Coup de chaud pour les poissons…

Le réchauffement climatique que nous sommes en train de vivre est rapide et c’est bien là le problème. Alors évidemment, on cherche à comprendre les effets de la hausse des températures des milieux sur les êtres vivants : quelles espèces sont les plus menacées, pourquoi, et comment l’estimer de façon fiable ? Une publication est sortie tout récemment dans Science (3 juillet) et relate les travaux de chercheurs allemands (Université de Brême, Institut Helmholtz de biodiversité marine fonctionnelle, centre Helmholtz pour la recherche polaire et marine) qui se sont penchés sur la question du réchauffement des eaux et des effets sur les poissons en cherchant :
– à déterminer quelles sont les étapes critiques où les espèces sont particulièrement impactées,
– à identifier les processus biologiques qui sont les plus sensibles et pourquoi.

Des zones mortes dans l’ocean !

Une certaine tolérance par rapport aux écarts de température idéale

D’après les observations, l’habitat de chaque espèce correspond à une fenêtre de températures idéales avec des limites à ne pas franchir, limites qui lui sont propres. Chaque espèce possède également sa propre tolérance.

Comment expliquer ces différences entre espèces ?
Les auteurs de l’étude supposent que selon l’espèce, c’est la capacité cardiorespiratoire qui dicte la tolérance par rapport à des écarts de températures. Rappelons que car toute variation de température modifie la solubilité de l’oxygène dans l’eau. La tolérance est donc différente selon l’espèce mais aussi, comme le soulignent les auteurs, la maturité de chaque individu. En effet, la capacité respiratoire n’est pas identique à chaque étape de la vie.

Les données actuelles montrent que les plages de températures sont étroites et sont le fruit d’un compromis permettant le développement dans un milieu donné sans nécessiter trop d’énergie. En effet, une fenêtre de tolérance plus large serait trop coûteuse en énergie afin de maintenir l’homéostasie*. Ce maintien devient trop difficile en cas de trop grandes variations des paramètres extérieurs.
*L’homéostasie c’est le réglage interne des fonctions vitales.
D’après les observations, le réchauffement impacte surtout la reproduction des espèces pour deux raisons essentielles :
– les individus les plus fragiles, les moins résilients sont les adultes en période de reproduction (ils ont un surcoût énergétique à gérer lié à la gestation ou à la production hormonale modifiée),
les larves sont également très sensibles au réchauffement en raison d’une moindre capacité respiratoire.
Mais les auteurs regrettent de manquer terriblement de données expérimentales et particulièrement pour les adultes en cours de reproduction.

Comment avancer dans la compréhension ?
Pour aller plus loin et bien cerner les vulnérabilités, les auteurs de l’étude ont intégré plusieurs approches combinant :
– des données expérimentales malgré leur petit nombre,
– des données observationnelles pour analyser comment se comportent les différents individus,
– des données de la phylogénétique qui permettent de faire des liens entre les espèces.

Ils ont donc scruté les effets du réchauffement selon les différentes étapes de développement en collectant des données de 694 espèces de poissons en différents milieux de la planète.

Les adultes reproducteurs et les embryons sont effectivement les individus les plus sensibles en raison d’une capacité plus limitée à récupérer l’oxygène dissous. C’est donc le processus de développement du système cardio vasculaire qui représente l’étape limitante et qui fixe la température maximale admissible.


Plusieurs facteurs rentrent en ligne de compte :
– Plus le système cœur/branchies se développe, plus l’apport d’oxygène aux tissus et aux organes est efficace, ce qui améliore la tolérance aux températures extrêmes,
– Avec la croissance, les mécanismes de maintien de l’homéostasie et de réparation se mettent progressivement en place, d’où une amélioration de la tolérance aux températures plus élevées, et aux autres sources de stress (variation de la salinité et augmentation de l’acidité),
– une croissance hypoallométrique du système respiratoire (le fait qu’une partie d’un organisme -ici le cœur ou les branchies- se développe moins vite que l’individu dans sa globalité) pour certaines espèces, explique aussi leur moindre résilience,
– l’augmentation de température a un effet sur la production d’hormones sexuelles ce qui peut entraver le développement des gonades et donc la reproduction.

Les auteurs expliquent donc que pour estimer la vulnérabilité ne espèce en particulier les risques sur sa capacité à se reproduire, le calcul de la marge de sécurité thermique ou facteur TSL (Thermal Safety margin = différence entre la température maximale supportée et la température maximale de l’habitat) qui est habituellement mené, doit être réalisé sur la base des adultes reproducteurs et des embryons et non sur des adultes lambda. Avec une telle approche, ils mettent en évidence que la reproduction de plusieurs espèces d’eau douce et marines pourrait d’ores et déjà être menacée.
L’objectif de maintenir le réchauffement à +1,5 °C selon les engagements des accords de Paris, pourrait avoir un impact plutôt positif en réduisant sensiblement le nombre d’espèces menacées.

En conclusion : Le réchauffement actuel est une menace pour de nombreuses espèces de poissons, bien au-delà de ce qu’on pouvait imaginer. Les espèces eurythermes, celles dont la température interne varie avec celle du milieu sont plus tolérantes et se caractérisent par un mode de vie plus actif, pouvant aller chercher leur nourriture dans les zones plus larges.
La vulnérabilité d’une espèce est à étudier en considérant certains stades de développement « clé » et non plus l’adulte qui est plus « adapté » mais dont la reproduction pourrait être menacée.
La publication termine sur le  » Comment faire face ? »
Cela peut passer par une adaptation progressive des individus (évolution au fil des générations) ou des phénomènes de migrations vers des zones plus froides, ou un décalage du calendrier de reproduction.
Dans tous les cas, ce n’est pas sans poser quelques challenges car de nombreux paramètres rentrent en ligne de compte et il est difficile de tout satisfaire. L’adaptation par exemple est un phénomène trop lent par rapport au réchauffement actuel. La migration n’est pas forcément possible pour certaines espèces, et une modification du timing des périodes de reproduction risque de ne plus faire coïncider la venue des embryons ou le développement des larves avec les pics de production de plancton ! Aux mains de l’homme, des études et des réflexions pour la mise en place de moyen de protection et restorations des écosystèmes et à plus large échelle, stabiliser le réchauffement climatique !

Référence :
Flemming T. Dahlke et al., « Thermal bottlenecks in the life cycle define climate vulnerability of fish », Science 369, p65-70, Juillet 2020

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