J’adore me pencher sur le sujet des aliments pour plusieurs raisons : pour le lien qu’ils entretiennent avec la santé bien sûr ou le plaisir gustatif qu’ils présentent, mais aussi pour l’intérêt qu’ils suscitent en moi d’un point de vue composition chimique : en voilà de la belle chimie appliquée. Comprendre quelles molécules expliquent une propriété particulière, confèrent une saveur, une couleur ou présentent un attrait pharmacologique, c’est passionnant et ce fut l’objet de plusieurs posts sur ce blog.
Pour mémoire, nous avions évoqué les enzymes contenues dans l’ananas, les effets de la consommation du poisson sur le cerveau, l’amylose et l’amylopectine des pâtes, les anthocyanidols du chou rouge qui expliquent la couleur, l’effet de la consommation des fibres sur le microbiote, les carottes bonnes pour la vue, l’oléuropéine des olives, la théobromine du chocolat, les Acides Gras, …et bientôt la science de la bière.
Bref, je ne pouvais vraiment pas passer à côté de l’exposition présentée actuellement au Forum des Sciences de Villeneuve d’Ascq (près de Lille) sur le thème de l’alimentation intitulée « Bon appétit » . Cette exposition a été conçue par la Cité des Sciences et de l’Industrie : j’y ai emmené mes enfants qui ont adoré ! Une présentation très complète sur un thème qui fait l’objet de nombreuses questions scientifiques (pour comprendre les mécanismes touchant au vivant) mais soulève pas mal d’interrogations (agriculture, environnement) et de réflexions (économie, société, culture).
« Bon appétit » est une exposition qui, de façon ludique et variée, explique, sensibilise et met en garde, mais aussi ouvre sur de nouveaux horizons (culturels et scientifiques).
Voici un bref aperçu.
Une exposition qui informe, qui explique
La digestion : la maquette pour tout comprendre
Une magnifique maquette – toute en couleurs, en lumières, en mouvements – accueille le promeneur qui voit se dérouler chacune des étapes de la digestion : du point d’entrée jusqu’au point de sortie (ça fait beaucoup rire les enfants) avec explications à la clé.
On y découvre alors la découpe physique (mastication, brassage, malaxage), et les différentes attaques chimiques (suc gastrique, enzymes, dégradation par le microbiote).
Alors saviez-vous par exemple que la nourriture déjà bien attaquée par les sucs gastriques (et quelques enzymes) sort de l’estomac sous la consistance d’une pâte (car en contact intime avec de l’acide chlorhydrique et autres liquides riches en pepsine*) qui s’appelle le chyme.
La pepsine* est une enzyme spécialisée dans la découpe des longues protéines en morceaux plus petits (les peptides) (ndlr : cela se fait par hydrolyse de liaisons peptidiques).
L’étape clé de la digestion (passage des nutriments issue du travail préalable de découpe vers le sang) concerne l’intestin. On y voit l’intestin grêle avec en première partie le duodénum puis le gros intestin. Notons que la contraction des muscles lisses permettant de faire avancer le bol alimentaire au sein de l’intestin (péristaltisme) est assez bien rendue sur la maquette.
L’énergie et les nutriments
La digestion étant faite, cap sur l’énergie et les nutriments. En différents panneaux descriptifs, jeux de découverte, quizz, le visiteur découvre ce que sont que les glucides, les sucres lents, rapides, le rôle des minéraux puis les calories et les dépenses énergétiques selon l’âge, le sexe, les activités.
Le cerveau et les sensations
Mais l’alimentation c’est avant tout une histoire de sensations et pas seulement gustatives. Tous les sens sont sollicités : l’odorat tout d’abord accompagné du feed-back du cerveau (c’est lui qui reconnaît les odeurs et qui les classe, selon la culture et l’histoire de l’individu, dans les deux catégories : agréable ou détestable.
Une petite exception tout de même : le bébé apprécie spontanément le goût sucré du lait de sa mère. Effectivement très riche en glucide, il est capital pour le développement cérébral du tout petit (nous en parlions ICI).
Il y a aussi le rôle des oreilles qui détectent les bruits de mastication et repèrent les sensations : croustillant, croquant toujours grâce à l’interprétation du cerveau.
La vue joue également un rôle important, notamment par le biais des couleurs des aliments. Encore une histoire d’apprentissage qui nous retiendra de croquer dans une « pomme bleue ».
Et enfin le toucher et le goût dont certaines informations transitent par le nerf trijumeau, qui en plus d’une action motrice, permet la perception du chaud, froid, de la consistance, du piquant du poivre ou de la fraîcheur de la menthe.
Une exposition qui met en garde et sensibilise
Questions de santé, d’environnement, de société… il y a de quoi s’interroger sur des problèmes bien réels nous touchant personnellement à court ou moyen terme mais aussi sur les menaces qui pèsent ici ou déjà là-bas pour nourrir correctement les populations.
Alimentation et santé
On y évoque les liens entre la santé et l’alimentation quand des dérives apparaissent ou tout simplement pour se protéger !
L’anorexie mentale et ses conséquences dramatiques (attention aux régimes draconiens et aux signes d’alerte) sont abordées mais aussi l’obésité et les facteurs qui y sont liés. On voit encore tellement de raccourcis de pensée (obésité égale « mal bouffe » et « gourmandise » avec tous les jugements de valeur qui en découlent) qu’il est bon de rappeler que jouent aussi bien d’autres facteurs : des troubles endocrines, la qualité du sommeil, la génétique.
On met en garde contre les excès de sel (lien avec l’hypertension) et l’usage des compléments alimentaires dont la pub alléchante n’a pas de base scientifique fiable.
Enfin, avec toutes les précautions qui s’imposent lorsqu’on recommande la consommation d’un aliment qui pourrait apporter un bénéfice sanitaire, on retrouve quelques résultats encourageants : le curcumin présent dans le safran ou le curry, protégerait de la maladie d’Alzheimer (cela concorde avec les résultats de recherche sur les flavanols qui mettent en lumière leur rôle dans la lutte contre le déclin cognitif et la progression de la maladie d’Alzheimer, nous en parlions ICI).
Production de nourriture et environnement
L’exposition présente la transformation des produits de l’agriculture et sous forme de devinettes amène à s’interroger sur l’ensemble des débouchés des céréales : maïs, blé, riz.
Parmi les utilisations du maïs, il est rappelé qu’il est utilisé dans les biscuiteries, les brasseries, et les bioplastiques.
L’environnement se trouve au cœur des grandes préoccupations du domaine de l’alimentaire et ce, par le biais de différentes interrogations :
– comment nourrir tout le monde ?
– Comment s’organiser pour un meilleur avenir pour la planète ?
– Quel indice carbone pour les aliments ? (il faut bien sûr intégrer les émissions de CO2 pour les étapes d’emballage, d’acheminement, et les besoins en énergie lors des transformations)
– Comment optimiser les consommations d’eau et l’utilisation des engrais ou pesticides ?
Les recherches en agronomie offrent quelques pistes d’alternatives pour tenter de sortir des schémas actuels : rotation des cultures, techniques d’arrosage et des associations de cultures.
Mais l’une des composantes essentielles de la problématique mondiale passe par nous, consommateurs.
Consommation et société
Nous ne sommes pas tous égaux par rapport aux ressources naturelles, aux climats, à l’accès aux techniques (mécanisation, aménagement du territoire) mais surtout nous ne sommes pas tous égaux par rapport à l’accès à la nourriture. Le nombre de personnes dans le monde souffrant de sous-alimentation est malheureusement encore en hausse et le grand paradoxe est qu’il touche essentiellement des paysans (sans terre car dépossédés de leur bien pour développer une agriculture à grande échelle). Se pose alors un réel problème de la répartition de la production agricole mondiale… Cela interroge et un certain nombre de verrous doivent sauter pour que les choses évoluent de façon efficace : l’un d’eux est notre culture !
Une exposition qui ouvre les horizons
Découverte d’autres cultures
Alors pour marquer les esprits, focus sur le travail du photographe Peter Menzel qui en dit long sur la grande disparité des habitudes alimentaires au sein de notre planète : des familles sont « immortalisées » devant leur consommation alimentaire d’une semaine. On peut noter, outre les différences flagrantes de quantités et la surconsommation dans nos sociétés occidentales, le fait que certaines populations ont des habitudes alimentaires reposant sur des produits alimentaires non transformés.
Parviendra-t-on à changer nos habitudes consuméristes ? Une nécessité face aux menaces qui planent sur les difficultés de nourrir toute la planète de façon décente tout en étant capables de régénérer les écosystèmes et en limitant autant que possible le dérèglement climatique.
Découverte de nouveaux domaines scientifiques
Personnellement j’y ai découvert la notion de nutrigénomique, une discipline toute neuve qui s’intéresse à la façon dont les nutriments (ou les carences en nutriments) agissent en synergie pour modifier l’expression d’un ou de plusieurs gènes dans différents tissus (via un mécanisme épigénétique). On peut alors espérer résoudre des problèmes métaboliques et mettre au point des régimes ciblés pour chaque individu.
Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, on y évoque également la cuisine moléculaire : le monde génial développé, entre autres par Hervé This où la physico-chimie des réactions est au cœur des réflexions pour optimiser des recettes !
Bon, je m’arrête ici. Le sujet de l’alimentation est très vaste, pose beaucoup de questions qui touchent tant de domaines et d’acteurs et impacte notre avenir (nous y reviendrons). Je recommande donc vivement à tous la visite de cette exposition qui cible tout type de public : les jeux qui y sont présentés plairont aussi aux tout-petits.
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