Bactéries vs plastique

Le plastique, c’est sympathique et j’ai un peu de mal à imaginer qu’on puisse un jour s’en passer… tant il fait partie de notre quotidien pour nos emballages, notre électro-ménager, nos ordinateurs et même nos vêtements.
Il est vrai qu’il présente des propriétés intéressantes dans son usage : légèreté, plasticité, transparence (si besoin), résistance mécanique, chimique (dans certaines conditions) et durabilité.
Seulement voilà, ces propriétés notamment stabilité et durabilité se retournent contre Nous et notre Monde lorsque les plastiques arrivent en fin de vie ; ils s’accumulent partout dans notre environnement villes, campagnes, routes, plages, mers …
La raison de cette stabilité ? Tout vient de la force des liaisons mises en jeu dans bon nombre des plastiques. Difficiles à casser, les liaisons chimiques « bloquent » toute possibilité de dégradation de la plupart des objets.garbage-525125_640

Le PET (polyethylene terephtalate) par exemple ne se dégrade pas facilement du tout ou alors extrêmement lentement (on verra pourquoi dans la suite de l’article) : or,  c’est justement ce polymère qui constitue les bouteilles en plastique. Les problèmes qui en découlent sont franchement peu réjouissants, notamment pour les espèces qui sont obligées de composer avec ces déchets : les réseaux trophiques en sont considérablement perturbés , en témoignent certaines dépouilles d’animaux marins où le contenu de leur estomac en dit long sur ce qu’ils ont ingéré par erreur.

The unaltered stomach contents of a dead albatross chick photographed on Midway Atoll National Wildlife Refuge in the Pacific in September 2009 include plastic marine debris fed the chick by its parents. (Chris Jordan)

Contenu de l’estomac d’un albatros mort photographié par Chris Jordan au Midway Atoll National Wildlife Refuge (Pacifique)

Le plastique des bouteilles

La plupart des plastiques sont issus du raffinage du pétrole et de tous les procédés chimiques connexes tels que la craquage, reformage… (je vous en parlais ici) : encore une bonne raison d’ailleurs de chercher par tous les moyens à recycler le plastique en fin de vie pour économiser la matière première.

Le plastique des bouteilles est un polyester : une succession de molécules contenant la fonction ester (R-C=O-OR). Un polyester est obtenu par polycondensation : réactions  entre un acide carboxylique et un alcool avec élimination d’une molécule d’eau.
Mais le polyester, on en parle aussi pour les vêtements (les polyesters sont des fibres synthétiques  des plus classiques).

Pour la fabrication des bouteilles d’eau transparentes, tout comme pour le Tergal©, la réaction industrielle fait intervenir, l’acide téréphtalique et l’éthylène glycol (produit du vapocraqueur) ce qui conduit au polyéthylène téréphtalate (encore appelé PET).

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NB : le Tergal© est la marque française pour les fibres textiles de PET. « Ter » signifiant « téréphtalique » et « Gal » pour « Gaulois ».

Dégrader le PET 
Les micro-organismes parviennent à dégrader (à température ambiante) de longues chaînes polymères telles que la cellulose, la lignine… C’est même vital : ils y trouvent le carbone nécessaire à leur développement.
Mais lorsqu’il s’agit de polyesters pourtant riches en carbone tels que le PET, la donne a changé et les bactéries ont sacrément plus de fil à retordre (jeu de mot involontaire). Le PET contient beaucoup de noyaux aromatiques : des liaisons très stables qui sont particulièrement difficiles à couper par des moyens « naturels » à température ambiante. De plus, dans les bouteilles plastique, la cristallinité est élevée ce qui densifie la structure et rend l’attaque encore plus difficile.

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Bref, le PET dans la nature, au bord d’une route ne se dégrade pas ou alors très lentement (quelques cas de champignons filamenteux ont été repérés).Il faut dire également que le matériau est assez récent, comment des organismes auraient-ils pu évoluer aussi rapidement pour tirer parti de cette ressource d’origine « humaine » ?
Bref voilà où on en était sur l’état des connaissances relatives à la dégradation du PET : voué à s’accumuler dans l’environnement (avec une faible part de recyclage).
C’était sans compter sur des travaux de recherche intensive (consistant à passer au peigne fin plusieurs centaines de déchets de PET de différentes provenances) réalisés par plusieurs équipes japonaises. Elles ont découvert certaines bactéries capables de produire des enzymes particulièrement efficaces et adaptées au PET. Les résultats de ces travaux ont été publiés dans Science le 11 mars dernier [1].

Des bactéries qui dégradent le plastique des bouteilles : comment ?

250 échantillons de déchets environnementaux contenant du plastique PET ont été recueillis : il s’agit soit de  sédiments, d’échantillons de sols, rejets d’eau, et de boue activée issue d’un site de recyclage de bouteilles en PET.
Sur l’un des échantillons, il s’avère qu’une certaine population de micro-organismes (consortium de levures, protozoaires et bactéries) mis en culture a été capable de dégrader un film de PET et ce, en l’espace de 6 semaines à une température de 28°C. Les cellules observées sur le film sont apparues accrochées les unes aux autres.

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Les bactéries du consortium responsables de la dégradation ont été isolées et baptisées Ideonella sakaiensis 201-F6 ; elles sont en fait capables de produire deux enzymes : PEt-ase et MHET-ase.
La première enzyme semble s’attaquer exclusivement au film PET en coupant la longue chaîne en petits bouts (à basse température) : la moindre efficacité sur d’autres types d’esters à liaisons simples a été démontrée.
La seconde vient poursuivre le travail en s’attaquant aux produits issus de la décomposition du PET par l’enzyme PET-ase (l’acide MonoHydroethylTéréphtalique)

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NB : les bactéries ont montré une grande activité sur un film PET de structure amorphe (liaisons plus flexibles). L’efficacité sur les bouteilles en PET à forte cristallinité est moindre mais néanmoins présente.

Et d’un point de vue de l’évolution ?

Les recherches des équipes japonaises ont également porté sur l’étude des gènes de ces bactéries, notamment ceux impliqués dans la synthèse d’enzymes. Ceux-ci correspondent à la synthèse d’enzymes de la famille des tannases, spécialisés dans l’hydrolyse des liaisons ester de composés aromatiques.

Les auteurs se sont aussi attachés à rechercher si d’autres organismes possédaient des gènes aux séquences proches pour les enzymes PETase et MHETase ce qui permet de remonter vers les gènes ancestraux mais ce fut sans succès.
La seule hypothèse avancée est que l’enzyme cutinase qui s’attaque aux liaisons d’esters carboxyliques (notamment des cuticules de plantes) a pu muter assez facilement (petit nombre de mutations) et devenir addict au PET. L’évolution de bactéries spécialisées dans les plantes aurait donc été possible de façon très rapide pour profiter de l’opportunité toujours croissante de se nourrir de plastique.

Les implications
Le fait d’obtenir à l’issue de cette biodégradation les réactifs du procédé de départ (acide téréphtalique ET éthylène glycol) signifie qu’il s’agit là d’un véritable recyclage. A l’heure où sonnent les économies d’énergie primaires, c’est une formidable opportunité.
Une véritable opportunité également pour tenter de sauver les océans étouffés sous des tonnes de déchets. Reste à savoir comment tout cela pourra être mis en oeuvre.

Références :
1- Yoshida S., Hirage K., et al. « A bacterium that degrades and assimilates poly(ethylene terephtalate), Science Vol 31, Issue 6278, Mars 2016

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