Vivant, art et maths : les fractales

Bon c’est la semaine des maths (du 14 mars au 20 mars 2016) !

C’est bien la première fois que je tente un article dans ce domaine, tant il m’est, non pas étranger parce que j’en ai mangé des tonnes il y a plusieurs années (j’en parlais ici), mais plutôt lointain… Et quand on ne pratique pas, et bien ce n’est pas comme le vélo ! Bref, je ne sens vraiment pas à l’aise pour ‘y consacrer des articles fiables et palpitants. Alors j’admire les passionnés passionnants qui enchaînent les articles consacrés au maniement des chiffres, des nombres aux propriétés étonnantes, aux géométries farfelues, aux démonstrations élaborées…(voir quelques liens en bas de cet article).

Oui mais voilà, j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence  organisée dans le lycée de mon village (Beaucamps-Ligny dans le Nord) sur le thème des fractales. J’ai donc saisi l’opportunité de participer à cette manifestation réunissant des élèves de terminale scientifique, de classe prépa. et leurs professeurs.
Je vous emmène donc, en toute simplicité, dans un voyage qui fait perdre la tête autour de formes étranges, époustouflantes, dans lesquelles on peut plonger à l’infini …

Cette passionnante conférence était animée par Catérina Calgaro enseignante-chercheuse en mathématiques appliquées à l’université Lille 1 et membre de l’équipe Rapsodi d’Inria Lille.
On y a défini les fractales, parlé de leurs propriétés, abordé quelques outils mathématiques, présenté quelques mathématiciens qui ont marqué le domaine.
Mais franchement, pour un(e) néophyte (comme moi) ce qui séduit l’œil, ce sont bel et bien les représentations des objets fractals : car franchement, c’est beau ! D’autant plus que les applications qui en découlent, sont loin d’être éloignées des problématiques de nous humains : le vivant en est farci autant dans ses formes que dans certaines organisations.

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Les fractales, c’est quoi ?

Benoît Mandelbrot (mathématicien franco-américain) introduit la notion de fractale ou d’objet fractal en 1973. L’étymologie nous renseigne déjà un peu sur la nature des objets en question. Fractale est issu du mot « fractus », qui évoque le mot « fracture » et indique quelque chose de brisé, d’irrégulier. En effet, les fractales sont d’une irrégularité si forte que, quelle que soit l’approche ou le zoom qu’on peut faire, cette irrégularité est toujours présente : pas moyen d’arriver au bout. On parle d’invariance d’échelle.

En plus, dans la plupart des cas, en zoomant, donc en se concentrant sur une petite partie précise de l’objet, on perçoit encore l’image du tout : c’est la notion d’auto-similarité.

Et puis, on en trouve dans la nature :
– au niveau du vivant : le choux romanesco, la feuille de fougère, l’organisation des poumons, les schémas de certains coquillages…
– et du non vivant : les côtes maritimes, les flocons de neige, les nuages, les turbulences, certains paysages…

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Structure fractale (auto-similarité) du chou romanesco

 

Les applications
Plusieurs applications nous ont été présentées comme la possibilité :
– de décrire, et modéliser les détails des côtes de la Grande-Bretagne,
– de modéliser la structure des poumons grâce à une description fractale,
– de concevoir des murs anti-bruits dotés d’une structure géométrie de type fractale, irrégulière et de répétitivité bien pensée ce qui optimise l’absorption sonore,
– d’optimiser l’efficacité d’un catalyseur.

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Comment décrire au mieux les contours des côtés britanniques ?

Les propriétés
L’une des questions posée est de savoir par exemple, comme dans le cas des côtes britanniques, si on peut parvenir à mesurer la longueur d’une ligne fractale (cette problématique a été posée par Mandelbrot en 1975 dans « Objets fractals »).
Comment choisir l’unité de mesure (dans l’exemple du schéma, comment choisir au mieux la taille de la boule) pour mesurer correctement ? Qu’obtient-on avec une unité de plus en plus petite ?

Une approche un peu similaire, simplifiée par rapport aux irrégularités réelles des côtes maritimes, concerne l’exemple de la courbe de Koch. Un segment est progressivement modifié en le divisant en trois parties égales et en ôtant la partie centrale. Cette dernière est alors remplacée par deux segments disposés de telle façon qu’ils forment un triangle équilatéral. On réitère ce processus sur chacun des segments, et on obtient une courbe fort jolie, extrêmement dentelée dont les irrégularités s’étendent, en théorie, jusqu’à l’infini.

Koch_anime

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Pour pouvoir caractériser les fractales, on doit rapidement abandonner la géométrie euclidienne, qui ne décrit bien que les objets lisses et où les dimensions sont des nombres entiers ; la dimension 1 caractérise un point sur un axe, la dimension 2 pour un objet dans le plan et la dimension 3 : l’objet dans l’espace.
En effet, dans les objets fractals, on sent bien que quelque chose d’inhabituel se passe dans la mesure où les objets ont une structure en abîme.
Dans le cas des courbes de Koch par exemple, ce n’est ni une ligne, ni une surface qui se dessine mais un objet entre la ligne et la surface… Nous nous trouvons donc entre la dimension 1 et la dimension 2. L’objet est formé de répliques de lui-même mais avec une réduction de taille : ce qui compte, ce sont le nombre de répliques d’une itération à l’autre et le rapport de réduction (la modification de taille s’appelle une homothétie).
Pour les courbes de Koch, d’une étape à l’autre, il y a 4 répétitions de segments et la taille de chaque segment est réduite au tiers. Un calcul permet de mesurer la dimension fractale : (ln 4 / ln 3) ∼ 1,26 un nombre non entier… Nous qui sommes tellement habitués aux dimensions entières (2 ou 3 dans notre quotidien), cela dérange un peu…

Cette dimension est une caractéristique de chaque fractale, elle traduit la façon dont un ensemble fractal remplit l’espace, à toutes les échelles. Et le mathématicien allemand Félix Hausdorff a fortement contribué à la formalisation de cette dimension : on parle d’ailleurs de dimension de Hausdorff. Lorsque ce nombre n’est pas un entier c’est qu’on a affaire à une fractale.

Et la longueur finale alors ? et bien, elle est infinie dans la mesure où elle s’allonge d’un tiers à chaque nouvelle itération tandis que la surface délimitée par la courbe est finie. Et pour le périmètre des côtes Britanniques pour être « exact » et « rigoureux » et bien, c’est pareil: la surface est finie et la longueur des bords est infinie. C’est un peu contre-intuitif (quoique quand on y réfléchit bien) mais c’est bien cela !

Les constructions fractales : exemples
Pour construire des fractales géométriques ou numériques, on utilise des fonctions mathématiques relativement simples (curieusement) et on va les enchaîner : en appliquant une transformation à un point ou un objet, on obtient un résultat (appelé une image) et on réitère la transformation et ainsi de suite, de manière infinie. Cette façon de procéder s’appelle la récursivité comme pour la construction de la courbe de Koch.

Les ensembles de Julia et ensemble de Mandelbrot et de Julia

On retrouve ces ensembles dans les suites mathématiques récursives  du type zn+1 = zn2 + c avec c une constante, sachant que nous sommes dans l’ensemble des complexes (vous savez, il s’agit des nombres ayant une partie imaginaire avec notamment i donc le carré vérifie i= -1)

Bref, la formule mathématique est plutôt simple au départ et le résultat de la représentation graphique  est variable selon la valeur de c (le tracé du processus « à l’infini » est heureusement, réalisé par ordinateur)
Après avoir choisi une valeur de c particulière, on étudie les suites en fonction du nombre de départ  z. Suivant leur comportement (les suites peuvent converger rapidement, plus lentement ou ne pas converger du tout), on leur associe différentes couleurs. Il apparaît alors des surfaces fermées, bornées qui sont bel et bien des fractales. On les nomme « ensembles de Julia » (du nom du mathématicien français Gaston Julia qui les a étudiés).
Ces ensembles seront, selon la valeur de c, composés d’un seul ou plusieurs morceaux.

Je vous passe les détails des différentes étapes qui nous ont été présentées lors de la conférence, mais la représentation graphique dans le plan complexe de ces transformations cumulées est époustouflante.

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Exemple d’un ensemble de Julia

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Autre ensemble de Julia

Alors finalement, quelles sont les valeurs de c, complexes, pour lesquelles on obtiendra un ensemble de Julia en un seul morceau ? C’est encore Mandelbrot qui répond à la question en représentant graphiquement l’ensemble de ces points c. Il dessine alors un nouvel ensemble, une sorte de carte de fractales (les ensembles de Julia), qu’on appelle « Ensemble de Mandelbrot » et qui, je vous le donne en mille, est une magnifique fractale.

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Ensemble de Mandelbrot

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Zoom sur une des frontières de l’ensemble de Mandelbrot

En conclusion
Alors deux questions me sont venues à l’esprit :
– pourquoi autant d’organisations fractales au sein du vivant (et même du non vivant ?)
– à quoi la compréhension des fractales peut-elle bien servir ?

En fait, et on le comprend aisément, un système biologique dépend de son environnement pour survivre et se développer : la surface de contact avec l’extérieur doit donc être la plus grande possible de façon à maximiser les échanges de matière, de chaleur, d’informations… C’est ainsi pour le poumon qui doit récupérer le maximum d’oxygène, ou des bactéries qui doivent s’organiser pour récupérer le maximum de nutriments.

Tout simplement d’un point de vue purement esthétique : créer des fractales, ça séduit l’œil et déjà cela, ça fait du bien ! Et certains ne s’en privent pas.

Et puis, pour l’industrie (on ne se refait pas…), la théorie fractale permet de concevoir des systèmes où les échanges doivent être optimisés : des échangeurs de chaleur, des catalyseurs où le contact est une étape clé, des mousses d’isolation … On en reparlera.

Et cela ne s’arrête pas là : la théorie permet d’analyser tout système complexe… et ce genre de chose, c’est pas cela qui manque.

Pour aller plus loin…

Bon voilà, un petit aperçu du monde des fractales pour permettre à ceux qui ne connaissaient pas de se rendre compte de l’intérêt et de la beauté de certains aspects des mathématiques. Ravie d’avoir participé à cette conférence (au Lycée Sainte Marie de Beaucamps-Ligny)
Si vous voulez en savoir plus sur les fractales, je vous invite à découvrir et redécouvrir les jolis papiers de mes collègues du Café des Sciences avec notamment les bactéries fractales (passionnant et des photos magnifiques), les fractales africaines chez Sirtin, la côte bretonneles fractales et Mandelbrot chez El Jj sans oublier les vidéos de Micmaths et d’une émission sur Arte.
Je mets ici celle sur les ensembles de Mandelbrot (cliquez sur les autres liens pour les voir toutes).

Note : Cet article fait partie des sujets abordés dans mon livre « Le Monde et Nous »

4 comments for “Vivant, art et maths : les fractales

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