C’est super chouette la piscine, non ? Mais peut-être cela évoque-il en vous, odeurs de chlore (du moins c’est ce que vous pensez), yeux qui piquent, carrelage (parfois d’une composition très esthétique) qui égratigne les pieds (revêtement du bassin) ou que sais-je encore ?
Oui, mais cela, c’était avant… Avant que de nouvelles conceptions, plus respectueuses de l’environnement (et de nos muqueuses), ne voient le jour. Maintenant les nouvelles générations de piscines se tournent dès que possible vers des sources de chaleur « propres » tels que des panneaux solaires ou la pompe à chaleur pour le chauffage, l’ozone pour le biocide et une gestion parcimonieuse de l’eau des bassins. Enfin, elles ont généralement troqué le carrelage des bassins (difficile d’entretien) contre un bel inox brossé. Bref, une démarche qui s’inscrit dans le développement durable et reposant sur des équipements qui répondent aux attentes du public et des collectivités en terme de confort, santé et économie d’énergie.
Alors voilà, près de chez moi, dans les Weppes au beau milieu des champs, à Herlies, une piscine de ce type à vu le jour en 2012. Construite par la Métropole Européenne de Lille (MEL), elle reçoit environ 700 personnes par jour soit une fréquentation de 231.000 nageurs pour l’année 2015. L’office du Tourisme des Weppes y organise régulièrement des visites techniques. J’ai évidemment profité de l’occasion (et deux fois plutôt qu’une) pour plonger dans les dessous cachés de cette piscine : c’était vraiment très intéressant.
Nous avons été reçus par Mr Devos, responsable technique de l’équipement qui n’a pas ménagé son temps pour nous offrir des explications détaillées sur les installations dont il a la charge quotidiennement.
La piscine offre trois bassins : un bassin sportif de 620 m3 ainsi qu’un bassin d’apprentissage et un bassin « petite enfance » (au total il s’agit de 900 m 3 d’eau)
Les qualités d’une eau de piscine
Les risques quand on partage son bain avec autrui est d’être « contaminé » par la pollution de son voisin (voir paragraphe suivant) qui, si rien n’est fait peut conduire à un vrai bouillon de culture. Il est donc primordial que l’eau de baignade soit exempte de tout contaminant à son entrée dans le bassin mais qu’elle soit aussi capable de « neutraliser » tout pathogène amené par les baigneurs, le tout en évitant d’irriter l’œil. Bref, trois conditions sont nécessaires :
– une eau désinfectée,
– une eau désinfectante,
– une eau non irritante.
Pour la première qualité, c’est l’injection d’ozone (O3), un oxydant puissant (voir le dernier paragraphe) qui va permettre d’agir et ce, dans le circuit de traitement dédié en amont des bassins (et géographiquement situés sous les bassins). L’eau traitée et redirigée vers les bassins doit par contre être exempte de cet oxydant.
Pour la seconde qualité, l’eau des bassins comporte un oxydant chloré (classiquement de l’eau de javel ou acide hypochloreux NaClO), en quantité contrôlée de manière à maintenir un résiduel de chlore libre. Ce dernier va détruire les micro-organismes (bactéries, virus, champignons, protozoaires) : cet oxydant puissant capture des électrons et notamment au niveau des membranes cellulaires. La membrane détruite, le chlore pénètre dans les cellules, interrompt le métabolisme et désorganise intégralement la structure (oxydation des protéines,de l’ADN).
Enfin, l’ajout de chlore nécessaire pour le résiduel à visée désinfectante, modifie l’acidité. L’eau de javel ou hypochlorite de sodium est une base, le risque d’augmenter le pH au-delà du supportable pour l’œil (pH optimal = 7,4), les muqueuses nasales est à prendre en compte. Bref, la contrainte est d’assainir sans irriter. Le pH est donc un paramètre clé qui doit être maintenu dans une fenêtre précise [7- 7,4] (sachant que la plage réglementaire est plus large [6,9 – 7,7]).
La valeur du pH joue également sur d’autres aspects précisés ci-dessous.
La pollution humaine et les « odeurs de chlore »
Micro-organismes (virus, champignons, bactéries, protozoaires) -pathogènes ou non- mais aussi cheveux, urine, sueur, salive, sécrétions, graisses de la peau et du cuir chevelu ou autres polluants dissous : voilà ce qui défile allègrement dans l’eau du bain.
Le rôle du désinfectant est d’empêcher le développement des micro-organismes : sur ce point, c’est parfait.
Revers de la médaille, le chlore aura aussi pour conséquence de s’associer avec l’azote organique (toute forme de protéine, acides aminés ou autres molécule aminées (l’urée par exemple)) et former des chloramines (NH2Cl, NHCl2, NCl3). Or ces dernières molécules sont volatiles et provoquent la sensation d’odeurs piquantes que nous attribuons, à tort, « au chlore ». Elles sont également très irritantes pour les yeux et le système respiratoire. D’ailleurs la réglementation impose une valeur limite à ne pas dépasser pour les chloramines : 0,6 mg/l (les valeurs de la piscine des Weppes sont largement inférieures à ce max, de l’ordre de 0,1 à 0,15 mg/l).
Bref, ces odeurs ne sont, en fait, qu’une manifestation de la pollution « humaine » et non pas du produit qui la combat.
La formation de chloramines est également fonction de la température et du pH : en effet l’acidité de l’eau déplace des équilibres avec des conséquences sur les espèces majoritaires formées. A pH trop bas, la formation des chloramines augmente. A pH plus élevé, la désinfection par l’hypochlorite de sodium est moins efficace (ion hypochlorite ClO− devenant majoritaire -faible pouvoir biocide-sur l’acide hypochloreux – fort pouvoir biocide-) :
HOCl <–> H+ + ClO−
Bref chaque paramètre doit être scrupuleusement surveillé.
Pour limiter la formation des chloramines, il faut avant tout exiger la propreté des baigneurs, éviter trop de chlore libre (un minimum réglementaire de 0,4 mg/l est néanmoins exigé) : contrôler la chloration et « extraire » l’eau pour traiter la pollution.
Ainsi l’eau des bassins est extraite 24h/24 pour un traitement et la pollution est alors combattue par l’ozone. De l’eau purifiée est ensuite recirculée vers le bassin.
Mais l’apport d’eau propre (fraîche et désinfectée) est imposé par la réglementation : 30 litres d’eau / jour / baigneur. A la piscine des Weppes, nous sommes autour de 45 l d’eau / jour / baigneur.
Notre hôte nous indique que certaines piscines, qui n’arrivent pas à maintenir les paramètres, fonctionnent avec une consommation de 250 litres d’eau / jour / baigneur !
Voyons comment, un bon traitement permet de maintenir cette consommation à une valeur proche du seuil imposé.
Le procédé du traitement de l’eau
La toute première étape du traitement est comme on l’a dit, une extraction (ou une purge) de la couche superficielle de l’eau du bassin : l’eau déborde dans des goulottes par le haut des bassins (on appelle ce flux la surverse). Elle est remplacée par de l’eau propre chauffée qui arrive par le fond. Le volume du grand bassin doit normalement être renouvelé en 4 heures -1h30 pour les autres- (selon la législation).
L’eau issue des goulottes est alors acheminée vers un bassin tampon (qui reçoit aussi un faible débit d’eau d’appoint froide pour compenser les pertes dues à l’évaporation et les baigneurs qui sortent de l’eau).
Trois pompes, dont 2 en service, extraient l’eau du bassin tampon vers les étapes de traitements. Elles sont équipées de pré-filtres permettant de récupérer les matières en suspension les plus grossières et les détritus solides issus des baigneurs (cheveux, pansements).
A l’aval des pompes, un prélèvement en continu permet des analyses en ligne de façon à connaître la qualité d’eau en sortie du bassin (image de l’eau du bassin) : on détermine le pH, la température, le taux de chlore (total) et le chlore libre. Ces deux derniers paramètres permettent de calculer le taux de chloramine : donc d’assurer le suivi de la pollution.
Selon la valeur du chlore libre, la pompe de dosage pour la chloration avant le retour dans le bassin sera mise en route ou non (de façon à respecter la consigne réglementaire : action préventive).
Selon la valeur de pH mesuré – l’ajout d’eau de javel rend l’eau basique -, il sera nécessaire de le corriger par l’addition d’acide sulfurique (qui fera baisser le pH). L’idée étant, bien entendu, de rester dans la fenêtre cible [7- 7,4].
Un floculant, coagulant (il s’agit du sulfate d’alumine) est alors ajouté à l’eau. L’idée est ici de modifier la dispersion de certaines molécules trop « grosses » pour se dissoudre (l’eau est donc trouble) mais trop « fines » pour être filtrées efficacement. De plus, celles-ci (appelées colloïdes) portent la même charge, ont tendance à se repousser et se disperser davantage. Le floculant neutralise les charges et permet aux molécules colloïdales de se regrouper en « flocs » qui seront donc éliminés lors de l’étape de filtration située en aval.
L’étape suivante est l’étape d’oxydation et fait intervenir l’ozone : l’ozone est diffusé dans l’eau à traiter puis est simplement disposé dans une tour de contact ; le temps de contact n’est que de 4 minutes conformément à la réglementation (O3 est fabriqué sur place – voir partie « Ozonation »).
Cette étape permet non seulement d’oxyder les microbes de façon efficace (potentiel d’oxydation très élevé, bien plus que celui de l’eau de javel) mais elle favorise également l’oxydation de la matière organique (ce qui ôte par la même occasion les nutriments nécessaires aux micro-organismes), des matières en suspension, des chloramines.
Toute cette matière oxydée doit être extraite : des systèmes de filtres sont disposés en aval de la tour de contact. Ils comprennent (dans l’ordre de traversée de l’eau) une couche de charbon actif pour les molécules oxydées ou coagulées, des couches de sable puis de gravier pour les matières en suspension (l’ajout d’un coagulant en amont facilite la purification de l’eau à ce niveau).
Le charbon actif est une matière carbonée de structure poreuse qui retient par adsorption de nombreux composés. Il a pour principale mission ici de décomposer l’ozone résiduel (en dioxygène O2) de telle sorte que sa concentration soit nulle en sortie (c’est aussi une nécessité réglementaire, l’ozone posant d’autres soucis sanitaires même si de toutes façons, il se décompose rapidement).
Comme tout média filtrant, au fur et à mesure du temps et de son fonctionnement, il se colmate (mon sujet de thèse, 😉 ) : il est donc nécessaire de procéder régulièrement (toutes les deux semaines) au lavage des filtres (détassage à l’air puis rinçage à l’eau).
L’eau filtrée, passe ensuite par un échangeur à plaques pour chauffer l’eau jusque 28 °C.
Juste avant le retour dans le bassin, l’ajout d’acide (ajustement du pH) et la chloration permettent d’atteindre les paramètres cibles et réglementaires.
Le choix des matériaux
Le choix des matériaux n’est pas lié qu’à des aspects esthétiques. Les bassins de la piscine des Weppes ne sont pas, comme cela a été longtemps la norme, couverts de carrelage. Il s’agit ici d’INOX 316 L, anti-dérapant, plutôt coûteux à l’achat mais qui présente des avantages sur le long terme. L’Inox est un matériau pérenne :
– peu propice au développement bactérien (pas d’anfractuosités où les micro-organismes peuvent se nicher),
– pas de risques de fissurations au niveau des différents panneaux qui sont soudés,
– possibilité de recyclage, le cas échéant.
Bref, un matériau durable moins favorable à la pollution bactérienne et un traitement plus respectueux de l’environnement (moins de chlore et moindre consommation d’eau), voilà un sacré « plus » pour cette installation. Mais ce n’est pas fini car côté environnemental, il reste à évoquer le gros point noir qu’est la consommation d’énergie (pour l’eau et pour l’air).
Qualité de l’air et chauffage ?
La qualité de l’air est tout aussi importante que celle de l’eau. L’accent porté pour limiter les chloramines est déjà une avancée notable : le renouvellement d’air (extraction d’air de l’enceinte et remplacement par de l’air frais) peut donc être effectué au niveau minimal recommandé 22m3/heure/nageur.
Une bonne ventilation est également en service : cela permet d’écarter les éventuels pathogènes qui seraient passés dans l’air.
Mais pour le confort des baigneurs, il reste à gérer la température et l’hygrométrie. Ces deux paramètres influent effectivement sur la sensation « en dehors du bassin ». Un air trop sec (hygrométrie trop basse) favorisera l’évaporation de l’eau du baigneur hors de l’eau : et dans ces cas-là, il a vraiment très froid. L’idéal est de se situer autour de 60 – 70 % d’humidité relative.
Pour la halle des bassins, le chauffage est assuré par une pompe à chaleur (PAC) : un fluide frigorigène est détendu, s’évapore au contact d’une source froide (ici l’air extérieur), est comprimé (compresseur) et se condense dans un échangeur en contact avec l’air ambiant intérieur à la piscine. La condensation libère de la chaleur récupérée pour maintenir une température de l’air autour de 28°C. Le préchauffage de l’eau du bassin et de l’eau des douches est également assuré par des panneaux solaires disposés sur l’installation et associé à la PAC. Le complément de chauffage est assuré par une chaudière à condensation (à gaz).
En ce qui concerne le maintien de l’hygrométrie, la tendance à dépasser la consigne (l’évaporation de l’eau des bassins se produit lorsque la température est supérieure au point de rosée) impose une déshumidification : cette étape est également assurée par la PAC (l’air humide y condense son humidité excédentaire sur des parties froides).
Focus sur l’ozonation
L’ozone est une molécule à 3 atomes d’oxygène, perçu facilement par l’odorat humain. On y reconnaît comme une odeur de sol mouillé lors d’un orage et pour cause : l’ozone se forme « naturellement » dans l’atmosphère en cas d’orage (fort voltage porté par les éclairs) ou lorsque les rayons solaires UV parviennent à « casser » la liaison au sein du dioxygène (cas de l’ozone stratosphérique). Un atome d’oxygène issu de cette cassure, s’associe alors à une molécule d’O2 et l’ozone O3 apparaît.
La molécule est très réactive (bien plus oxydant que le chlore) et donc très efficace dans la lutte contre la pollution mais aussi très instable.
Pour l’utiliser en traitement d’eau, il faut pouvoir en disposer. Le stockage étant impossible, l’ozone doit être « fabriqué » sur place.
De l’air filtré et séché est soumis à une décharge électrique : comme par temps d’orage, l’oxygène est coupée en deux et un atome se recombine. Il en résulte la formation d’ozone. Avec trois molécules d’oxygène O2, on récupère deux molécules d’ozone (O3).
En conclusion
Bassins recouverts d’inox, ozone pour limiter le chlore, bon suivi des paramètres clé, pompe à chaleur, panneaux solaires … Bref, on a affaire ici à une structure sportive et de loisir où convergent les meilleures techniques disponibles permettant d’optimiser le traitement, la gestion de la ressource en eau, la qualité environnementale, la consommation d’énergie et le bien-être du public.
Un grand merci à l’office du Tourisme des Weppes pour l’organisation de la visite et à Messieurs Skrzypczak (chargé de communication), Devos (responsable technique) de l’UCPA (exploitant de la piscine pour le compte de la MEL) et Vercoutre (responsable équipement sportif de la MEL) pour le temps qu’ils ont consacré à la présentation et les réponses à mes questions.
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Pour en savoir plus :
Réglementation eau de piscine
« Guidelines for Safe Recreational-water Environments » – Guide OMS (Lien)
2 comments for “Plongée en piscine”