L’intelligence de nos enfants : comment s’optimise-t-elle ? Beaucoup de parents s’y intéressent, s’emploient (consciemment ou non) à la développer par divers moyens (jeux, interactions sociales, découvertes, échanges …). Une histoire d’égo ? Une volonté de vouloir briller ? Pas vraiment, comme nous le verrons un peu plus loin, cela répond à une pulsion primaire ancienne de vouloir projeter nos gènes le plus loin possible sur le chemin de la Vie.
J’avais déjà évoqué le sujet du développement intellectuel et cognitif chez l’enfant dans un précédent article. J’ai eu de nouveau l’occasion de redécouvrir quelques extraits de l’ouvrage de John Medina [1] et de parcourir plusieurs études récentes venant compléter les explications du chercheur ; notamment sur l’influence de l’environnement sur l’épanouissement cérébral de l’enfant.
L’éducation transmise par les parents, le bain culturel dans lequel l’enfant grandit, le regard des autres, l’attitude des enseignants envers lui contribuent à forger « l’image de soi ». Or, la façon dont il se perçoit s’avère extrêmement importante dans toute nouvelle expérience, ou activité qui fait l’objet d’un apprentissage. Cette image façonnée par l’extérieur va induire tout un système de gestion de l’information nécessaire à la maturation du cerveau. Comment s’enclenchent ces processus ? Que nous enseignent les études sur le sujet ? Quel est l’impact de la culture ?
Retour sur l’intelligence : qu’est –ce que c’est finalement ?
L’intelligence est ce qui permet à chaque individu – depuis les débuts de l’humanité – de survivre, de s’adapter au mieux à son environnement afin d’échapper à l’extinction de l’espèce.
Chaque parent, a en lui, le désir de voir ses gènes survivre le plus longtemps possible ce qui se traduit par la volonté de voir sa descendance s’épanouir en assurant « aux petits » un cerveau bien fait, bien câblé.
En tous cas, c’est ainsi que nous la présente John Medina (Docteur en biologie et chercheur dans le domaine de l’intelligence humaine) dans son livre « Brain Rules for Baby » How to raise a smart and happy child from zero to five» (ou en français « Comment fonctionne le cerveau de bébé »).
Une explication toute darwinienne qui me plait bien !
“We survived because enough of us became parents good enough to shepherd our /…/ vulnerable off-spring into adulthood “
“As we evolved, adults who formed protective and continuous teaching relationships with the next generation were at a distinct advantage over those who either could not or would not”
Selon John, l’intelligence humaine se définit par deux composantes :
– la capacité à se souvenir d’une information stockée dans une « base de données » (d’où le lien avec la mémoire, comme déjà évoqué dans ce billet)
– la capacité à réutiliser les informations stockées, de façon à les adapter à des situations spécifiques (cela implique la capacité d’improviser, de pouvoir rappeler des éléments précis de la base de données et de les recombiner utilement)
D’un point de vue physiologique, c’est le développement de neurones, de cellules gliales et d’interconnexions efficaces entre cellules nerveuses situées dans diverses parties du cerveau qui permet à l’intellect de prendre toute leur ampleur.
Cultiver le goût de l’effort
John nous explique ensuite que le goût de l’effort compte énormément pour booster l’intelligence ! Pourquoi ? Comment ? L’effort, c’est la volonté et la capacité de se concentrer à un moment précis et dans la durée. C’est également la faculté de contrôler son impulsivité (être capable d’attendre le fruit de son travail).
L’auteur nous met en garde contre certains types de comportements éducatifs. Ceux de parents qui, croyant bien faire, valorisent systématiquement leur enfant pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait « Oh ! Bravo, tu es vraiment très doué ». Ce faisant, ils induisent l’idée que la performance de l’enfant vient d’une intelligence innée. L’auteur n’y va pas de main morte, il qualifie ce type d’encouragement de « toxique ». Il s’explique : l’enfant perçoit sa réussite comme un don plutôt que le fruit d’un effort.
Lorsqu’inévitablement, il se heurte à des situations plus délicates où la solution nécessite un investissement intellectuel plus élaboré : il commence à faire des erreurs. Celles-ci sont perçues comme des échecs immuables et son image de soi est immanquablement dévalorisée. Comme l’enfant ne connaît pas les ingrédients de la recette permettant de mener à bien une tâche et d’apprendre de ses erreurs, il se sent vite découragé, déprimé (car il relie « effort » à « limite de capacités »). C’est l’histoire classique des enfants brillants qui sont en échec scolaire parce qu’ils n’arrivent pas à travailler et ne connaissent pas la notion d’investissement et d’effort.
Alors que faut-il dire ? ET bien tout simplement « Oh Bravo, je suis fière de toi, tu as vraiment bien travaillé ! »
L’auteur nous précise que « 30 ans de recherche sur le suivi du développement intellectuel d’enfants montre que ceux encouragés sur leur efforts ont de meilleurs résultats scolaires et que cette réussite est visible également à l’âge adulte. En cas d’échec, l’enfant y voit un nouveau défi et remet en question sa façon de travailler ou d’appréhender une question en apprenant de ses erreurs. Bref, l’intelligence serait une faculté dynamique intimement liée à la notion de perception de soi développée par l’éducation !
Evidemment, j’ai voulu creuser un peu et en savoir plus sur ces études. Notamment, quels processus se mettent en place et que se passe-t-il dans les méandres du cerveau ?
Comment perçoit-on notre propre intelligence (statique ou évolutive) ? La différence dans le vécu de l’échec
[2] Carol Dweck est professeur de psychologie et concentre son travail de recherche sur le développement des individus autour des notions de personnalité, motivation et intelligence.
Elle a en particulier supervisé une étude à laquelle ont participé plus de 450 étudiants colombiens. Avant le test proprement dit, les étudiants ont été interrogés sur la façon dont ils percevaient l’intelligence. Certains étaient convaincus que celle-ci est statique, issue de capacités innées (groupe 1). D’autres au contraire, pensaient que l’intelligence pouvait évoluer dans le temps (groupe 2).
Ceux qui étaient partisans de la première théorie voulaient absolument être « les meilleurs » alors que pour les seconds, l’important était de sentir qu’ils surmontaient un défi.
Les étudiants ont subi à deux reprises des tests de culture générale : après la première série de questions, les résultats et les corrigés ont été rendus ; la seconde série de questions était identique à la première car il s’agissait d’un test de la seconde chance mais sous l’effet de « surprise ». Pour les deux groupes, les résultats ont été comparés et le mode de fonctionnement des participants face à l’échec a été étudiée (attitude et observation de l’activité cérébrale via électroencéphalogrammes).
Les deux groupes ont obtenu des résultats similaires au premier test mais le groupe 2 (partisans de l’intelligence évolutive) a beaucoup mieux réussi le test de la seconde chance car ils avaient appris de leurs erreurs…et avaient donc progressé.
L’activité neurologique comparée des deux groupes montre qu’ils traitent le conflit « performance /échec » de façon distincte.
Des ondes cérébrales particulières (P300) ont affiché des caractéristiques différentes notamment au moment de remise des résultats. Ces ondes reflètent l’activité dans le cortex angulaire antérieur, la zone qui traite l’information en jouant (entre autre) sur l’émotion, la vigilance et la motivation.
Le groupe 1 affiche une réaction émotionnelle forte en cas d’échec, et sont moins enclins à focaliser leur attention et surtout moins longtemps lors de la correction des tests.
En conclusion de leur étude et par comparaison avec des recherches similaires, les auteurs suggèrent que les croyances et la perception de nos propres capacités influencent l’attention et jouent sur le résultat final. Un enfant pour qui l’intelligence est statique, va se focaliser sur un objectif de performance et aura un traitement de l’information moins profond : il tirera beaucoup moins profit de ses éducateurs (parents, enseignants, moyens culturels mis à sa disposition).
Un individu pour qui l’intelligence est évolutive, aura le goût d’apprendre et de relever des défis et aura un meilleur parcours scolaire.
Corollaire
Ce qu’il faut retirer de ces résultats : un meilleur épanouissement intellectuel est favorisé lorsque parents ou enseignants donnent confiance aux enfants en les encourageant sur un résultat issu d’un effort.
Donc les phrases du type « tu es un génie ! » sont à proscrire. Mais ceci indique également que les encouragements négatifs du style « Rien à faire avec toi, tu n’es pas doué dans cette matière » sont vraiment lourds de conséquence. En effet, bien au delà des mots, c’est une vision statique d’une « faible performance » qui est renvoyée à l’enfant. Dans cette situation, l’apprentissage ne sera que trop peu mis à profit…alors forcément le résultat sera à l’image de la prédiction.
Une histoire de culture ?
Il est intéressant de jeter un œil sur les manières d’enseigner de plusieurs pays de cultures différentes. C’est ce qu’ont fait plusieurs psychologues dont Jim Stigler et je vous renvoie à cet article très intéressant qui raconte quelques anecdotes très révélatrices du poids de la culture (comparaison de l’approche de l’enseignant japonais et américain).
- Source ICI
Il a remarqué que dans les petits classes (primaire) l’enseignant japonais mettra en lumière l’enfant qui n’a pas réussi un exercice, il lui demande par exemple, de refaire la tâche graduellement devant tous ses camarades. Une situation que dans notre culture, nous jugerions vraiment « stressante » pour l’enfant en difficulté. Effectivement, Jim Stigler nous confirme que la tendance est que l’enseignant américain fera passer au tableau un élève qui a réussi.
Résultat : l’enfant (en échec au départ) va beaucoup apprendre lorsqu’on lui demande d’essayer encore et encore. Guidé peu à peu par ses camarades et encouragé pour son effort. La réussite est souvent au bout !
Les pays occidentaux jugent l‘effort important comme synonyme de manque de capacité. Dans les pays de culture asiatique, l’effort est vu comme une opportunité, une étape dans le processus d’apprentissage.
L’étude bibliographique [3] corrobore ces observations et nous apprend que les pays qui ont de meilleurs résultats en mathématiques enseignaient la matière de façon différente.
« Results from the study showed that high-achieving countries (Csech Republic, Hong Kong, Japan…) tech 8th grade mathematics in different ways. »
En particulier, les enseignants américains, prenaient plus rapidement la solution de donner la solution, sans laisser chercher.
« …teachers in the United Satets … almost always stepped in and did the work for the students…«
Il s’agit bien d’une différence culturelle, car les mères américaines et japonaises, elles aussi, ne se comportent pas de la même façon avec leur enfant. La vision américaine est plutôt sur le modèle de l’intelligence figée (on a la capacité ou on n’a pas). Dans la culture asiatique, c’est le travail intensif qui est encouragé.
Quel est le meilleur système ? Difficile de répondre, chacun a ses forces et ses failles ! Parce que l’intelligence n’est pas forcément synonyme de réussite aux tests scolaires… la notion de créativité est aussi essentielle, ce que ne développe pas assez les cultures asiatiques selon leur propre autocritique. » Easterners worry that they’re not creative enough or individualistic enough. Easterners worry about being too much like robots. »
Conclusion
Sujet très intéressant, que l’intelligence de l’enfant et les liens mis en évidence entre l’image de soi et les processus d’apprentissage. Certaines informations recueillies par le biais de ces lectures me parlent beaucoup et font écho à plusieurs de mes observations personnelles avec mes enfants…
Bien sûr chaque enfant est unique, chaque parent aussi, donc chaque situation est un peu un cas particulier. Mais les tendances sont là !
Je finirai en revenant sur le sous-titre du livre de John Medina « How to raise a smart and happy child from zero to five » ce qui signifie que notre action éducative doit aider un tout petit à devenir un enfant intelligent et heureux . N’oublions pas que les deux vont de pair…à suivre…
Article publié sur la communauté « Les Vendredis Intellos«
Voir aussi une autre analyse (plus globale) de l’ouvrage de John Medina ICI
Références
[1] Medina, J., « Brain Rules for Baby : How to Raise a Smart and Happy Child from Zero to Five », Pear Press, 2010
[2] Mangels, J.A., « Why do beliefs about intelligence influence learning success? A social cognitive neuroscience model » Soc Cogn Affect Neurosci. 2006 September; 1(2): 75–86 Lien 10.1093/scan/nsl013
[3]http://timssvideo.com/sites/default/files/A%20World%20of%20Difference.pdf
http://www.scientificamerican.com/article.cfm?id=how-stereotyping-yourself-contributes-to-success
6 comments for “Cultiver le goût de l’effort pour booster l’intelligence”