Plongée au cœur de la recherche aérospatiale

Il y a pratiquement un an, je vous parlais de la fête de la Science (Edition 2016 – du 6 au 9 octobre) avec ce reportage en deux parties sur le Village des Sciences à Lille (relire ici et là).

Oui, mais voilà, je n’ai pas tout raconté : cette semaine dédiée à la Science m’a aussi permis de visiter les locaux de l’ONERA Centre de Lille (Office National d’Etudes et Recherches Aérospatiales) et de découvrir le monde de la recherche en aérospatial : un domaine de pointe à deux pas de chez moi. Ces portes ouvertes avec une belle exposition à la clé étaient organisées à double titre : la fête de la Science ET les 70 ans de l’ONERA.
Pour cette exposition « anniversaire », il s’agissait de présenter l’ONERA avec les spécificités de chacun de ses pôles géographiques, de revenir sur les grands programmes auxquels cette institution a été associée et de mettre en lumière quelques unes des ruptures technologiques sur lesquelles les études sont actuellement en cours.

Mon carnet de notes est ressorti de cette visite, noirci d’informations : projets phares, maquettes, bancs d’essais, démonstrations, focus de l’exposition, innovations… Malgré l’envie de présenter rapidement un résumé détaillé de cette demi-journée riche en découvertes, le temps nécessaire pour comprendre les détails et concrétiser le tout par la rédaction d’un article dédié m’a fait défaut. Comme il n’est jamais trop tard pour plonger dans les sciences et la technique, je vous propose un petit aperçu du monde de l’aérospatial qu’il m’a été donné de découvrir.

Loin d’être exhaustif, cet article n’est qu’une petite sélection de morceaux choisis afin de faire connaître quelques aspects des études et recherches menées et particulièrement, celles qui font le quotidien de l’ONERA (à Lille et ailleurs).

L’ONERA, qu’est-ce que c’est ?
L’ONERA, sous la tutelle du ministère de la défense regroupe 2000 personnes créé en 1946 : c’est un des grands laboratoires d’études et de tests dans le domaine de l’aérospatiale. Ainsi, ses activités sont centrées sur l’aéronautique civil et militaire (étude et tests très en amont sur les avions du futur), le spatial (étude des lanceurs, des satellites) et la défense (missiles, radars, drones, surveillance de l’espace maritime…).

Avion du futur : « Ampère » entièrement électrique – Un projet sur lequel travaille l’ONERA Copyright ONERA, the french aerospace lab.

Toutes ces activités se répartissent géographiquement sur plusieurs centres en France : en Ile de France (1200 personnes), Toulouse-Occitanie (450 personnes), Auvergne-Rhône/Alpes (160 personnes), Salon de Provence (50 personnes) et Lille (100 personnes).

L’ONERA offre son expertise scientifique et ses moyens d’essais et travaille au service d’industriels (Airbus, Safran, Dassault Aviation), en collaboration avec des centres de recherches, des institutions européennes et mondiales. Les études concernent des recherches de base mais aussi appliquées, et le développement de produits proches de la mise sur le marché de l’industrie.

Plus concrètement, l’ONERA joue un rôle dans tous les domaines qui touchent de près ou de loin le spatial et l’aéronautique :
– l’optimisation du design des avions (aérodynamique, matériaux,
– les nuisances environnementales (bruit, pollution gazeuse)
– la consommation de carburant,
– la sécurité (ex: les risques liés à l’accrétion de glace ou l’impact d’oiseaux sur la voilure),
– le vieillissement des structures (comprendre ce qui agresse les structures),
– les signaux, le bruit au niveau des aéroports,
– les commandes de bord,
– …

Les moyens d’essais sont très diversifiés et permettent de tester des structures, évaluer un design d’un point de vue sécurité, performance technique ou environnementale :
– souffleries,
– bancs de combustion,
– bancs d’essais pour drones,
– outils de simulations avec des logiciels conçus par l’ONERA (ex : étude de la propagation d’ondes sonores),
– techniques laser pour la métrologie,
– équipements de labos…

Essai en soufflerie (Crédit Photo ONERA) Copyright ONERA.

Quels domaines scientifiques ?
Dès qu’il s’agit d’un objet qui se déplace dans un fluide, les phénomènes qui entrent en jeu sont complexes et il faut évidemment tenir compte de tous les paramètres pour que le mouvement s’effectue de façon optimale. Il n’est donc pas étonnant de devoir se frotter à de multiples domaines : la liste ci-dessous n’est pas exhaustive mais donne néanmoins une bonne idée des grandes lignes.

Il s’agit de travailler sur :
– l’énergétique via notamment la thermodynamique (quelle optimisation dans la consommation de carburant pour obtenir la meilleure poussée propulsive ?),
– la chimie (nature du carburant, possibilité d’utiliser des bio-carburants, conception de super-alliages au sein des moteurs, …),
– la mécanique des solides (résistance aux impacts du fuselage, des ailes, des différentes parties des moteurs),
– la mécanique des fluides et l’aérodynamique (écoulement de l’air autour d’un aéronef en croisière et pendant les phases critiques du vol, résistance dynamique des structures, étude des profils de pales d’un hélicoptère…),
– les matériaux (mesure de leur déformation -ou extensiométrie, étude du comportement dans le temps des pièces soumises à haute température, quelle résistance présentent-ils à la chaleur, la corrosion, la fatigue selon leurs caractéristiques ?),
– l’électromagnétisme,
– l’optique (ex: corriger les turbulences atmosphériques pour mieux observer les étoiles et détecter des exoplanètes),
– l’environnement (ex: connaître les mécanismes de formation des polluants et leur dispersion dans l’atmosphère),
– la métrologie (l’art de la mesure),
– la modélisation, informatique et le traitement de l’information (par ex. développement de programmes pour la simulation des écoulements et de l’aéroélasticité, mécanique des fluides numérique pour simuler la traînée et ses différentes contributions, traitement du signal pour reconstituer des images filmées par drones …)

L’ONERA travaille très en amont sur différents types de projets : le TRL de tels projets (Technology Readiness Level = c’est le niveau de maturité d’une technologie) varie entre 2 et 6 :
– TRL 2 : phase en amont, l’application pratique sur papier d’un principe théorique est étudiée
– TRL 6 : maquettes ou prototypes sont testés dans un environnement représentatif.

L’ONERA à Lille

Initialement (1930),  il s’agissait de l’Institut de Mécanique des Fluides de Lille, centre de recherche et d’enseignement en aérodynamique, qui passe sous la direction de l’ONERA en 1946 et qui deviendra l’ONERA, centre de Lille en 1997.
L’un des domaines de recherche du centre de Lille concerne l’aérodynamique autour des avions existants, de drones et de nouveaux concepts d’aéronefs.
Un second domaine est lié à la sécurité à travers l’étude de la résistance des structures en cas d’impacts ou de crash.
Enfin, il est aussi question de la conception de maquettes qui seront testées dans les différentes souffleries.

Locaux de l’ONERA à Lille

Commençons par les impressionnantes souffleries. De quoi s’agit-il exactement ?

Les souffleries sont des tunnels  dans lesquels une circulation d’air est assurée par des ventilateurs dans le but de cerner le comportement « en vol » de maquettes ou d’objets à taille réelle. Ces bancs d’essais sont utilisés en phase de conception afin par exemple :
– d’étudier l’aérodynamique de nouvelles formes de fuselages, ou de structures (soit pour analyser la performance de croisière, soit pour visualiser les contraintes dans des situations critiques telles que le décollage ou l’atterrissage),
– de mesurer la performance de nouvelles pales d’hélicoptères,
– de vérifier expérimentalement le bruit émis et diffusé (champ d’étude de l’aéroacoustique) à basse vitesse,
– de mieux connaître le phénomène de « flottement » (vibration d’une aile ou d’un empennage- les surfaces à l’arrière des ailes ou queue de l’avion permettant d’assurer la stabilité),
– …

L’ONERA détient le plus gros parc de souffleries de grandes dimensions en Europe qui permettent de soumettre des objets à des conditions de vol allant de Mach 0,1 à Mach 13 (les valeurs les plus élevées -vitesses supersoniques- concernent les véhicules spatiaux,  lanceurs ou missiles. Ainsi, tous les avions Airbus et Dassault ont été testés dans ces souffleries et la plupart des grands programmes civils et militaires intègrent l’utilisation des souffleries de l’ONERA.

Le centre de Lille est équipé d’une soufflerie verticale (SV4) et de deux souffleries basse vitesse (L1 et L2).
Que peut-on mesurer exactement ? Et comment s’y prend-on ?
Il est important de pouvoir caractériser correctement les forces et moments qui s’exercent sur une structure et comprendre comment elles s’équilibrent, comment s’exercent les contraintes pour repérer les zones sensibles.
En aérodynamique des aéronefs, on étudie :
– la portance (cette force verticale, perpendiculaire à la vitesse, qui compense le poids de l’avion, et lui permet de rester en équilibre dans les airs),
– la traînée (ensemble des forces qui s’opposent au mouvement d’avancement) : il est primordial de comprendre comment elle s’exerce parce qu’en jouant sur la forme, l’état de surface, le contrôle de l’écoulement pour diminuer la turbulence, il est possible de la minimiser
– la force latérale qui s’exerce en cas de virage,
– les moments pour le roulis, le tangage et le lacet: des forces qui font pivoter l’avion.

Les souffleries fournissent toute une série de données expérimentales qui permettent de bâtir un modèle théorique. La validité du modèle est alors ensuite testée par d’autres expériences aux paramètres bien spécifiques.

Maquette de l’avion Ampère dans la soufflerie L2 (Lille) Copyright ONERA, the french aerospace lab.

La soufflerie L2 de Lille, installée dans un hall industriel de 725 m2 (les couloirs) est équipée de 18 ventilateurs qui extraient l’air du bâtiment et le refoulent au travers d’une zone de tranquillisation comportant un filtre en nid d’abeille (ceci permet de réduire la turbulence). L’air traverse ensuite une zone convergente afin d’y être accéléré avant son entrée dans la veine dédiée aux essais. La vitesse de l’air reste néanmoins basse ( max 19 m/s).

Concrètement, pour observer divers aspects de l’aérodynamique, l’une des voies est l’utilisation d’un faisceau laser qui éclaire la maquette : la diffusion de fumée permet de visualiser les lignes de courant et repérer des tourbillons sur les bords d’attaque …
Pour mesurer les efforts, la technique de l’extensométrie est utilisée : la déformation de jauges (avec des instruments développés par l’ONERA) permet la mesure de faibles déformations (NB : le principe repose sur le lien entre la résistance électrique d’un fil métallique et la déformation qu’il subit).

Veine d’essai en soufflerie L2 (6 x 2,5 x 9 m) autour de la maquette de l’avion Ampère (Lille) Copyright ONERA, the french aerospace lab.

La soufflerie SV4, installée dans une tour de 30 m de haut et 18 m de diamètre, est une soufflerie verticale où un courant d’air est généré du bas vers le haut. Elle a été conçue pour étudier le phénomène de vrille qui peut se produire lorsque l’écoulement de l’air devient perturbé et qu’une des deux ailes décroche (perte de portance). L’enjeu est de taille, pour chaque maquette d’un avion (civil ou militaire) testé : comprendre le phénomène, étudier les conditions dans lesquelles il se produit, trouver des parades au design des avions pour limiter les risques, établir des consignes à destination du pilote pour sortir de la vrille .

Soufflerie SV4 Copyright ONERA, the french aerospace lab.

Soufflerie SV4 (Copyright ONERA, the french aerospace lab).

Laboratoire d’études de crashs et d’impacts 

La sécurité de tout engin navigant doit être testée, notamment en cas d’agression, c’est-à-dire en dynamique rapide ou extrême : le crash ou l’impact. Cette notion fait désormais partie des préoccupations dès la phase de conception mais pour cela, il faut pouvoir anticiper le comportement des structures selon les matériaux (métalliques, composites) qui les composent.
Comment vont résister les matériaux, quelles déformations pour les structures ? Les réponses à ces questions visent comme objectif final à assurer la survivabilité des passagers …

Les simulations numériques doivent aider à traiter la question. Mais les essais de caractérisation sont nécessaires pour caler les paramètres des modèles.
L’ONERA possède à Lille une tour de Crash, moyen unique en Europe : elle est constituée de 4 rails amovibles permettant de guider un chariot pouvant être lâché d’une hauteur de 15 m et développant une énergie à l’impact jusqu’à 100 kJ.

La Tour de Crash (ONERA Lille)

Des tests ont été réalisés devant les visiteurs : je suis ressortie avec ce joli souvenir  d’un tube ayant subi une compression.

un tube en aluminium, qui a subi la machine !

Le tube se déforme en présentant des lobes, c’est ce qu’on appelle le flambement qui ici, est en « accordéon ». L’objectif est de comprendre comment le tube, qui sert d’absorbeur de chocs, se déforme et quelle énergie il peut absorber. Le but est que ces éléments puissent absorber le maximum d’énergie ; il faut donc chercher la meilleure configuration en jouant sur certains paramètres variables : géométrie, épaisseur, masse, et matériau.

Pour la sécurité d’un avion, il faut aussi regarder du côté des impacts, par exemple lors de la traversée d’un nuage de grêles, ou lorsqu’un oiseau s’engouffre dans un moteur (ingestion).

Impact d’un grêlon sur un composite (45° d’incidence, 430 km/h)

Ces études servent à développer de nouveaux matériaux, à mener des recherches sur le dimensionnement des structures, à fournir des données utiles pour la modélisation.

Atelier des maquettes
Dans cet atelier, on travaille sur les maquettes en développement technique : on les conçoit, on les pense, on les équipe d’outils de métrologie, de capteurs. La maquette est une réplique à taille réduite d’engins qui sera testée dans des souffleries.
Plusieurs exemples de l’utilisation des maquettes :
– Réduire le bruit émis par les hélicoptères passe par l’optimisation du profil du rotor : une solution étudiée est le rotor à pâle active équipée d’un volet permettant de modifier l’incidence (ce qui permet de dévier le tourbillon de sillage). L’actionneur a fait l’objet de la mise au point de maquette.
– Contrôler le phénomène de tremblement au niveau d’une aile d’avion : ces vibrations* sont canalisées soit par l’ajout de dispositifs mécaniques, soit en perturbant l’écoulement par insufflation d’une petite quantité d’air.

*’ : le but est ici d’éviter le décollement de la couche d’air limite, qui provoque de la turbulence et donc de l’instabilité.
Cet enjeu est majeur : la réduction des tremblements rime avec gain en sécurité de vol, en manœuvrabilité. La maquette permet d’étudier ce phénomène en cherchant à le maîtriser grâce à des essais de vibration au sol.

Contrôle de la géométrie d’une aile de maquette (2011). Copyright ONERA,


On se retrouve dans ce nouvel article pour la suite parce qu’il y a encore tellement à dire sur les projets phares où l’ONERA s’est investi, les réalisations actuelles et les avions de demain ! Un sacré programme.

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