Zéro rejets liquides en industrie, comment ?

Cet article – orienté vers mon vrai métier  » industrie » – se focalise sur les grandes installations de production énergétique (combustibles fossiles) mais l’objectif zéro rejet liquide concerne aussi d’autres secteurs : les industries chimiques, les purges des systèmes de traitements d’eau, les effluents miniers et de raffineries, divers lixiviats…

Implanter de grosses unités de production électrique dans une région où les ressources en eau sont plutôt rares et précieuses, c’est un sacré challenge d’autant plus lorsque les réglementations environnementales se font de plus en plus strictes. C’est le cas notamment (et à juste titre) des unités les plus polluantes (cas de centrales thermiques au charbon par exemple).

Bref, il faut dans ces cas-là en plus des grandes quantités d’eau pour refroidir (voir un ancien post sur le refroidissement), des volumes d’eau conséquents pour laver les fumées dans un absorbeur (l’objectif est d’éliminer les oxydes de soufre). On règle donc (ou presque) les émissions dans l’air mais cela entraîne des effluents liquides. Ceux-ci doivent être traités avant le rejet dans le milieu naturel pour ne pas dépasser les valeurs limites maximales en métaux lourds (mais aussi en chlorures, sélénium et molécules organiques).

rejet

Le principe général du procédé consiste classiquement en une étape de neutralisation (correction de pH) suivie d’une étape de précipitation (ajout de coagulants, floculants qui permettent la (ou les) précipitation(s)* des métaux lourds dans la bonne fenêtre de pH). Enfin, la séparation par sédimentation puis filtration permet de récupérer d’une part des boues (qui seront ensuite séchées et mises en décharge) et une fraction liquide qui, conforme à la réglementation, peut être rejetée dans le milieu naturel.
‘* Souvent il y a deux étapes de précipitations, car tous les composés ne précipitent pas sur la même fenêtre de pH.

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Schéma du procédé de lavage des fumées et traitement des rejetsSource 3E Partner

Il est possible d’aller encore un peu plus loin avec un traitement biologique (juste avant le rejet) de façon à réduire la teneur en nitrates, ammoniac et molécules organiques mais également en séléniates…

Oui mais voilà, même s’il semble que l’aspect des polluants chimiques soit réglé, certaines réglementations imposent d’aller encore plus loin (sur des concentrations en sélénium ou mercure par exemple) d’autant plus qu’il n’en reste pas moins une forte consommation d’eau et des rejets liquides. Ne serait-il donc pas possible de recycler complètement ces rejets au sein du procédé de façon à limiter d’une part la consommation d’eau et d’autre part de se limiter à des rejets solides (le plus stables possible), bref une unité zéro rejet liquide ? Certaines réglementations l’imposent déjà  : le procédé ZLD (Zero liquid discharge) ou ZRL (Zéro rejet liquide) est alors l’unique solution pour atteindre cette nouvelle contrainte.

Le procédé ZLD « classique »

La technique classique permettant d’éliminer tout rejet liquide consiste en une évaporation-cristallisation : toutes les espèces dissoutes sont amenées à précipiter et l’eau purifiée par distillation est réutilisée dans le procédé.

Cette technique intervient en complément des étapes de traitement de rejets présentés précédemment ou s’y substituent : tout dépend de la teneur des différents sels à traiter.

Cela se fait en plusieurs étapes : une première étape est dédiée à la concentration des sels. Environ 90 % de l’eau est évaporée au sein du concentrateur de saumure grâce à un évaporateur à film tombant (cet échangeur est alimenté par de la vapeur sous pression). A l’issue de cette étape, les sels sont concentrés mais la cristallisation n’est que de faible ampleur. Il faut donc accentuer le phénomène de cristallisation.

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Évaporateur à film tombant

1 entrée du flux à concentrer  concentrat  alimentation en vapeur 4 Eau purifiée

Dans une seconde étape, un nouvel évaporateur-cristalliseur de design différent est à circulation forcée (vitesse d’écoulement élevée), alimenté également par de la vapeur (l’apport de chaleur est particulièrement important dans la mesure où le point d’ébullition de la solution est élevé*). Cette étape favorise alors la cristallisation. Les solides cristallisés sont séparés de la liqueur mère (réacheminée à l’entrée du cristalliseur).
Les risques de corrosion dans ce second évaporateur sont particulièrement accrus (solution riche en chlorures) ce qui nécessite des alliages nobles pour mieux résister (le coût en est augmenté).

‘*Plus une solution est concentrée en sels, plus son point d’ébullition sera élevé.

Voilà une petite vidéo, pour plonger « au coeur » du process (pas d’actions chez GE, mais les vidéos sont top)

Récents développements dans les procédés ZLD :

Lors d’un congrès récent (Orlando – International Water Conference), la société General Electric (GE) gros fournisseur d’équipements dans le domaine de l’énergie a présenté une nouvelle technique permettant d’atteindre les réglementations environnementales les plus strictes, tout en réduisant l’ajout de produits chimiques, en limitant les coûts énergétiques et en améliorant le comportement sur le long-terme des solides mis en décharge.

La première étape est un évaporateur à concentration de sels (jusque là rien de nouveau) mais la seconde étape consiste à favoriser, par l’ajout de réactifs bien choisis, une réaction pouzzolanique (il s’agit d’une réaction entre aluminium silicium – éléments présents dans la solution saline – et de la chaux pour donner lieu à un phénomène de prise (voir cet ancien article). Cela permet de solidifier des solutions salines riches en Al – Si et d' »emprisonner » alors tous les polluants indésirables.

Cette technologie a été développée pour des applications relatives à l’exploitation de sables bitumineux qui génère de grandes quantités de solutions salines. Des recherches complémentaires ont permis de l’étendre au domaine des rejets liquides issus de désulfuration de centrales thermiques. Des tests en pilote ont permis d’optimiser le dosage en réactifs (contenant par exemple des cendres volantes au propriétés pouzzolaniques) et de caractériser la matrice solide obtenue.

Il s’avère que les propriétés sont, d’un point de vue environnemental, particulièrement attrayantes. Les solides mis en décharge présentent une forte résistance à la compression, une faible conductivité hydraulique (liée entre autre à la porosité) et surtout ils sont peu lixiviables. Bref, sous l’effet d’un écoulement d’eau, les polluants piégés ne s’échappent pas. Ce n’est pas le cas des boues mises en décharge via le procédé ZLD classique qui nécessitent une surveillance particulière, afin d’éviter la pollution des nappes.

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Bloc solide formé par les réactions pouzzolaniques dont rien ne s’échappe. Source GE

Ce nouveau procédé est donc attractif d’un point de vue environnemental. Mais le coût énergétique et la consommation de produits chimiques sont également moindres. L’avenir nous dira si cette technique pourra se démocratiser : je trouve l’idée bien séduisante.

Pour l’instant le procédé « Zéro rejet liquide » en version « classique » est implanté à l’étranger, là où les limites d’émissions sont strictes et où les ressources en eau sont un problème majeur (pas trouvé de référence en France Métropole). Quelques exemples : Usine Renault à Tanger, Unité ZLD pour Qatar Petroleum  et Shell Pearl et implantation pour des unités de production électrique de Medhawk (Nevada) (fournisseur Veolia Environnement).
Enfin, Suez Environnement (via sa filiale Infilco Degrémont) a récemment remporté un contrat pour la fourniture d’équipements et de services permettant de traiter les effluents industriels selon le procédé ZLD au groupe pétrochimique chinois Zhong Tian He Chuang Energy.

Référence :

« Zero-Discharge Pozzolanic Brine Solidification: Another Option for Treating FGD Wastewater », Power, Janvier 2016

2 comments for “Zéro rejets liquides en industrie, comment ?

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