L’odorat est un sens qui a perdu de son intensité, semble t-il, dans les méandres de l’évolution… En sommes-nous si sûrs ? Certes, l’homme fait pâle figure en comparaison de bon nombre d’espèces animales dont le sens olfactif est très développé car vital pour la recherche de nourriture (entre autres).
Plusieurs études sur l’odorat du petit humain m’ont interpellée. Différents travaux ont ainsi montré que le sens olfactif s’active dès la naissance, qu’il intervient fortement dans l’interaction mère-enfant et qu’il permet même des actions thérapeutiques notamment chez les prématurés. Voilà qui semble remettre en cause l’idée première que notre odorat n’est pas de grande utilité.
Je vous propose un petit tour d’horizon de la question.
Le système olfactif chez le petit homme
Avec le sens du toucher, le système olfactif est le sens le plus mature à la naissance. Pourquoi? parce que semble-t-il, il s’agit d’un avantage évolutif pour l’ensemble des mammifères, y compris l’homme. Darwin a d’ailleurs été le premier à relier empiriquement les odeurs de la mère à l’interaction mère-enfant. Des preuves ou des indices?
Environ 1-2% du génome humain est consacré à la production de récepteurs du système olfactif : c’est dire toute l’importance que revêt ce sens [1]. Un autre fait notable est que les neurones olfactifs, comme les neurones gustatifs, à la différence des autres neurones, se renouvellent de façon régulière.
Quant à l’utilisation que l’espèce humaine en fait, on peut se tourner vers les premières heures de vie. Le nouveau-né (homme ou animal) est spontanément capable (sans aucune expérience préalable) dans ses tous premiers instants de vie de détecter et reconnaître l’odeur des mamelons de sa mère afin d’aller téter (question de survie). Pour le bébé humain, l’odeur des seins de sa mère a un effet attracteur tel une phéromone. Son système olfactif est d’ailleurs capable de détecter des concentrations très basses. [2]. L’apprentissage de cette reconnaissance olfactive s’est faite pendant la vie intra-utérine [2] : le système olfactif du fœtus est un des premiers sens à se mettre en place entre la 11e et 15 e semaine. Les orifices nasaux permettent au fœtus, à partir du 6e mois, d’inhaler le liquide amniotique de composition variable.
Le sens de l’odorat contribue fortement à l’interprétation cognitive et émotionnelle des expériences du quotidien : cette gestion de l’information reçue, influence en retour le comportement de l’individu de sa naissance et pour le reste de sa vie.
Les odeurs de lait maternel et leurs effets
D’après les travaux de Browne [2], le lait maternel et le liquide amniotique ont la même signature aromatique pour le nouveau né. Les auteurs nous expliquent ce résultat par le fait que le placenta est très perméable aux solutés présents dans le sang, dont la qualité et quantité dépend du régime alimentaire de la mère. Il en est de même pour le lait maternel (composants et goût liés aux produits consommés par la mère).
On apprend aussi que la mémoire des odeurs de la vie gestationnelle est active chez le nourrisson immédiatement après sa naissance et dure plusieurs semaines voire mois. L’existence d’une période sensible (1h après la naissance) pour le développement du circuit olfactif a été démontrée et l’exposition de l’enfant à du liquide amniotique ou du lait maternel est particulière bénéfique [4].
Cette mémoire des odeurs lui permet de mieux s’adapter à sa vie extra-utérine comme s’il y avait continuité entre sa vie fœtale et sa vie de néonatale. Bref, une naissance « en douceur ».
Dans quelles mesures, cette stimulation aide-t-elle le tout petit à mieux démarrer sa nouvelle vie ?
1- Gestion de la peur
La stimulation olfactive transite par l’amygdale, l’hypothalamus et l’hippocampe, parties du cerveau dont on sait qu’elles font partie du circuit médiateur de la peur et l’anxiété [2].
Un des aspects de cet effet médiateur se concrétise par le bien-être psychologique : l’odeur maternelle soulage et calme l’enfant qui pleure. Ceci a été démontré de façon expérimentale (avec groupe de contrôle) par plusieurs chercheurs ([11]) en faisant respirer à différents nourrissons un vêtement porté par leur mère ou un vêtement non porté (pour un groupe de contrôle). Les auteurs concluent que les odeurs maternelles jouent un rôle clé dans la construction de l’attachement sécure, pour lequel la relation mère-enfant apporte sécurité et plaisir (état serein).
Une étude japonaise [3] s’est intéressée à 48 nouveaux nés (28 garçons et 20 filles) en parfaite santé (aucun problème gestationnel ni de complications à la naissance). Trois types de lait ont été utilisés comme stimuli olfactif (lait maternel, lait d’une autre mère, et lait d’une formule commerciale) lors des tests de prélèvements sanguins réalisés à la naissance. L’effet apaisant de la stimulation olfactive ne s’est produite que dans une seule configuration : suite à l’exposition au lait de sa propre mère. Il y a donc un effet de sélectivité. Certains chercheurs l’affectent aux gènes du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH), c’est-à-dire un système de reconnaissance propre à chaque individu qui s’exprime aussi dans les odeurs corporelles.
2- Gestion de la douleur physique
Plusieurs études ont montré que l’odeur du lait maternel pendant un événement douloureux pour l’enfant (acte médical par exemple) permettait de soulager la souffrance (la douleur était évaluée en suivant des paramètres physiologiques comme le rythme cardiaque, le niveau de cortisol et l’oxygénation du sang) [3]
3- Coup de pouce à la survie
Comme pour les espèces animales, il a été montré que la stimulation olfactive chez le petit humain déclenche la recherche de nourriture : activation du phénomène de succion (mouvements de bouche plus importants en durée et en intensité) conduisant au démarrage de l’allaitement ([9] et [11]).
Outre cet aspect nutritionnel, les auteurs de l’étude [1] concluent (en écho à d’autres travaux de recherche) que de nouvelles connaissances de la physiologie de l’odeur chez l’humain pourront avoir des implications majeures pour des actions thérapeutiques. Notamment pour les enfants prématurés, la stimulation olfactive a permis une nette diminution (de l’ordre de 45%) de l’apnée (avec et sans bradycardie) d’enfants prématurés [3].
Qu’en disent les principaux intéressés ?
Au-delà des mots, des moyens d’investigation simples permettent de comprendre où va la préférence des bébés. Comment ? Différentes études se sont intéressées à la préférence olfactive des nourrissons (lait maternel, lait de formulation ou solution saline). Le lait maternel a suscité plus d’enthousiasme (mouvements de têtes et activation buccale plus intenses) et cette préférence était indépendante de l’expérience de l’enfant (c’est-à-dire qu’un nourrisson non allaité était aussi attiré préférentiellement par du lait maternel) [9]. Le lait de formulation a ,pour sa part, était jugé plus attirant qu’une solution neutre [6] [8]. Ce résultat montre donc que tous les bébés auraient une préférence spontanée pour le lait maternel (ndlr : sûrement un agréable souvenir du liquide amniotique comme évoqué un peu plus haut).
Les odeurs aréolaires et leurs effets
Y aurait-il autre chose au-delà de l’odeur de lait ? Parmi les composés volatiles (donc olfactivement actifs), les plus étudiés sont effectivement ceux issus du colostrum et du lait excrété par le mamelon lui-même.
Or des recherches plutôt récentes (depuis une dizaine d’années) s’intéressent à comprendre toutes les structures du sein et leur fonctionnalité pour une lactation optimale et un allaitement réussi [7].
Les glandes de Montgomery par exemple ont fait l’objet de travaux intéressants. Ces glandes situées sur l’aréole, ressemblent à des petits tubercules. Elles sont formées par association d’unités sébacées et lactifères. Elles se développent pendant la grossesse et l’allaitement.
Il a été montré que ces glandes exocrines émettent des composés volatiles qui activent une réponse comportementale autonome chez le petit humain. Lesquelles et pourquoi ? Une bonne partie de ces composés volatiles sont identiques à celles du lait mais d’autres sont des substances propres à ces glandes (mais on ne sait que peu de chose en terme d’analyse).
L’étude [8] concernait 22 enfants (nouveaux nés) à qui on faisait respirer des sécrétions issues de glandes Montgomery (et uniquement celles-là donc pas de lait).
Ils en concluent que les glandes aréolaires (en plus de leur rôle lubrificateur du mamelon) interviennent aussi dans la communication chimiosensorielle entre la mère et l’enfant. Elles permettent de réguler les états d’éveil (stimulent l’enfant endormi), stimulent l’appétit, intensifient les mouvements de bouche et de tête et l’activité respiratoire.
Les odeurs de la mère en général (effet du peau-à-peau)
Est-ce qu’une mère non allaitante prive son nouveau-né de tout cela ?
Non, pas entièrement, heureusement… Il y a des situations où l’allaitement n’a pas pu se faire pour diverses raisons. Mais il faut absolument, comme nous le précisent les auteurs de l’étude [2], encourager les contacts peau à peau mère/enfant et éviter de masquer toute odeur maternelle (pas de savon).
Si le peau à peau n’est pas possible pour des raisons médicales, il est également possible d’envisager d’apporter un peu d’odeur maternelle déposée sur un coton.
Conclusion
Force est de constater que l’odorat même s’il semble un peu en retrait par rapport aux autres sens guidant l’homme dans son interaction avec son environnement, s’avère particulièrement important dans les premiers instants de la vie. Comme pour les autres mammifères, la stimulation olfactive est l’un des meilleurs moyens pour le petit, d’acquérir rapidement l’énergie des premiers instants pour entamer sa longue route de la vie.
Au-delà de cette nourriture physique, l’ensemble des articles scientifiques et thèses présentées ici nous prouve que la stimulation olfactive du nouveau né par le contact avec le corps et les seins de sa mère, est une véritable nourriture psychologique et émotionnelle (un pont entre sa vie fœtale et sa vie extra utérine). Ces odeurs maternelles, il les aime et les recherche.
Soulignons aussi l’impact thérapeutique de la stimulation olfactive, notamment pour les enfants prématurés (nette diminution de l’apnée (avec et sans bradycardie). Bref, le sens de l’odorat ne semble pas si atténué que cela pour l’espèce humaine…d’ailleurs nous assistons à un regain d’intérêt pour aiguiser ce sens : chez les jeunes enfants (création de jeux de reconnaissance des arômes) ou adultes (cours d’œnologie pour grand public par exemple).
Beaucoup de travail de recherche reste cependant à faire, notamment pour connaître en détails quels circuits cérébraux sont impliqués et comment l’apprentissage se met en place.
N’hésitez pas à partager ce travail de synthèse ! Un autre post relatif au pouvoir des mamans est à lire ICI.
Pour en savoir plus
http://fr.wikipedia.org/wiki/Olfaction
Annick Le Guérer , « Le déclin de l’olfactif, mythe ou réalité » Anthropologie et Sociétés, vol. 14 (2) (1990) , pp 25-45 http://www.erudit.org/revue/as/1990/v14/n2/015126ar.pdf
Références utilisées
1- Winberg J., Porter R.H. » Olfaction and human neonatal behaviour: clinical implications » Acta Paediatrica Vol 87(1) (1998), pp 6-10
2- Browne J. V., « Chemosensory Development in the Fetus and Newborn« , Newborn and Infant Nursing Reviews, Vol 8 (4) (2008), pp 180-186
3- Marlier L., et al. « Olfactory Stimulation Prevents Apnea in Premature Newborns« Pediatrics Vol 115 (83) (2005)
(en ligne http://pediatrics.aappublications.org/content/115/1/83.full.pdf)
4- Nishita, S. et al, « The calming effect of maternal breast milk odor on the human newborn infant« , Neuroscience Research 63 (2009), pp 66-71
5- Romantshik O., et al. « Preliminary evidence of a sensitive period for olfactory learning by human newborns« , Acta Paediatrica Vol 96 (2007), pp 372-376
6- Marlier L., Schaal B. « Human Newborns prefer human milk : conspecific milk odor is attractive without postnatal exposure« Child Development Vol 76 (2005), pp 155-168
7- Geddes D.T., « The anatomy of the lactating breast : latest research and clinical implications« , Infant, Vol 3 Issue 2 (2007), pp 59-63
8- Doucet S., Soussignan R., Sagot P., Schaal B., « The secretion of Areolar (Montgomery’s) Glands from Lactating Women Elicits Selective, Unconditional Responses in Neonates« , (2009) PLoS ONE 4(10): e7579
Thèse disponible en français ICI
9- Mizuno K., Ueda A., « Antenatal olfactory learning influences infant feeding« , Early Human Development, Vol 76 (2004), pp 83-90
10- Sullivan R., « Developing a sense of safety : the neurobiology of neonatal attachment« , Ann N Y Acad Science, Vol 1008 (2003), pp 122-131
11- Sullivan R., « Clinical usefulness of maternal odor in Newborns : soothing and feeding Preparatory Responses« , Biol Neonate, Vol 74 (6), (1998), pp 402-408
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