Je ne pouvais pas passer à côté de cette nouvelle étude qui s’est intéressée aux soins parentaux chez une espèce d’araignée sauteuse Toxeus magnus, qu’on trouve surtout en Chine, soins qui impliquent la pratique de l’allaitement prolongé. De quoi s’agit-il ?
Produire du lait et allaiter ses petits sont deux caractéristiques des mammifères. Or l’étude d’une équipe chinoise, parue très récemment dans Science jette un pavé dans la mare en montrant qu’une espèce ovipare peut aussi fabriquer du lait à destination de ses petits.
Les soins parentaux en général
Dans chaque espèce animale, les bébés sont souvent très dépendants de leurs parents durant leurs premiers jours (semaines, mois, années) de vie. Les parents fournissent par exemple, la nourriture qui assure leur survie (parfois dans un milieu hostile) et un développement optimal et ce, jusqu’à ce que la progéniture soit capable d’assurer elle-même sa propre subsistance. Chez certaines espèces, les parents continuent à « nourrir » de façon assez prolongée parce que cette période correspond aussi à une période d’apprentissage pour parfaire une technique de chasse ou une stratégie d’évitement face aux prédateurs. Cela peut aussi permettre d’influencer le comportement de la descendance. En tous cas, il a été observé que cette longue période de soins parentaux était bénéfique aux juvéniles qui acquièrent plus de compétences sociales… Parfois cette période s’étend même jusqu’à la maturité sexuelle, surtout chez les espèces sociales vertébrées.
L’araignée sauteuse Toxeus Magnus
Alors cette araignée est déjà étonnante en soi ! On peut facilement la confondre avec une fourmi : un parfait mimétisme (on dit qu’elle est myrmécomorphe) qu’elle doit à la forme de son corps très allongé mais aussi à son attitude (elle brandit sa paire de pattes avant comme s’il s’agissait d’antennes).
Mais cette araignée n’a pas fini de nous surprendre. L’observation de son nid a montré un ou plusieurs adultes en présence de plusieurs juvéniles plusieurs jours après l’éclosion. Les auteurs de l’ étude s’en sont étonnés et ont cherché à comprendre : l’espèce pratique-t-elle les soins parentaux prolongés ? La mère nourrit-elle longtemps ses petits, et de quelle façon ? Quel comportement adoptent les petits ? Quels bénéfices en tirent-ils ?
Les observations dans le cadre de cette étude
Les scientifiques ont constaté qu’après leur naissance, les jeunes araignées ne quittaient pas le nid avant une vingtaine de jours et que leur mère ne sortait pas non plus à la recherche de nourriture, pendant cette période. Malgré tout, les petits grandissaient bien et pour cause : la mère leur fournissait un fluide nutritif, que les auteurs appellent « du lait ». Dans un premier temps, cette substance était excrétée du corps de mère (par l’intermédiaire d’une rainure sous l’abdomen) et des gouttelettes étaient déposées à l’intérieur du nid. Les petits venaient les absorber régulièrement.
Après une semaine, les petits venaient directement s’abreuver auprès de leur mère.
Bien que les juvéniles aient commencé à quitter le nid autour de 20 jours, la production de lait a continué bien au-delà de cette période alors que la progéniture était pratiquement adulte (37 jours). A partir de 40 jours, l' »allaitement » a pris définitivement fin et l’âge adulte était atteint à 52 jours.
Les auteurs indiquent que le lait d’araignée est riche en sucre, en gras et en protéines (un taux 4 fois plus élevé que dans le lait de vache).
Intérêt du « lait » pour les jeunes araignées
Les chercheurs ont alors cherché à déterminer si cette substance était vitale pour les petits. Afin de tester l’hypothèse, ils ont stoppé la production de lait, en bloquant physiquement dès l’éclosion la zone abdominale d’où le précieux liquide était excrété : les petits sont morts au bout de 11 jours. Voilà la preuve que les petits dépendent de cette production lactée pour vivre.
Pourquoi un apport au-delà de 20 jours, alors que les juvéniles sont capables de se débrouiller seuls pour trouver de quoi se sustenter ?
Afin de mieux comprendre, la même opération a alors été réalisée : l’apport de lait a, cette fois, été empêché à partir du 20e jour de vie des petits. Le taux survie de la progéniture une fois adulte était réduite (par rapport au groupe témoin) mais leur développement au-delà de 20 jours était normal avec une activité à l’extérieur du nid était plus intense. Cela montre que le lait, au-delà de 20 jours n’est pas capital car la recherche de nourriture s’opère alors à l’extérieur. Bref, cela encourage les petits à sortir plus tôt du nid, à un âge où les risques de prédation sont accrus. Mais un biais est à souligner : c’est surtout la présence de la mère qui joue un rôle important.
Les auteurs ont ainsi montré que les soins accrus et prolongés de la mère, en dehors même de la production de lait, avaient un lien avec la survie à l’âge adulte de la descendance notamment par le fait, qu’elle nettoie et répare régulièrement le nid ce qui diminue le risque d’apparition de parasites, et donc le risque d’infections.
Pourquoi une pratique de l’allaitement chez des non-mammifères ?
Les auteurs de l’étude concluent leur publication sur le pourquoi d’un allaitement pratiqué de la sorte chez cette espèce ?
Produire du lait pour nourrir sa progéniture est un moyen efficace d’apporter une ressource alimentaire : une adaptation permettant de survivre dans un environnement difficile où l’accès à la nourriture est incertain. L’apport de lait favorise alors la bonne santé des petits.
Les auteurs suggèrent alors que chez les non-mammifères, les conditions environnementales les plus à même de favoriser l’évolution d’une espèce vers la pratique de l’allaitement, seraient celles où les ressources alimentaires sont peu fiables et les risques de prédation élevés. Ainsi, dans un tel contexte les femelles se sont adaptées pour produire du lait et prendre soin de leurs petits de façon prolongée. Ils sont ainsi en meilleure forme et mieux armés pour aborder seuls un environnement difficile.
Mais tout cela demande effort et énergie de la part des parents. Les auteurs s’interrogent sur le fait que cela puisse impacter le nombre de petits.
Bref, en un mot, les araignées sont extraordinaires. Elles font déjà très souvent l’objet d’une forte admiration des scientifiques face aux propriétés étonnantes de leurs fils, propriétés qu’ils n’ont de cesse de vouloir imiter… Mais cette nouvelle découverte montre qu’elles n’ont pas fini de nous surprendre.
Référence :
Chen Z., Corlette R. et al., « Prolonged milk provisioning in a jumping spider », Science 362, 1052-1055 (2018)