 36°C).
A l’horizon 2050, la situation risque d’être sérieusement modifiée : ces valeurs extrêmes vont concerner des zones plus étendues notamment les régions au nord de la ceinture du cacao (cela pourrait même aller jusqu’aux régions côtières). Ceci dit, il ne semble pas qu’on puisse dépasser les 38°C, valeur considérée comme rédhibitoire pour le bien-être du cacaoyer. Mais l’augmentation des températures accentue bel et bien l’évapotranspiration, particulièrement dans la région la plus au nord.
Ce qui compte aussi ce sont les précipitations nécessaires pour la pérennité des cultures et notamment la durée de la saison sèche mais aussi leur distribution. Et curieusement, les modèles prédisent un raccourcissement de la saison sèche d’ici 2050 dans la zone de la ceinture du cacao qui nous intéresse.
Il y a donc deux facteurs opposés : l’un favorable (raccourcissement de la saison sèche) l’autre plutôt contraignant (intensification de l’évapotranspiration). Lequel va l’emporter ?
Les auteurs de l’étude montrent que l’augmentation de l’évapotranspiration et donc des besoins en eaux des plantes sont en grande partie « compensés » par l’accroissement des précipitations et le raccourcissement de la période sèche (à l’exception d’une zone au niveau de la frontière de l’est de la Côte d’Ivoire, Nigeria et Camero et au nord proche du District des savanes).
Les auteurs prouvent également que les deux indicateurs permettant d’évaluer les risques de stress sont la durée de la saison sèche et le bilan précipitation/évapotranspiration durant cette période délicate.
Même si les résultats sont plutôt moins préoccupants que ce qu’on pouvait imaginer pour l’avenir du chocolat, les chercheurs mettent en garde néanmoins contre certains raccourcis de leur approche.
Ils indiquent par exemple que même si le seuil des 38°C n’est pas atteint, cette prédiction ne concerne que des années « moyennes ». Il faut penser aussi aux cas particuliers (dans l’espace et le temps) et garder à l’esprit que « localement », dans des années particulières, cette valeur haute pourrait tout de même être dépassée.
Ils soulignent également que leur prédiction ne prend pas en compte le facteur « fréquence » des épisodes de sécheresse : le changement climatique pourrait par exemple accentuer la fréquence des années très sèches, or les données sont peu disponibles pour cette partie du globe.
Des idées « d’adaptation »
Pas d’énorme pression sur le chocolat, compte tenu des prédictions qui ont été faites. Mais il faut néanmoins s’entourer de précautions pour les épisodes extrêmes. La question est de savoir sur quoi vont porter les effets du climat : l’état général des plantes, leur croissance et/ou la production des fèves de cacao. Il faut également entreprendre la même réflexion sur les arbres plantés dans le voisinage des cacaoyers. Comment sélectionner ces derniers pour qu’ils puissent supporter la météo et jouer un rôle protecteur sur les plantations de cacao (effet parasol qui peut conduire, selon certaines études, à une baisse de température des feuilles du cacaoyer jusqu’à 4°C) ? Comment les planter efficacement (espacement…)?
On peut aussi envisager la mise en place de ventilation (optimisée) pour réduire les températures.
Enfin, sélectionner des espèces de cacaoyers plus résistantes aux contraintes de température est également une voie à creuser.
Il est particulièrement important de s’intéresser de près à ces solutions, important de protéger les cultures existantes afin d’éviter que la pression sur la production de cacao ne dérive vers un accroissement de la déforestation.
Références :
1- Schroth G. et al, « Vulnerability to climate change of cocoa in West Africa: Patterns, opportunities and limits to adaptation », Science of The Total Environment Vol 556, pp 231–241, 2016
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