La pollution par le plastique au sein des océans est un vrai problème environnemental : son impact sur la vie marine, la biodiversité et même la santé humaine éveille les consciences et interpelle. Nous en parlions dans ce précédent billet. Voici donc les résultats de la seconde étude dont je vous parlais, étude parue dans Science Advances [1].
Le problème vient surtout des micro-plastiques dont les microfibres issues de l’industrie textile. Je vous propose de passer en revue différents aspects de cette problématique.
Les plastiques, polymères synthétiques produits en grande partie à partir du pétrole (une petite proportion est issue de la biomasse), sont des matériaux aux propriétés très intéressantes d’un point de vue de leur utilisation ce qui explique leur succès dans le monde : ils sont légers, très durables, résistants et bon marchés. Ces propriétés appréciées dans le cadre de leur utilisation normale se retournent contre eux dès lors qu’ils sont en fin de vie : leur légèreté, leur faible densité font qu’ils se dispersent sur de longues distances. Pour d’autres, de densité supérieure, ils peuvent sédimenter, se désagréger par des actions mécaniques, des attaques chimiques et des processus biochimiques et devenir des micro-plastiques (des particules de taille inférieure à 5 mm). Certains finissent dans des recoins où ils restent des siècles, parfois ils sont remis en suspension.
Les principaux types de plastiques qu’on retrouve sont le Polyethylene (PE), Polypropylene (PP), Polyvinyl Chloride (PVC),
Polystyrene (PS), Poly-Urethane (PUR), Polyethylene téréphtalate (PET), les polyesters, …
Certains micro-plastiques sont directement produits par l’industrie (microbilles dans les cosmétiques par exemple). Mais une grande partie provient d’autres déchets subissant des phénomènes de dégradation.
Quelques plastiques peuvent subir une dégradation très poussée voire une minéralisation mais elle ne concerne qu’une très faible proportion. La plupart est durable et subsiste des milliers voire des dizaines ou centaines de milliers d’années.
Les microfibres dans l’affaire
Alors on parle aussi souvent de microfibres : des fibres qui font partie de la pollution des milieux marins, et elles constituent le type de pollution d’origine humaine la plus répandue dans les micro-plastiques. Mais ces microfibres peuvent aussi être d’origine naturelle. Comment ces fibres, synthétiques ou naturelles, arrivent-elles dans notre environnement ? Quelles sont leurs caractéristiques ?
L’étude parue début Juin dans Science Advances [1], fruit du travail de plusieurs équipes (Italie, Afrique du Sud, Australie) fait le point sur la question.
Les auteurs rappellent que la production de fibres a plus que doublé en 20 ans. C’est surtout la production de polyester qui domine le marché du textile depuis le milieu des années 90 et qui a supplanté les fibres de coton.
Les principales utilisations des fibres sont pour l’habillement, le textile d’ameublement, suivis d’autres applications industrielles comme la filtration, la construction (isolants), ou le domaine médical.
On imagine assez mal comment ces fibres peuvent finalement se retrouver dans les mers et les océans du monde entier. Et pourtant ! De grandes quantités de fibres sont relarguées dans les eaux usées en provenance du lavage des textiles (lors de leur fabrication, confection, traitement, teinte) et du port des vêtements (relargage dans l’air en usage et relargage dans l’eau lors de la lessive).
Ces eaux sont traitées par des systèmes d’épuration mais on peut déplorer que certaines fibres soient évacuées dans les effluents (parce qu’aucun système n’est parfait), se dispersent par voie aérienne, ou se retrouvent dans les champs agricoles via des boues d’épandage contaminées par ces micro-fibres (les boues sont issues également des stations d’épuration), les eaux de pluie les entraînent vers les rivières et la mer.
Pendant longtemps les études dédiées aux micro-plastiques dans l’environnement ne s’intéressaient pas vraiment à ces microfibres dans les échantillons d’eaux de mers issus des quatre coins de la planète. L’analyse était plus globale. Désormais, le focus est fait sur cette catégorie de déchets et l’étude publiée ici cherche à aller plus loin. Quelle est la nature de ces micro-fibres dans les échantillons ?
Plus de 900 échantillons ont été collectés au sein des 6 bassins océaniques en plus de 600 points géographiques différents.
La concentration en fibres s’est avérée non uniforme d’un échantillon à l’autre et uniquement 3 échantillons ne contenaient pas de microfibres. La concentration la plus élevée concerne des collectes réalisées en mer Méditerranée et les valeurs les plus basses sont observées pour des zones du nord de l’Océan Atlantique.
En ce qui concerne leur nature, la plupart des fibres recueillies dans les échantillons ne sont pas issues de l’industrie du plastique, donc ne sont pas des fibres synthétiques : il s’agit de cellulose teinte ou de fibres d’origine animale. Ces résultats trouvent écho dans d’autres études récentes montrant que les fibres de cellulose représentent entre 60 et 80 % des fibres recueillies dans les profondeurs marines. Ce résultat est assez inattendu étant donnée la prédominance de fibres synthétiques dans la production, et la plus grande présence de déchets en PE et polypropylène (hors microplastiques) y compris en surface des mers.
Alors comment expliquer ici ce résultat ?
La physique pourrait permettre de l’expliquer. Mais en regardant du côté de la densité, le compte n’y est pas : les fibres de cellulose sont plus denses (entre 1,54 et 1,63 g/cm3) que les autres (ex : 0,9 pour le polypropylène ou 0,14-1,18 pour les fibres en nylon) et devraient donc être plutôt moins présentes que les autres en surface. Or, c’est tout le contraire.
Les auteurs avancent l’hypothèse que les tissus en coton ou en laine peluchent davantage et relarguent donc plus de fibres durant le lavage que les tissus synthétiques. D’autres études s’intéressent spécifiquement à cet aspect des choses (en incluant l’impact de la température et de l’utilisation de détergeant sur ces phénomènes).
Les auteurs rappelle aussi qu’on utilise depuis bien plus longtemps les fibres d’origine végétale et animale pour nos textiles que les fibres artificielles plus modernes. Etant donnée leur durée de vie augmentée par l’usage d’un produit de traitement : teinture, enrobage des fibres pour leur donner d’autres propriétés, on peut comprendre qu’ils se dégradent finalement peu au cours du temps, s’accumulent au fond des mers et restent majoritaires à l’heure actuelle.
Pour expliquer le paradoxe posé par les valeurs de la densité (les fibres de cellulose devraient être moins abondantes en surface compte tenu du fait qu’elles coulent), les auteurs suggèrent un apport constant par voie aérienne, des mécanismes de remise en suspension, de turbulence qui sont encore à détailler.
Et pour les valeurs élevées de micro-plastiques en Méditerranée ?
Les auteurs évoquent un bassin fermé, une zone fortement peuplée qui sont des paramètres amplificateurs des phénomènes. En y regardant d’un peu plus près comme par exemple en mesurant la longueur des fibres collectées, il s’avère que ce sont les plus longues fibres parmi tous les échantillons analysés: ce résultat indique qu’il s’agit de fibres « jeunes », vraisemblablement alimentées par des sources de pollution proches, avec une longueur de fibre correspondant effectivement à celles des fibres de coton.
En conclusion
Face à ces résultats, les auteurs mettent en garde. En effet, on entend souvent un plaidoyer en faveur des fibres « naturelles » à utiliser préférentiellement à chaque fois que cela est possible, cela serait une bonne façon de diminuer les micro-plastiques dans l’environnement.
Or, nous n’en sommes qu’au début des études sur les micro-fibres et notamment sur celles d’origine naturelle (biomasse animale ou végétale). Il manque beaucoup d’informations sur leurs processus de dégradation comparativement à ceux des fibres synthétiques.
Comme le montre cette étude, les fibres naturelles « dominent » les échantillons recueillis dans toutes les eaux du monde : c’est surprenant mais rend compte d’une réalité qui a peut-être été occultée pendant longtemps !
Bref, réfléchissons-y en deux fois avant d’accepter une paille en bambou ! L’idéal est encore de ne pas consommer de paille du tout (sauf cas particuliers). Un exemple parmi tant d’autres qui montre que les idées pour prendre le pas sur le plastique synthétique ne sont pas si évidentes que cela et que le naturel n’est pas forcément LA solution.
Suivre la mode de près ou adopter un rythme soutenu de renouvellement de sa garde robe, est peut-être à interroger.
Peut-être que ça passe aussi par un choix judicieux de sa machine à laver et du mode de lavage ?
Références :
1- Giuseppe Suaria et al., « Microfibers in oceanic surface waters: A global characterization », Science Advances, Volume 6, no. 23 (2020)
2- Re, V., « Shedding light on the invisible: addressing the potential for groundwater contamination by plastic microfibers », Hydrogeology Journal, Volume 27, pages2719–2727(2019)
3- Zambrano M. et al., « Microfibers generated from the laundering of cotton, rayon and polyester based fabrics and their aquatic biodegradation », Marine Pollution Bulletin, Volume 142, Pages 394-407 (2019)
3 comments for “Plastique en mer et le « tout » naturel : fausse « bonne idée »”