La chimie au cœur de l’atmosphère et des moteurs à combustion

Etudier l’atmosphère et la qualité de l’air est la mission du Laboratoire PC2A de l’Université de Lille 1 (Laboratoire de Physico-Chimie des Processus de Combustion et de l’Atmosphère). J’ai eu l’opportunité de visiter les installations, découvrir les bancs d’essais et appréhender ses thématiques de recherche et leurs différentes approches.

Alors étudier l’atmosphère, ça veut dire quoi exactement ?
Comme on peut s’en douter, la tâche n’est pas simple. Cela implique de connaître les polluants (leurs sources, leur chimie) et leurs impacts sur l’environnement (et la santé de l’homme), comprendre leur diffusion mais aussi les réactions chimiques qui régissent leur devenir en les transformant en d’autres espèces (avec des mécanismes réactionnels complexes à identifier) et enfin chercher la méthode d’analyse optimale. Le but est finalement de mettre au point des modèles afin de pouvoir décrire et anticiper.
Parmi les polluants atmosphériques, ceux émis par les transports font l’objet de recherches poussées. Comment perfectionner le fonctionnement d’un moteur avec des émissions minimisées, comment en mettre au point de nouveaux types afin d’utiliser de nouveaux carburants ?

Ce billet se focalise sur l’une des thématiques du laboratoire : l’étude de la combustion notamment en vue d’optimiser le fonctionnement des moteurs et des turbines à gaz. Ceci passe par une parfaite connaissance des différents mécanismes d’oxydation des carburants.

Connaissez-vous la terminologie « flamme froide » et surtout, ce à quoi elle fait référence ? Ce type de combustion a des implications dans la conception des moteurs de voiture de façon à les rendre plus écologiques.

En combustion, on distingue généralement deux gammes de température, pour lesquelles les phénomènes chimiques à l’oeuvre sont très différents :
– pour des températures supérieures à 800 °C, c’est le domaine de la combustion classique caractérisée par la présence de flamme,
– pour des températures inférieures à 700 °C, on entre dans le domaine des flammes froides.

Une flamme normale est le fruit d’une combustion vive tandis qu’une flamme froide est le fruit d’une oxydation lente et incomplète : l’avantage est l’absence de formation de suie ou d’autres polluants.

Cette partie du laboratoire PC2A « Cinétique Chimique et Combustion dans les Moteurs » s’intéresse donc à la chimie basse température et utilise pour ces études, deux dispositifs:
– la machine à compression rapide,
– un brûleur à basse température.

La machine à compression rapide permet de simuler la phase de compression qui a lieu  au sein d’un moteur à combustion. En particulier, le dispositif permet de mesurer le temps nécessaire pour qu’un mélange défini s’enflamme. Pour cela, le profil de pression est suivi et un phénomène transitoire correspondant à un courte étape d’oxydation lente est repéré. C’est l’étape de « flamme froide ».

Petit aperçu de la machine à compression rapide

Voyons un exemple de profil de pression (P vs t) obtenu : le pic de pression  le plus à droite correspond à l’inflammation du mélange mais « avant » ce pic, un premier accident caractérise l’apparition du phénomène de flamme froide qui n’est ici que transitoire.

Exemple de profil de pression obtenu sur la machine à compression rapide : flamme froide suivie d’une inflammation

Il s’agit donc de mesurer, pour un certain type de mélange gazeux, le délai entre le phénomène de flamme froide (premier petit décrochement dans la courbe) et l’inflammation (gros pic de pression). Quels mécanismes chimiques permettent d’expliquer ce délai ? Quelles espèces chimiques sont impliquées ?
Pour en savoir un peu plus, le mélange gazeux est prélevé et analysé par chromatographie en phase gaz.

La 2e approche mise en oeuvre au laboratoire est un brûleur basse température qui permet l’étude des flammes froides en régime permanent. Ce brûleur dédié est conçu de façon à stabiliser une flamme froide : l’arrivée de combustible/comburant est bien contrôlée. L’intérêt est de tester le comportement de différents combustibles, dont celui des biocarburants. Parmi eux, certains sont peu réactifs, cependant en mélange avec d’autres molécules, leur réactivité est initiée (effet de co-oxydation).
Bref, ici, en faisant varier les conditions opératoires (richesse du mélange par exemple), on étudie la flamme froide qui se forme. Elle est alors visualisée par le biais de dispositifs optiques.

L’intérêt de ces études est de pouvoir concevoir de nouvelles technologies de moteurs ayant un bon rendement tout en limitant les émissions de polluants avec en plus un maximum de sécurité. Actuellement, sur les moteurs thermiques classiques, la solution environnementale réside en des systèmes post-traitement qui permettent de limiter les émissions de NOx (via un catalyseur) et les particules (via les filtres). Les nouvelles technologies de moteurs thermiques (tels que les moteurs dits LTC -Low Temperature Combustion-) reposent sur l’utilisation de la chimie responsable des flammes froides en faisant appel à des carburants différents des carburants classiques.
Mais pour cela, il faut réussir à  maîtriser parfaitement les modes de combustion au sein du moteur : la connaissance des différents mécanismes d’oxydation, des voies réactionnelles doit être parfaite. Il reste du chemin à parcourir.


Mais le laboratoire travaille également sur les flammes plus traditionnelles. Grâce à différents brûleurs, l’équipe étudie la structure d’une flamme de prémélange (un mélange gaz/air arrive déjà mélangé au sein du brûleur). C’est la configuration qu’on peut rencontrer pour la combustion du méthane, au sein d’une turbine à gaz.

Turbine à gaz (combustion de méthane dans une flamme de pré-mélange)

Que doit-on étudier ? Cette combustion est plus complexe qu’il n’y paraît : entre les réactifs de départ (CH4 / O2/ N2) et les produits (CO2, H2O, CO, NOx, imbrûlés, suies), ce sont des milliers de réactions qui se déroulent faisant apparaître beaucoup d’intermédiaires dont des espèces fugaces, très réactives (les radicaux*).

*un radical est une espèce chimique qui apparaît à la suite d’une rupture de liaison.

L’idée est de comprendre, comment la qualité du mélange (air/carburant) influe sur la distribution spatiale de la richesse et le devenir de tous ces intermédiaires, de chercher les profils de concentration au sein de la flamme. Cela permettra de comprendre les conditions pour lesquelles la formation de polluants est minimale et la stabilité de la combustion optimale.
Parmi les radicaux, on trouve par exemple CH3• qui n’est pas mesurable par prélèvement et qui se recombine rapidement avec d’autres espèces (tel que C2H6 .une espèce qui pourra être analysée en chromatographie phase gaz) ou OH•  (le radical hydroxyle), une espèce clé qui intervient dans les réactions de combustion.

Alors comment mesure-t-on ces radicaux, dans la mesure où ils sont si fugaces, caractérisés par une durée de vie qui ne dépasse pas quelques millisecondes ? La mesure de leur concentration est accessible par l’utilisation du LIF : une technique  technique désormais incontournable pour caractériser les flammes, en déterminant ce qui les compose. Le LIF est la Fluorescence Induite par Laser,

Le principe de la technique LIF 
Le but est d’exciter une molécule cible à l’aide d’une lumière laser (longueur d’onde λ bien définie, caractéristique de cette molécule). La molécule absorbe le rayonnement et devient excitée. En retournant à son état fondamental, elle réémet de la lumière : c’est le phénomène de fluorescence. Le spectre de la fluorescence se présente sous la forme d’une large bande spectrale.
Le gros atout de la technique est d’être très sensible et de pouvoir mesurer des concentrations instantanées : c’est donc idéal pour mesurer des concentrations en radicaux.
La technique est également utile pour mesurer des températures, grâce à l’utilisation de colorant organique.

Dispositif expérimental pour étudier une structure de flamme avec le LIF

Dispositif expérimental avec le LIF : un faisceau laser est focalisé sur une flamme à l’aide de lentilles et un spectromètre mesure la fluorescence

Plus concrètement, ce type d’approche permet par exemple d’étudier les mécanismes de formation des suies (particules carbonées solides) au sein d’une flamme de brûleur. C’est vraiment important de comprendre car les suies générées par les moteurs de véhicules, les foyers domestiques et industriels ou les turbines à gaz jouent un rôle important dans le réchauffement climatique.
En fait, les suies (particules solides) se forment à partir de petites molécules en phase gazeuse : celles-ci évoluent pour donner de plus grosses molécules qui coagulent et s’agglomèrent jusqu’à former des « premiers grains » (des nuclei) qui grossissent peu à peu pour donner des particules de suie. Ce sont des processus très complexes qu’il est difficile à appréhender.
L’analyse de flamme permet cependant de cartographier les zones riches en suies et un lien a pu être établi avec les molécules de HAP (Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques, molécules de poids moléculaire élevé tels que le naphtalène, pyrène, anthracène). Ces molécules de haut poids moléculaire s’avèrent être des précurseurs aux suies. L’approche par diagnostic laser est donc un bon outil pour comprendre la formation initiale des premiers grains de suies et leur mode de croissance au sein d’une flamme.

Etude d’une flamme (gauche) par combinaison de techniques de diagnostic laser. Exemple schématique de cartographies montrant la zone riche en HAP (centre) et en suie (droite) au sein de la flamme

Plusieurs modèles existent pour décrire ces mécanismes…

Mécanisme de formation des suies selon Bockhorn [1]

Il reste encore du travail pour parvenir à parfaitement comprendre comment les HAP s’organisent et s’agglomèrent pour initier et produire les premiers grains de suie.


Retrouvez la seconde partie qui fait suite à ce premier billet, où il est question des autres thématiques de recherche du laboratoire, plus en lien avec l’atmosphère.

Un grand merci à Guillaume Vanhove , Nathalie Lamoureux et Coralie Schoemaecker pour m’avoir accueillie dans leur laboratoire et  le temps à m’expliquer leurs travaux.

Références :
1- Henning Bockhorn, « Soot formation in combustion- Mechanisms and models », 1994

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