Une histoire de pneus et de pissenlits !

Elle est généralement détestée des jardiniers ! Cette plante, le pissenlit ou « dent-de-lion », souvent qualifiée de « mauvaise herbe » dissémine ses graines au gré du vent et stresse les amateurs de beaux gazons !
Par contre, elle fait le bonheur des enfants, des pollinisateurs (le pissenlit est une plante mellifère) mais aussi celui des chercheurs qui collaborent avec certains industriels, notamment ceux du pneu ! En effet, il semblerait qu’on puisse fabriquer du bon  » caoutchouc » avec ses racines et qu’il serait même possible d’en faire des pneus. Certains ont ben et bien relevé le défi. C’est ce qu’on appelle de la « chimie verte ».
Regardons-y d’un peu plus près.

Les utilisations du caoutchouc naturel
Le caoutchouc présente des propriétés incroyables qui expliquent pourquoi on le retrouve dans plus d’un objet de notre quotidien ! Bien sûr, on a de suite en tête les pneus de nos vélos ou voitures mais la liste est pourtant bien plus longue : tuyau d’arrosage, tapis, amortisseurs (silent blocs) et autres pièces de voitures, courroies de transmission,  joints d’étanchéité, semelles de chaussures, équipements et accessoires sportifs (altères, balles, poignées…).
Mais n’oublions pas l’autre forme sous laquelle on trouve le caoutchouc : le latex (des particules de caoutchouc dispersées dans de l’eau – entre 30 et 50 % en volume). On le retrouve dans les gants des laboratoires ou auprès des professionnels de santé, les ballons gonflables (pour les enfants mais aussi dans le domaine thérapeutique dans le cadre de l’angioplastie – nous en avions parlé ICI) ou encore les combinaisons de plongée, les préservatifs et les colles.

Parmi les propriétés du caoutchouc particulièrement prisées et qui expliquent le choix du matériau pour tous ces objets, c’est essentiellement son élasticité associée à une grande résistance mécanique (très utile pour absorber les chocs) et son étanchéité.

Le caoutchouc naturel
Le latex est ce liquide végétal laiteux produit par certaines plantes telles que l’hévéa (Hevea Brasiliensis), un arbre présent en régions chaudes et humides (les régions tropicales de l’Asie du sud-est, l’Afrique de l’Ouest ou en Amérique du sud). On le récolte par une incision dans l’écorce de l’arbre ce qui sectionne les vaisseaux laticifères : il s’agit bien d’un réseau séparé de celui des vaisseaux véhiculant la sève élaborée. En effet, la sève transporte les nutriments pour le végétal tandis que le latex est une substance utile pour la défense de l’arbre en cas d’attaque. Le latex liquide s’accumule au « point de blessure » et colmate la brèche en coagulant donc en se solidifiant progressivement.

L’utilisation comme matériau pour la fabrication d’objets
Le latex coagulé issu de l’arbre s’appelle le coagulum. Lavé, il est mis sous forme de granulés, chauffés à 120°C ce qui casse des liaisons chimiques et diminue la viscosité du caoutchouc : il devient beaucoup plus maniable.
D’un point de vue chimique, le caoutchouc est un polymère de butadiène (4 atomes de carbone avec une succession double/simple/double liaison (C=C-C=C). Il est spécifiquement élaboré dans les cellules laticifères avec comme produit de départ un sucre simple fabriqué par la plante par photosynthèse : le sucrose. Mais le procédé n’est pas si aisé à comprendre et fait encore l’objet de recherche pour en déterminer les étapes.
Le caoutchouc n’est pas un polymère banal, c’est un élastomère : une fois étiré ou déformé, il peut reprendre sa forme initiale, bref il permet des déformations réversibles. Ceci est lié à la présence de ponts entre les chaînes polymères. 

Le caoutchouc naturel est à 99 % constitué du monomère cis-1.4 isoprène (un butadiène)

Et les chaînes sont reliées ainsi.

Face à une demande croissante en latex et des problèmes qui menacent la survie des ressources habituelles (attaques de pathogènes, vulnérabilité face au réchauffement climatique), de nouvelles ressources sont indispensables… Bien sûr, il y a possibilité de fabriquer du caoutchouc à partir de pétrole source de butadiène via la pétrochimie, ce que font pas mal d’industriels du pneu mais c’est bien du côté du pissenlit que les yeux se tournent et sur lesquels certains labos s’activent car la plante à fleurs jaunes produit un caoutchouc de haut poids moléculaire !

Pourquoi le pissenlit ?
Beaucoup de plantes produisent des polymères de type « caoutchouc » mais très peu sont capables de synthétiser du latex de haut poids moléculaire ; or, c’est bien celui-ci qui est recherché pour les applications que nous avons évoquées.
Parmi les candidats, il y a la Guayule originaire du Mexique et le Pissenlit ou encore dent-de-lion, nom vernaculaire qui regroupe quand même tout un tas d’espèces (nom latinTaraxacum).
Et ses racines sont très riches en « caoutchouc » ! Les russes les premiers puis américains, anglais et allemands s’y intéressaient déjà dans les années 40-50 (dans les années 30 pour les russes). D’un point de vue moléculaire et qualitatif, la caoutchouc de ces « mauvaises herbes » est tout à fait comparable à celui de l’Hévéa. Mais il faut l’extraire des racines qui contiennent pas mal d’autres molécules via un procédé bien pensé avec diverses étapes qui permettent de séparer efficacement et avec un bon rendement les particules de latex. D’autres molécules d’intérêt sont également extraites en même temps.
Le procédé comprend ainsi des étapes de broyage, d’attaque chimique et enzymatique, de filtration et autres processus de séparation.

L’avantage du pissenlit est qu’il possède la capacité de s’adapter et de se développer dans une grande variété d’environnements et peut donc se cultiver proche des sites industriels qui utiliseraient ce matériau. Cela limite, notamment pour les industriels du pneu européens, les effets néfastes du transport depuis des zones tropicales et/ou les risques de se retrouver à court.
Mais encore faut-il bien estimer l’ensemble des coûts énergétiques et environnementaux de la transformation de la biomasse sur toute la chaîne du procédé pour trancher sur l’impact réellement avantageux de cette approche.

Où en est-on concrètement ?
Continental travaille sur ce type de produits pour les pneumatiques destinés aux camions qui pourraient bien intégrer du caoutchouc de pissenlit à la hauteur de 40 %.

Note : Cet article fait partie des sujets abordés, de façon romancée, dans mon livre « Le Monde et Nous »

Références :
Dusotoit-Coucaud A. et al., « Sucrose importation into laticifers of Hevea brasiliensis, in relation to ethylene stimulation of latex production », Annals of Botany 104: 635–647, 2009

Gurao V., Rai S., »Dandelion – An Alternate to Natural Rubber », Global Journal of Materials Science and Engineering, 2019

Sarkar P., Bhowmick A., « Sustainable rubbers and rubber additives », Journal of Applied Polymer Science, 2018, DOI: 10.1002/app.45701

 

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