Nous sommes en plein dans la semaine thématique sur le Cerveau où de nombreux chercheurs dont ceux de la communauté « le Café des Sciences » vous invitent à partager leur enthousiasme pour appréhender cet organe fascinant qu’est le cerveau. Tout au long de la semaine, différents sujets sont traités. retrouvez-les tous ICI.
- Illustration de Marc
Profitons donc de ce thème pour creuser plus en profondeur les effets de l’allaitement sur le cerveau de l’enfant et son développement cognitif (déjà un peu évoqué ICI).
La question de savoir si les fonctions cognitives sont génétiquement déterminées ou si elles peuvent être influencées par l’environnement (telle que la nutrition) fait débat depuis longtemps. De nombreuses études ont montré un lien entre allaitement maternel et un développement cérébral optimal liées à de meilleures performances cognitives (aptitudes qui perdurent à l’âge adulte). Qu’en est-il exactement ? Je vous propose un petit tour d’horizon des résultats publiés dans la littérature spécialisée.
Tout d’abord, d’où part-on ? A quel niveau de développement en est le cerveau humain à la naissance ? Pourquoi et comment doit-il évoluer ?
Ensuite, quels sont les principaux résultats d’études liant allaitement et développement cérébral ?
Enfin, un petit zoom sur les éléments spécifiques du lait humain. Quel rôle jouent-ils pour le cerveau ?
I- Le cerveau du petit d’homme
Rappelons juste en préalable la définition de la cognition : c’est l’ensemble des grandes fonctions de l’esprit telle que la perception, le langage, la mémoire, la décision, le mouvement, la mémoire. Bref, toutes ces actions conscientes ou non, qui marquent notre quotidien d’être humain.
Il est également bon s’interroger sur la finalité de ces capacités ?
Pour J. Medina [1], le but de notre cerveau est d’assurer notre survie à chaque instant, pour échapper à l’extinction de l’espèce, et projeter nos « gènes » le plus loin possible dans le temps. Pour cela, il nous faut un gros cerveau sophistiqué, efficace, afin de mieux anticiper les dangers. Cette organisation élaborée n’est cependant pas compatible avec la grossesse et l’accouchement de l’espèce humaine (ex : limite en taille du bassin de la mère). Par conséquent, le petit humain naît avec un cerveau pré-câblé mais pas complètement développé (loin de là!) : il ne sera vraiment opérationnel pour l’ensemble des fonctions cognitives qu’à l’âge adulte. Une longue période (celle de l’enfance et de l’adolescence) est requise pour optimiser le câblage (c’est long! le plus long de tout le règne animal).
Les différentes étapes :
Le bébé naît donc avec toute un série de capacités cognitives mises en place pendant la période prénatale (par exemple il est capable de reconnaître l’odeur de sa mère, de téter et d’interagir avec son environnement par le biais de ses pleurs qui captent l’attention). Par contre, la partie supérieure du cerveau est encore très immature. Lorsque l’enfant quitte le nid douillet du ventre de sa mère, son cerveau est vulnérable, il va en effet être l’objet de stimuli intenses, qu’il doit apprendre à gérer. Mais ce sont ces différentes expériences de stimulation qui vont lui permettre de développer son système nerveux, de l’orienter selon les réponses reçues. Tout ceci s’opère de façon étonnamment rapide pendant les deux premières années, période où la capacité d’apprentissage est phénoménale. Ensuite le développement se poursuit plus lentement pendant toute la période de l’enfance. Et finalement, d’après les récentes découvertes sur la plasticité (voir ICI), cela n’est jamais complètement terminé.
Mais que se passe-t-il exactement au sein du cerveau pendant cette étape de maturation ? Tout simplement un multiplication des neurones d’une part (la neurogénèse) et une interconnexion très dense entre leurs extrémités en forme d’arbre (c’est l’arborisation dendritique).
- Neurogénèse : Source ICI
Plus le réseau sera dense et connecté, plus la circulation et la gestion des informations sera efficace, meilleures seront les chances de survie de l’individu à chaque instant de sa vie.
- Arborisation dendritique Source ICI
Ainsi, pour qu’un cerveau en cours de développement puisse mener à bien et efficacement sa tâche, différents processus doivent être facilités :
– la neurogénèse (ou fabrication de neurones) qui va nécessiter de la matière première,
– l’interconnexion neuronale qui sera facilitée par la fréquence et la nature des expériences (stimulation/réponses),
– le transfert d’information au sein du neurone et d’un neurone à l’autre (neurotransmission).
Dans quelles mesures, l’allaitement maternel remplit-il ces trois conditions ?
II- Impact de l’allaitement sur le développement cérébral et les aptitudes cognitives : ce que disent les études
Différentes approches ont été faites :
– comparaison à posteriori (sur la base de tests de QI) d’enfants allaités et d’enfants nourris au lait artificiel,
– approche expérimentale (sur humains et animaux),
– recherches des anthropologues.
Plusieurs études [2] [3] [4] [5] [6] ont montré une corrélation forte entre allaitement et développement cognitif et psychosocial chez l’enfant. Un meilleur développement intellectuel (sur la base de l’évaluation du QI d’enfants d’âges variant entre 6 mois et 15 ans) est corrélé à l’allaitement exclusif. De meilleures performances ont été observées dans le domaine de la lecture, écriture, mathématiques.
Dans nombre d’études, il a également été noté un effet dose/réponse marqué : plus l’allaitement est long, plus le gain en Qi est notable.
Quantitativement parlant, selon [9] la moyenne du QI pour la performance verbale (mesurée chez des enfants de 7 et 8 ans) était de 10.2 points supérieur chez les enfants allaités [9] et 6.2 points pour la performance globale. Après ajustement des autres facteurs (niveau intellectuel de la mère), le bénéfice chute d’environ 3 points.
Une autre étude fondée sur une méta-analyse englobant 7000 enfants [2], a montré que l’allaitement apportait un bénéfice de 5.3 points de la fonction cognitive (la comparaison a été faite sur des enfants de 6 mois et 16 ans).
Les différentes approches prouvent que l’effet commence à se faire sentir à partir de 4 semaines d’allaitement exclusif.
Enfin, les effets bénéfiques sur le cerveau sont d’autant plus marqué que le poids de naissance du bébé est faible (cerveau plus immature).
Une autre étude récente et assez intéressante [7], a fait le lien entre allaitement exclusif (à deux mois de vie) et la structure même du cerveau de l’enfant (mesures faites par échographie trans-fontanelle). Les auteurs ont en particulier montré que les bébés allaités exclusivement avaient un cerveau plus mature observable par la taille de leur thalamus (région sous-corticale qui gère le flux des informations traitées dans le cortex). Certaines études [8] confirment qu’un rétrécissement de cette zone est associé à un traitement de l’information plus lent.
Parmi les contre-arguments avancés sur ces nombreux résultats, beaucoup estiment que d’autres facteurs indépendants de l’allaitement peuvent expliquer les différences. En particulier : le contexte économique de la famille, la santé de la mère, son niveau d’étude, son intelligence. Des mères de niveau social plus élevé, avec un niveau scolaire plus élevé choisissent préférentiellement l’allaitement comme mode de nourrissage. Tout ceci est vrai mais des études à grande échelle [2] ont réussi à isoler l’influence bénéfique du contenu même du lait.
De plus, l’effet dose/réponse marqué qui a été montré, tente à prouver qu’il s’agit bien de l’allaitement qui est en cause et non uniquement les paramètres liés à la mère (QI de celle-ci par exemple)
L’approche expérimentale est riche en enseignement également. Dans cette étude [11], des tissus cérébraux d’enfants (décédés par Mort Subite du Nourrisson) ont été analysés et la façon dont ils ont été nourris durant leurs premiers mois de vie ont été recherchées. Il apparaît que les enfants ayant été allaités avaient un cerveau plus riche en une molécule spécifique (acide sialique – voir partie III). Les auteurs rappellent que cette molécule est active pour la synaptogénèse et l’arborisation dendritique.
Enfin un autre réponse nous vient des anthropologues, de leurs observations et réflexions sur l’évolution. Sachant que nos ancêtres ont tous survécu à l’allaitement des deux premières années de vie, les nutriments contenus dans le lait sont forcément adaptés au bon développement du cerveau humain. Voyons donc cela d’un peu plus près.
III- Eléments spécifiques du lait humain et leur rôle clé pour le cerveau
Comme déjà évoqué dans un précédent article, l’un des effets collatéraux de l’allaitement est l’attachement et l’interaction plus forte mère-enfant. Or on sait que l’attachement augmenté favorise le développement cognitif puisqu’il est lié à plus d’expériences, donc une multiplication des interconnexions neuronales.
Mais peut-on aller plus loin que cet effet-là et identifier les composants nutritifs favorisant la neurogénèse et la pousse dendritique ? Selon les résultats de certaines études, la réponse est catégorique [11] : la structure et la fonctionnalité du cerveau sont affectés de façon permanente par la nutrition des premières semaines de vie.
Les glucides
Parmi les glucides (ou sucres), on en trouve plusieurs types selon le nombre de sucres simples accrochés les uns au autres.
Le lactose est un disaccharide (deux molécules de glucose assemblées – dont l’une est « retournée »-). Parmi toutes les espèces de mammifères, le lait humain est l’un des plus riches en lactose, particulièrement utile pour le développement du tissu cérébral. Des anthropologues ont montré que les espèces les plus évoluées, sont celles qui produisent du lait à forte teneur en lactose.
Une autre spécificité du lait humain est la présence d’oligosaccharides ou oligosides (plus de 130 types différentes) ce que ne contient pas le lait de vache (par contre, le lait de marsupiaux en contient). Citons le sialyllactose (encore appelé pour les puristes N-Acetylneuraminoyllactose) et l’acide sialique.
Notons que le lait des premiers jours (colostrum) est plus riche en oligosides que le lait mature (22 à 24 g/l contre 12 à 13 g/l) ce qui correspond aux besoins plus importants du nourrisson pour la maturation cérébrale [16].
En effet, les deux oligosides cités ont montré un rôle important dans la construction du cerveau [11]. Des apports en l’acide sialique et sialyllactose chez des animaux conduit à des cerveaux plus riches en ces éléments, associés à une augmentation des capacités d’apprentissage. L’acide sialique est un récepteur pour les neurotransmetteurs du cerveau.
Les oligosides sont rarement libres, et se lient souvent de façon covalente à des lipides (glycolipides) ou à des protéines (glycoprotéines). Pour l’acide sialique, les chercheurs ont également remarqué qu’il est souvent partenaire du DHA (un acide gras _ voir la partie lipides) pour former des glycolipides acides. Cette association joue un rôle majeur pour la synaptogénèse et la neurotransmission.
Les lipides
Un acide gras, est un acide carboxylique dont la chaîne carbonée est très très longue (16 à 18 atomes de carbones pour les plus courant).
Quid du lait humain ? Aussi riche en lipides que le lait de vache mais plus digeste par la présence de l’enzyme « lipase » et différent également dans le type de lipides mis en jeu.
Parmi les graisses essentielles pour le cerveau, citons ceux-ci : l’acide arachidonique, le DHA (acide docosahexaénoïque) et le cholestérol.
Le cholestérol est 3 à 4 fois plus concentré que dans la plupart des laits artificiels : il joue un rôle dans le développement cérébral notamment la myélinisation (de façon générale, la myéline, principalement constituée de lipides, sert à isoler et à protéger les fibres nerveuses) et l’intégrité membranaire.
L’acide arachidonique (noté AA) et le DHA sont des molécules très concentrées dans les membranes cellulaires de la rétine et du cerveau [14], elles s’y accumulent très rapidement pendant la période de développement cérébral. Une comparaison des cerveaux (autopsies suite à un décès) entre enfants allaités et non allaités [18] révèlent des concentrations de 11% à 40 % plus élevées dans la matière grise chez les enfants nourris au lait humain.
Des études [14] ont montré un lien entre déficit en DHA durant la période périnatale et la performance cognitive à l’âge adulte.
L’une des explications avancées quant à son rôle est qu’il joue sur la flexibilité de la membrane de la cellule nerveuse, influençant la vitesse de transmission d’un signal, et la neurotransmission.
Globalement, le lait artificiel ne contient pas de DHA mais contient des précurseurs. Encore faut-il que les enzymes qui les transforment en DHA soient actifs chez le nourrisson.
Les protéines
Peu riche en protéines (220% en moins que dans le lait de vache : car nos cerveaux humains ont surtout besoin de sucres), mais leur qualité est spéciale : ainsi, la « brique de base » ou acide aminé les constituant est en grande proportion « la taurine »(10 x plus concentré que dans le lait de vache) qui joue un rôle important dans la construction du cerveau et le fonctionnement des cellules cérébrales.
Une autre protéine présente dans le lait humain (et non dans le lait de vache) est la leptine.
La leptine est une protéine composée de 167 acides aminés, elle régule les réserves de graisses (elle induit la lipolyse et la lipogénèse), joue sur l’appétit en contrôlant la satiété; il a été montré qu’elle est aussi impliquée [13] dans la régulation de la fonction cognitive en influençant le mécanisme mis en jeu lors de l’apprentissage et la mémoire.
Conclusion
Le mode de nourrissage est propre à chaque mère, guidée par son mode de vie, ses contraintes et surtout le soutien dont elle peut disposer si elle choisit l’allaitement maternel. Néanmoins, force est de constater, une fois encore, par le biais de l’ensemble des études qui ont été présentées que le lait humain contient tout ce qu’il faut et dans les proportions requises pour optimiser le cerveau de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra, assurant, espérons-le une longue vie épanouie.
Cette question est d’autant plus importante, même dans les pays industrialisés, pour les enfants prématurés particulièrement vulnérables aux déficits nutritionnels.
Cependant, la nature humaine a fait preuve d’une grande capacité d’adaptation, et la norme du biberon n’a pas pour autant empêché l’épanouissement de gens brillants.
Quelques compléments apportés à cet article ICI
Voir aussi l’article « Cultiver le goût de l’effort pour booster l’intelligence«
Article complémentaire (sept. 2014) « Des oméga-3 dans le lait maternel »
Ressources
[1] – Medina, J., « Brain Rules for Baby » 2010, Editions Pear Press
[2] Anderson JW, Johnstone BM, Remley DT, « Breastfeeding and cognitive development : a meta-analysis », Am. Journal Clinical Nutrition, 1999 ; 70 : 525-535
[3] O’Connor DL., et al., “Growth and Development In preterm infants fed long-chain polyunsaturated fatty acids : a prospective, randomized controlled trial”, Pediatrics, 2001 ; 108 : 359-371
[4] Oddy WH, Whitehouse AJ, and Co., « Breastfeeding duration and academic achievement at 10 years », Pediatrics, 2011 ; 127 (1) : p137-145
[5] Drane DL, Logemann JA, « A critical evaluation of the evidence of the association between the type of infant feeding and cognitive development », Paediatrics and Perinatal Epidemiology, 2000 ; 14 : 349-356
[6] Morthesen EL, Michaelsen KM « The association between duration of breastfeeding and adult intelligence », Journal of the American Medical Association, 2002 ; 287 : 2365-2381
[7] Herba CM, Rosa S. et al., « Breastfeeding and early brain development: the Generation R study », Maternal and Child Nutrition, 2012 (Abstract http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23167730)
[8] Batista et al. « Basal ganglia, thalamus and neocortical atrophy predicting slowed cognitive processing in multiple sclerosis », Journal of Neurology. 2012, 259 (1) : 139-146
[9], Horwood LJ, “Breastmilk feeding and cognitive ability at 7-8 years”, Arch Dis Child Fetal Neonatal Edition, 2001 ; 84 : F23-27
[10] Michaelsen KM, Lauritzen L., et al., « Breast-feeding and brain development », Scandinavian Journal of Nutrition, 2003 ; 47 (3) : 147-151
[11] Wang B. et al, “Brain ganglioside and glycoprotein sialic acid in breastfed compared with formula-fed infants”, American Journal of Clinical Nutrition, 2003 ; 78 (5) : 1024-1029
[12], Uauy R., Peirano P., “Breast is best : human milk is the optimal food for brain development “, American Journal of Clinical Nutrition, 1999 ; 70 (4) : 433-434
[13] Hüppi P., « Nutrition for the brain », Pediatric Research, 2008 ; 63 (3) : 229-231
[14] McCann J., Ames B., « Is DHA required for development of normal brain function ? An overview of evidence from cognitive and behavioral tests in humans and animals », Am. Journal Clinical Nutrition, 2005 ; 82 : 281-295
[15] Michaelsen KM, Lauritzen L., et al., « Breast-feeding and brain development », Scandinavian Journal of Nutrition, 2003 ; 47 (3) : 147-151
[16] – Comité de nutrition de la Société Française de pédiatrie, « Allaitement maternel, Les bénéfices pour la santé de l’enfant et de sa mère » http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/allaitement.pdf
[18] Jamieson EC et al., « Infant Cerebellar gray and white matter fatty acids in relation to age and diet » Journal of Lipids, 1999 ; 34 : 1065-1071
[19] Schack-Nielsen L., Michaelsen KM, « Advances in our Understanding of the Biology of Human Milk and its effects on the Offspring », Journal of Nutrition, 2007 ; 137 (2) : 5035-5015
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