Suite de la série d’articles (5 en tout) commencée il y a quelques temps, permettant de comprendre dans les grandes lignes le cancer du sein : ses caractéristiques, ses origines connues et les possibles facteurs protecteurs.
Note préliminaire : Les informations présentées ici sont issues de mes lectures. Elles ne se substituent en rien au diagnostic et explications d’un professionnel de santé.
Résumé succinct partie I
La première partie, à relire ICI, a permis de revoir la définition d’une cellule avec son noyau au sein duquel on trouve l’ADN. Cette molécule, support de l’information génétique (un gène est un petit morceau d’ADN qui donne une instruction pour synthétiser une protéine) est soit dépliée soit compactée au maximum (les chromosomes), soit condensée uniquement en certains endroits. Une partie compactée (liée à l’enroulement d’une partie de l’ADN autour d’une protéine par exemple) cache un ou plusieurs gènes, ce qui « éteint » ce(s) dernier(s) qui alors ne s’expriment pas.
Puis les dérives possibles quand l’ADN est endommagé, qu’un gène mute, ou qu’une molécule extérieure inactive une information en « cachant » certains gènes (principe de l’épigénétique) ont été présentés.
Ce premier volet a également balayé les spécificités des cellules mammaires, leur organisation et leur évolution tout au long de la vie d’une femme.
En résumé, on trouve :
– les cellules épithéliales (type « revêtement ») : celles qui tapissent la paroi interne des alvéoles (cellules luminales alvéolaires), ou la paroi interne des canaux (cellules luminales canalaires). Leur contact avec la membrane basale et l’extérieur est limité.
– les cellules myoépithéliales (qui se contractent) : elles forment la couche intermédiaire entre les cellules luminales et la lame basale ; elles sont donc en contact avec l’environnement extérieur. Les cellules de cette couche intermédiaire sont aussi appelées, « cellules basales ».
La glande mammaire évolue fortement en cas de grossesse, allaitement, mais aussi à chaque cycle : elle doit donc être capable de se renouvellement et d’évoluer rapidement. C’est pourquoi des cellules souches y sont présentes. Sous l’effet des œstrogènes (mais pas que) les cellules souches se transforment pour donner des cellules différenciées (cellules épythéliales luminales ou cellules myoépithéliales). Mais parfois, ces cellules souches évoluent en tumeur lorsque l’apoptose (mort programmée) ne se fait pas : la prolifération n’est plus contrôlée.
Partie II
Une tumeur cancéreuse est un ensemble de cellules qui se multiplient de façon excessive, anarchique et incontrôlée. Les cellules surnuméraires débordent alors sur les tissus adjacents voire se répandent dans l’organisme en empruntant le réseau circulatoire (lymphe, sang) situé à côté de l’organe touché.
Les principaux types de cancers du sein : les principales classifications
Le cancer du sein est une maladie qui revêt de nombreuses formes avec toute une variété de caractéristiques morphologiques et de signes cliniques. De nombreux efforts sont consacrés à la classification la plus précise possible : il est important de connaître les caractéristiques d’une tumeur cancéreuse afin de la catégoriser puis adopter la voie thérapeutique la mieux adaptée.
Voici les grandes lignes des types possibles de cancer du sein.
Classement selon la zone touchée : étude histologique
Les deux grandes catégories principalement rencontrées sont le cancer luminal ou de type basal. La présentation qui se veut « simplifiée » ne portera que sur ces deux catégories (d’autres types de cancers sont répertoriés, mais ils représentent moins de 1% des cas)
Le terme « carcinome » est le terme consacré pour désigner le cancer du sein. Cela signifie qu’il s’agit de tumeurs développées à partir de cellules épithéliales : soit le tissu épithélial des alvéoles ou canaux, soit les cellules myoépithéliales.
* Zone luminale : cancers luminaux A et B
Ce type de cancer concerne les cellules qui bordent le lobule (carcinome lobulaire) ou le canal (carcinome canalaire – les plus fréquents), tournés vers la lumière (contact limité avec le milieu environnant). En fréquence, ils correspondent à un chiffre situé entre deux tiers et 75 % des cancers les plus rencontrés.
La connaissance du caractère lobulaire ou canalaire est importante car les femmes présentant un cancer de type lobulaire sur un sein, a un peu plus de risques d’en développer également un de l’autre côté.
La dénomination « luminal A ou B » est liée à la présence de certains récepteurs, comme cela sera expliqué dans la seconde partie.
* De type basal ou basaloïdes (basal-like)
Ils représentent 15 à 20 % des cancers et concernent les cellules basales (ou myoépithéliales, celles qui pompent le lait vers l’extérieur des canaux), juste au contact avec la membrane basale (cette dernière est en contact direct avec le milieu extérieur environnant). Les cellules basales sont donc en permanence exposées aux signaux issus de la matrice extracellulaire.
Ce type de tumeurs présente la plus grande fréquence d’ADN endommagé ou de mutation génétique. Certains chercheurs estiment que ce type de cancer serait lié à un défaut de réparation après une cassure double brin de l’ADN. Il se caractérise de plus, par une grande complexité génétique ce qui rend sa définition délicate. On y trouve souvent un défaut du gène BRCA1 (on en reparlera dans la partie III)
Ce type de cancer est souvent appelé « triple négatif » car ne possédant pas souvent de récepteurs particuliers (voir partie suivante) : mais il n’y a pas complète équivalence entre les deux termes :
– une petite proportion expriment tout de même certains marqueurs,
– certains cancers triple négatifs ne sont pas de type basal.
Il semble assez difficile de trouver une définition qui fasse consensus (pourtant primordial pour un bon diagnostic et donc un bon traitement). Certains définissent ces cancers basaloïdes comme exprimant les cytokératines de haut poids moléculaire (il s’agit de longs polymères de kératine, caractérisant les épithéliums). Mais savoir sur quelle(s) cytokératine(s) se baser pour une définition précise et juste, reste encore à trancher.
Ses autres caractéristiques sont les suivantes :
– il touche plutôt les femmes jeunes,
– il a une vitesse de croissance élevée,
– les cellules tumorales peuvent prendre différentes formes,
– il est fortement marqué par l’appartenance ethnique (beaucoup plus fréquent chez les femmes africaines).
Comment se fait le classement ?
Le classement (basal ou luminal) ne se fait pas uniquement par rapport à la zone où la tumeur se développe mais aussi par rapport aux caractères uniques qu’elle présente lorsqu’elle est observée au microscope, ou qu’une analyse par puce à ADN est réalisée (voir paragraphe suivant).
C’est la raison pour laquelle certains chercheurs ont mis en évidence un autre sous-type lorsque les cellules malignes présentent des caractères relevant des cellules luminales et des cellules basales : elles sont alors appelées baso-luminales.
Il est également important de classer les tumeurs selon leurs caractéristiques moléculaires, c’est à dire ce à quoi elles sont sensibles.
Classement moléculaire
Le recours à des technologies de pointe telles que la puce à ADN est une avancée de grande envergure pour le classement moléculaire des tumeurs. En effet, cette technique permet de passer simultanément au crible des milliers de gènes et donc d’avoir accès au profil génétique d’une tumeur. On sait ainsi quels sont ses caractéristiques et ce à quoi elles sont sensibles.
Les cellules possèdent (ou non) certains types de récepteurs : tels une serrure permettant de s’associer à une clé spécifique, ces récepteurs vont former avec une molécule particulière présente dans l’environnement de la cellule (une hormone par exemple) un ensemble plus complexe. Ceci va provoquer une modification de la cellule et de son fonctionnement.
Les principaux récepteurs en ligne de mire sont les récepteurs à œstrogènes, progestérone, et à certaines hormones de croissance (HER2)
Premier groupe : tumeurs possédant des récepteurs aux œstrogènes (notées ER+)
Les cellules de la glande mammaire sont sensibles à différents types d’hormones. Normal, c’est ainsi qu’elles évoluent pour pouvoir remplir leur fonction lorsque cela sera nécessaire : fabriquer le lait et l’éjecter jusqu’au mamelon pour nourrir la descendance.
A partir de la puberté, sous l’action des œstrogènes et dans une moindre mesure la progestérone (avec le renfort de l’hormone de croissance), les canaux alvéolaires s’allongent et s’organisent en réseau, les cellules luminales se multiplient : les cellules souches donnent naissance à des cellules progénitrices, évoluant en cellules luminales et myoépithéliales.
Sous l’action de la progestérone et de la prolactine qui agissent en synergie (en cas de grossesse), les cellules luminales prolifèrent encore davantage dans l’espace, se spécifient (on dit qu’elles se différencient) pour devenir capables de secréter du lait.
Bref, pour que les cellules cibles réagissent à l’effet de ces hormones, une grande partie d’entre elles, possèdent des récepteurs aux œstrogènes ER (surtout) et à la progestérone (PR). Ceux-ci peuvent être plus ou moins nombreux, et parfois en excès.
Mais d’autres mécanismes complémentaires interviennent permettant à des cellules non munies de récepteurs de réagir tout de même à une stimulation hormonale. Elles sont alors influencées par une voie indirecte.
Le groupe ‘tumeurs ER+’ représente environ 70 % des cancers. Elles concernent donc surtout les cellules luminales (lobulaires ou canalaires), celles qui vont fabriquer le lait. Ces cellules cancéreuses possèdent d’ailleurs également des récepteurs à la progestérone et à la prolactine, et se caractérisent par des gènes qui gèrent la fabrication des protéines caractéristiques des cellules luminales.
Ainsi si une cellule possède des récepteurs en grande quantité, tourne « mal » sous l’effet d’un mécanisme oncogène, la cellule maligne qui en découle possédera ces « points d’accroche ». Les œstrogènes (ou tout ce qui y ressemble chimiquement) présents vont alors se fixer sur ces récepteurs en excès et stimuler la croissance, provoquer la prolifération cellulaire, ils exercent ainsi un effet auto catalytique.
Toute analyse de tumeur cherche donc à évaluer la présence de ces récepteurs à œstrogènes, qualitativement et quantitativement. Parallèlement, les récepteurs à progestérone sont aussi recherchés (car ces PR sont liés à la présence des ER).
La voie de traitement va logiquement consister en des médicaments visant soit à réduire les effets des œstrogènes soit à réduire leur quantité dans l’organisme (thérapie hormonale). L’impact du traitement dépend de la quantité de ER présents dans la tumeur.
Dans ce groupe ER+, on distingue deux sous-types : le type luminal A et luminal B selon la présence en excès de récepteurs particuliers à un facteur de croissance épidermique appelé HER2*, une protéine située dans la membrane de nombreuses cellules..
Le type luminal A exprime fortement les récepteurs à œstrogènes et progestérone, mais pas à HER2. Ce type de cancer a un bon pronostic car il se caractérise par un taux de prolifération bas.
Le luminal B possède en plus des récepteurs à HER2 en excès, une protéine qui permet de contrôler la croissance, la survie, l’adhésion, la différenciation d’une cellule. Ceci a pour principale conséquence que la croissance cellulaire est fortement activée. C’est un cancer généralement plus agressif que les autres : le traitement consiste alors en des molécules (anticorps tels que l’herceptine) qui se lient aux récepteurs HER2 ce qui les rend inactifs : la prolifération cellulaire est bloquée.
*(Human Epiderman Growth Factor Receptor) – L’indice 2 fait référence au fait à un des quatre récepteurs situés sur la membrane d’une cellule.
Deuxième groupe : cellules ne possédant de récepteurs aux œstrogènes (ER-)
Premier sous-groupe : pas de récepteur aux œstrogènes mais des récepteurs à HER2 (facteur de croissance épidermique dont il a été question dans le paragraphe précédent). Ce sous-groupe présente d’autres caractéristiques non détaillées ici.
Deuxième sous-groupe : pas de récepteurs aux œstrogènes, pas de récepteurs à HER2 en excès, pas de récepteurs à la progestérone. (ER-, PR-, HER-). Ils sont aussi appelés « triple négatifs« .
Parmi les cancers dits « triple négatifs », deux sous-catégories ont été établies récemment (2011) selon le profil génétique de la tumeur. La première (la plus fréquente, environ 70 %) concerne les cancers de type basal (comme décrits ci-dessus) et la seconde, mise en évidence plus récemment, appelée « Claudin-low « . Les tumeurs de cette seconde catégorie se caractérisent par un déficit d’expression en protéines « Claudin » : des composés importants dans la jonction entre cellules épithéliales et donc leur adhésion.
Sans récepteur particulier, la voie thérapeutique pour cibler la tumeur est plus délicate. C’est souvent alors la voie de la chimiothérapie qui est suivie (médicaments qui agissent sur la division cellulaire dans tout le corps).
Mais les recherches en continuel développement, ont récemment découvert une surexpression d’un récepteur particulier pour les cancers triple-négatifs.
L’absence de récepteurs particuliers ne s’explique pas encore vraiment. On pense qu’un mécanisme épigénétique serait en cause en éteignant certains gènes impliqués dans la genèse des récepteurs hormonaux. La solution thérapeutique possible serait alors d’avoir recours à des molécules capables de dérouler certaines parties d’ADN et ainsi réactiver ou « rallumer » les gènes exprimant les récepteurs hormonaux. Là encore, la technique de la puce à ADN est particulièrement adaptée puisqu’elle permet de regarder l’effet d’un traitement sur l’expression d’un gène.
3e sous-groupe :de type normal-like. Ce sous-groupe se caractérise par des cellules qui ressemblent à du tissu mammaire sain. Cette dénomination tend cependant à disparaître car il s’avère qu’il s’agirait de cellules malignes ayant migré dans un tissu sein.
Classement selon la croissance
Lorsqu’une cellule normale subit des modifications génétiques (la mutation ou la perte d’un gène par exemple) ou épigénétiques (un gène ne s’exprime pas), elle peut évoluer en une cellule cancéreuse lorsque les mécanismes qui contrôlent la prolifération, l’apoptose, la différenciation ne peuvent plus se faire correctement.
Il a également été montré que ces cellules proliférantes sont directement issues des cellules souches de la glande mammaire qui se sont mal différentiées.
Cette multiplication anarchique reste au début assez localisée : on parle de carcinome ‘in-situ’ ou ‘non-infiltrant’. Lorsqu’il évolue, les cellules indésirables traversent la membrane basale : la tumeur est alors invasive ou infiltrante.
Le système circulatoire peut ensuite être touché, et notamment lorsqu’il y a perte d’adhérence, les cellules envahissent d’autres tissus : ce sont les métastases.
Conclusion et synthèse
Classer les différents types de cancers est une étape importante dans la compréhension de la maladie et sa prise en charge. Les différentes catégories sont multiples : les grandes lignes du classement sont synthétisées ci-dessous.
Fin de la partie II
Rendez-vous prochainement pour la suite de la série.
Partie III : quelles sont les causes connues de cancer du sein : les causes endogènes ?
Partie IV : quelles sont les causes connues de cancer du sein : les causes exogènes (environnement …) ?
Partie V : quels sont les facteurs protecteurs connus. Quels sont les mécanismes mis en jeu ?
Références utilisées et autres liens
Russo J. et al., « Developmental, cellular, and molecular basis of human breast cancer. », Journal of the National Cancer Institute Monographs, Vol (27):17-37, 2000 (lien ici)
Rakha E., et al., « Basal-Like Breast Cancer: A Critical Review », Journal of clinial Oncology, vol. 26 (15), pp 2568-2581, 2008
Chiche A., « Etude des cellules souches et progénitrices mammaires et de leur contribution à la tumorigenèse : rôle des facteurs de transcription Myc et p53 », thèse de doctorat en médecine, soutenue le 20 décembre 2012, (lien ici)
http://www.epathologies.com/sem/Sein1204/Classif%20Mol.pdf
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