Aspirine dans tous ses états

Sûrement pourrez-vous trouver sur Internet des recettes permettant de soigner un mal de tête ou une fièvre grâce à  une infusion de de produits issus de votre jardin…notamment des décoctions à base d’écorce de Saule. Mais attention aux surdosages, la nature n’est pas forcément synonyme d’innocuité (voir ici). En ce qui me concerne, je préfère « contrôler » la dose ingurgitée en avalant plutôt un comprimé d’aspirine ! 

Salix

Effectivement, l’infusion d’écorce ou de feuilles de saule blanc est riche en l’aspirine, c’est d’ailleurs à cet arbre (Saule=Salix) que la molécule doit son nom chimique  : acide acétylsalicylique.   

Voyons cela d’un peu plus près : quels sont ses effets (les plus connus mais aussi ceux mis à jour par des récentes découvertes) et les principaux mécanismes qui les expliquent.

aspirin

Source ICI

Formule et réactivité
La molécule d’aspirine ou acide acétylsalicylique porte également le nom d’acide 2-(acétyloxy)benzoïque. On a donc parmi les caractéristiques notables :
– un acide carboxylique (COOH),
– un noyau aromatique,
– une fonction ester avec un groupe acétyl (CO-CH3)
C’est ce dernier groupe qui explique le monde d’action de la molécule.

molecule_aspirine

Les effets de l’aspirine
L’acide acétylsalicylique agit sur l’inflammation, la douleur, la fièvre et sur la coagulation sanguine. Des recherches récentes ont également montré des effets sur la survenue de cancers, leur propagation et récidive. 

Fièvre, douleur, inflammation et coagulation sanguine sont tous des phénomènes liés à l’action des prostaglandines : des médiateurs chimiques lipidiques (formés à base d’acides gras essentiels) à action rapide et puissante, agissant localement ; les prostaglandines sont synthétisées dans de nombreux tissus et les organes.

Inflammation :
L’inflammation d’un tissu est une réaction normale innée de notre système immunitaire suite à une agression (blessure, brûlure, allergie…).  Elle se manifeste principalement par une rougeur, une sensation de chaleur localisée, un œdème, une douleur.
Pourquoi cette réaction ? tout simplement pour lutter au plus vite contre l’agression .
En effet, la réaction inflammatoire s’accompagne d’une sécrétion de prostaglandines (notées PG) dont l’un des effets est d’accélérer la circulation sanguine pour évacuer au plus vite les toxines et apporter les éléments de défense (globules blancs). La dilatation des vaisseaux sanguins rend compte des rougeurs et sensation de chaleur, et le passage de l’eau du plasma dans les cellules provoque l’œdème. Ce dernier comprime les nerfs sensitifs, la douleur apparaît.

Une autre particularité des PG synthétisées localement et qu’elles vont se fixer sur les cellules voisines de la zone inflammatoire, contribuant ainsi à propager l’inflammation.

inflammation

Douleur
Lorsque les récepteurs sensibles à la douleurs (nocicepteurs) sont stimulés, l’information transite le long de neurones sensitifs et entre les neurones (via les synapses) jusqu’au cerveau doté de récepteurs de la douleur. Le cortex cérébral nous informe alors de cette sensation douloureuse.

Là encore, les prostaglandines permettent de comprendre. En effet; elles ont comme autre rôle de rendre plus sensibles les terminaisons nerveuses. Ce qui fait que la douleur (pour un stimuli de même intensité) est plus vive.
L’intérêt ? Informer le cerveau de la localisation d’une anomalie 
et déclencher une réaction.

Fièvre
En cas de menace ou de présence d’antigènes, les prostaglandines produites ont également une action au niveau de l’hypothalamus, cette région du cerveau qui s’occupe de la régulation de la température. La valeur cible est augmentée : l’ordre est donné de produire plus de chaleur et d’en perdre moins.

L’intérêt est que la chaleur accélère les vitesses de réactions immunitaires et rendent les globules blancs plus efficaces.

En conclusion : on voit que les prostaglandines sont les molécules actives de la situation. Elles ont aussi aussi beaucoup d’autres effets qui seront évoqués un peu plus loin.

Oui mais…

Toutes ces réactions naturelles de défense immunitaire sont efficaces mais sur le long terme et de trop grande intensité, elles peuvent devenir délétères. D’où la nécessité de les enrayer si l’inflammation ne passe pas.

Mode d’action de l’aspirine
La cible de l’aspirine : les prostaglandines. En empêchant leur formation, l’aspirine rompt le cou (d’un seul coup d’un seul) à l’inflammation, la douleur et la fièvre ! Pratique…
Pour comprendre comment, il faut revenir un peu sur la formation des prostaglandines. Ces molécules lipidiques sont formées à partir d’acide gras (tels que l’acide arachidonique dont nous avons déjà parlé dans un article sur le développement du cerveau) qu’il faut cycliser et oxygéner… Ceci n’est pas vraiment facile : il faut beaucoup d’énergie pour réaliser cette performance ; en termes chimiques, on dit qu’il y a une forte énergie d’activation, c’est-à-dire une barrière énergétique à  » franchir ».
Pour abaisser la barrière énergétique et rendre la réaction faisable, on doit faire appel à d’autres intermédiaires : c’est le rôle des catalyseurs ou enzymes, qui se reconnaissent au suffixe  « ase » (lipase, lactase…).

Dans le cas qui nous intéresse, ce sont des cycloxygénases, plus communément appelés COX. De longues protéines en forme de spaghettis, des chaînes d’acides aminés. Il y en a de plusieurs types, dont COX1 et COX2.

COX

La molécule COx, en forme de spaghetti + ou – enroulé

L’aspirine, grâce à son groupe acétyl va réagir avec le site intéressant (un acide aminé particulier) de la molécule COx, celui qui facilite justement la réaction de synthèse des PG.

Cox_asp

Source ICI

Bref, l’aspirine inactive irréversiblement les enzymes COx… les PG ne sont pas produites, pas d’inflammation.

Côté aspirine, une fois le groupe acétyl parti ailleurs, la molécule devient l’acide salicylique. Des récentes études, ont montré que ce côté de la molécule est lui aussi impliqué dans le processus de réduction de l’inflammation. Il semble que cela soit un mécanisme épigénétique qui entre en jeu (un gène n’est plus exprimé).

Différences entre COx1 et COx2 et effets secondaires de l’aspirine
Bien que toutes les deux de même nature (même structure tri-dimensionnelle), COx1 et COX2 se différencient par la taille de leur site actif : les prostaglandines qui résultent de leur action sont un peu différentes, certaines sont spécifiques de l’enzyme COx2. L’activité des PG dépend également du type de cellules dans lesquelles elles sont synthétisées.

COx1  agit en continu et donne naissance à des PG dans de nombreuses cellules. Elles jouent un rôle protecteur sur le fonctionnement des différents organes (protection de l’estomac par du mucus par exemple). COx1 favorise également l’apparition de thromboxanes (molécules agissant sur l’agrégation des plaquettes, des coagulants)

COx2 apparaît en situation d’agression. Les différents effets sont donnés sur la figure ci-dessous.

COx_prostag

Représentation schématique simplifiée du métabolisme des prostaglandines. D’autres médiateurs moléculaires sont présents (non représentés ici) et jouent un rôle dans les phénomènes d’interactions et les boucles de régulation.

L’aspirine n’est pas sélective : elle agit sur les deux enzymes. Par son   effet sur COX2, l’inflammation est inhibée. Son action sur COx1 génère des effets secondaires :
– L’effet protecteur du mucus contre l’acidité gastrique est supprimé : l’aspirine conduit à des brûlures d’estomac, voire des ulcères et saignements.
– L’équilibre permettant d’obtenir la fluidité sang optimale est rompu dans le sens d’un effet anti-coagulant (via notamment la suppression des thromboxanes).

D’autres traitements anti-inflammatoires tels que les Coxibs ont été développés récemment (mise sur le marché en 1999). Ils permettent  de cibler l’enzyme COx2 et donc « à priori » d’éviter ces effets secondaires. Néanmoins, les retours d’expérience ne sont pas aussi catégoriques.

L’aspirine active contre le cancer

Plusieurs études expérimentales et épidémiologiques ont montré un effet protecteur de l’aspirine contre différents cancers digestifs (diminution de la récurrence de polypes intestinaux), mais également contre le cancer du sein. 
Une étude épidémiologique écossaise très récente (Avril 2013), sur plus de 110000  femmes (dont certaines consomment de l’aspirine depuis 3 à 5 ans)  a montré une diminution de 30 % des risques de cancer du sein [1]
Trois autres études (2012, réf [2], [3], [4]) parues dans  » Lancet  » et « Lancet Oncology » menées par P. Rothwell de l’université d’OXford se sont attachées à analyser des données recueillies sur un grand nombre de personnes (77500). L’effet observé concerne :
– le risque de survenue de cancer qui diminue de 25 % après 3 ans de prise quotidienne d’aspirine (300 mg/j),
– les risques de métastases (qui diminue de 36 % notable sur 6 ans 1/2 de prise de 75 mg/j)
– la mortalité diminue de 37 % après 5 ans de prise quotidienne. 

Deux explications sont avancées pour expliquer ces résultats :
– l’aspirine prévient l’inflammation qui déclenche généralement la croissance de cellules cancéreuses (voir ICI),
–  l’aspirine améliore la fluidité du sang et induit une meilleure circulation sanguine. 
Or, des cellules cancéreuses s’enracinent plus facilement dans un flux ralenti..                                                                                       

Qu’attend-on pour préconiser la consommation quotidienne d’aspirine ?
Visiblement, il n’y a pas encore consensus entre les différents protagonistes. Peu d’essais en double aveugle sur une durée assez longue ont été menés.
Des effets secondaires ont été mis en évidence : notamment l’ulcération des systèmes digestifs et hémorragies. Reste à trouver le bon équilibre pour que les bénéfices ne soient pas dépassés par les risques.
Notons, que pour les personnes en rémission de cancer ou celles chez qui on a diagnostiqué un cancer à un stade précoce, cette possibilité d’intégrer l’aspirine à leur traitement est déjà envisagée.

Références des études

[1] Caroll S. et al,  « Aspirin Use in the Community and the Risk of Breast Cancer », Abstract

[2] P.M. Rothwell et al, « Effect of daily aspirin on risk of cancer metastasis: a study of incident cancers during randomised controlled trials », The Lancet, Volume 379, Issue 9826, Pages 1591 – 1601, doi:10.1016/S0140-6736(12)60209-8,  2012

[3] P.M. Rothwell et al, « Short-term effects of daily aspirin on cancer incidence, mortality, and non-vascular death: analysis of the time course of risks and benefits in 51 randomised controlled trials », The Lancet, Volume 379, Issue 9826, Pages 1602 – 1612, doi:10.1016/S0140-6736(11)61720-0,  2012

[4] A.M. Algra,  P.M. Rothwell, « Effects of regular aspirin on long-term cancer incidence and metastasis: a systematic comparison of evidence from observational studies versus randomised trials », The Lancet Oncology, Volume 13, Issue 5, Pages 518 – 527,  doi: 10.1016/S1470-2045(12)70112-2,  2012

Pour en savoir plus

http://fr.wikipedia.org/wiki/Acide_ac%C3%A9tylsalicylique

http://www.snv.jussieu.fr/vie/dossiers/aspirine/aspirine.html

http://en.wikipedia.org/wiki/Mechanism_of_action_of_aspirin

http://fr.wikipedia.org/wiki/Prostaglandine

http://fr.wikipedia.org/wiki/Cyclo-oxyg%C3%A9nase

http://www.nature.com/nrc/journal/v1/n1/fig_tab/nrc1001-011a_F1.html

http://www.elmhurst.edu/~chm/vchembook/555prostagland.html

http://www.gremi.asso.fr/_/Prix%20GREMI%202009.htm

http://fr.wikipedia.org/wiki/Coxib

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