Qui n’a jamais été désemparé ou exaspéré des pleurs d’un bébé ? Tous nouveaux parents (particulièrement eux), bien que complètement en adoration devant la petite chose fragile en pleurs qu’ils ont engendrée, se trouvent bien souvent désarmés ! Pourquoi ces pleurs ? Que faire ? De quoi s’agit-il en fait ? de faim, de soif, d’inconfort au sens large, de colère, de peur, de simple désir de communiquer, d’un besoin irrépressible de capter l’attention ? Et tous les enfants pleurent-ils de la même façon ? Qu’est-ce que cela suscite en nous, adultes ?
Voilà bien toute une série de questions sur lesquelles plusieurs chercheurs (psychologues, anthropologues, pédiatres …) se sont penchés.
Aussi, il y a quelques temps, au détour de mes lectures (donc sans vraiment rechercher d’information sur ce sujet), je suis tombée sur plusieurs articles présentant quelques résultats d’études consacrées aux pleurs des bébés.
Même si nous ne répondrons pas à toutes les interrogations évoquées (loin s’en faut !), je m’empresse de partager quelques conclusions de ces études.
Réactions physiologiques et comportementales des parents face aux pleurs
Lorsqu’un nourrisson se met à pleurer, ses parents ont d’instinct une réaction physiologique :
-augmentation de la pression artérielle, du rythme cardiaque,
– un petit pic d’adrénaline et de cortisol (permet de libérer de l’énergie à partir des réserves de l’organisme)
– une activation notable pour les mères de certaines zones du cerveau (amygdale notamment : zone liée aux comportements de soin et d’empathie)
Bref, une irrépressible envie de prendre soin du bébé et de le consoler (exactement ce qu’il faut pour développer le câblage du cerveau).
Une étude (Université d’Oxford) [1] a montré qu’en comparaison avec d’autres sons de même intensité (y compris des cris humains adultes), seul le pleur des bébés est spécifiquement capable de provoquer une réaction extrêmement rapide de la part d’adultes : une réaction quasi viscérale qui vient du plus profond de notre cerveau.
Un des auteurs, le professeur Kringelbach nous explique « Evolution has decided that it is a good thing for us to look after our young, and there is something in the acoustic properties of babies’ cries that evokes a very basic response that appears to be hardwired in ancient parts of our brains »
L’évolution a décidé que c’était une bonne chose pour nous, de veiller sur nos petits, et il y a quelque chose dans les pleurs des bébés qui appelle en nous un véritable instinct d’y répondre, quelque chose qui prend sa source dans les parties les plus primaires de nos cerveaux !
Que se passe-t-il si on réprouve ces instincts ? Côté parent, une chaîne de réactions en rétrocontrôle se met en place… Côté enfant, beaucoup de stress, voire plus (voir ICI)… Je n’irai pas plus loin, ce n’est plus le sujet !
Ces réactions instinctives, normales, ont permis depuis la nuit des temps d’assurer la survie du bébé, grâce aux soins mis en oeuvre par les parents. Certains parents sont plus sensibles que d’autres, certaines mamans le sont particulièrement (voir ICI)
Il est scientifiquement établi que des contacts de proximité limitent fortement les pleurs des bébés [2].
Poussons le bouchon un peu plus loin ! Existe-t-il des bébés qui ne pleurent pratiquement pas ? La réponse est « oui, il y en a » : Des anthropologues [3] se sont intéressés à quelques tribus africaines de chasseurs_cueilleurs du Bostwana ( la tribu !Kung par exemple) dont les bébés ne pleurent jamais. Les anthropologues ont montré que les parents anticipaient les besoins (contacts étroits en particulier) avant même que la communication verbale par le pleur ait besoin de s’établir !
Maintenant, qu’en est-il pour nos civilisations occidentales ?
La reconnaissance des pleurs
Une étude de 2012 menée par des chercheurs espagnols (observations d’une vingtaine de bébés âgés de 3 à 18 mois) s’est attachée à analyser les signes de reconnaissance des types de pleurs (peur, colère, douleur sont les trois causes étudiées) ainsi que la faculté des adultes à les interpréter [4].
L’équipe explique qu’ en observant l’activité oculaire du bébé en pleurs (yeux fermés ou non) et la dynamique du « cri » (intensité et durée), on peut comprendre la cause du chagrin.
En résumé, de cette étude, il ressort que lorsque les pleurs sont associés à :
– la colère : l’enfant garde les yeux mi-ouverts, l’intensité du pleur décroit progressivement
– la peur : les yeux sont ouverts quasiment tout le temps, l’intensité des pleurs augmente peu à peu jusqu’à atteindre un point culminant
– la douleur : l’enfant garde les yeux fermés (lorsque les yeux s’ouvrent, c’est assez bref), les pleurs démarrent très brusquement avec un maximum d’intensité.
En ce qui concerne l’attitude des parents, l’étude montre que c’est la colère et la peur qui sont les plus difficiles à reconnaître. Pour la douleur, même si les parents ou autres observateurs, n’arrivent pas à identifier la cause, leur attitude fait preuve d’une intense réaction affective : une parfaite adaptation entre l’enfant en détresse (parce que quelque chose menace sa santé ou sa survie) et la réaction de l’adulte qui doit être rapide pour soulager le bébé.
Des résultats intéressants pour les jeunes parents qui souhaitent quelques guides, ou pour le personnel soignant (puéricultrices) souhaitant parfaire son travail.
Est ce que tous les enfants du monde pleurent à l’identique?
Les pleurs comme premiers éléments d’une langue maternelle
Pleurer…en français ou en allemand, ce n’est pas pareil !
Voici le titre d’un paragraphe issu d’un article plus général « Bébé apprend …avant sa naissance » paru dans le magazine « Le Monde de l’Intelligence » d’avril-mai 2013. De quoi attirer mon oeil et attiser mon intérêt !
Bref, on y apprend que « dans les jours qui suivent leur naissance, les bébés ne pleurent pas de la même façon selon que leur mangue maternelle est le français ou l’allemand ». Surprenant, non ?
Les conclusions sont issues d’une étude franco-allemande de 2009 [5] qui a permis d’observer 60 nouveaux-nés (30 français et 30 allemands) de parents parlant une seule langue. Il apparaît qu’en français, on pleure avec des sons de plus en plus aigus ; au contraire des pleurs allemands qui finissent plus grave comme la mélodie de la langue. L’enfant semble donc avoir appris à reconnaître les intonations de sa langue maternelle in utero.
Ces résultats amènent différentes implications discutées par les auteurs.
La reconnaissance et la reproduction des caractéristiques prosodiques (mélodie, intensité, rythme) d’une langue constitue une première étape importante dans l’acquisition du langage. D’autres études apportent également la preuve que cette sensibilité s’acquiert bien en amont des premiers mots prononcés : dès le dernier trimestre de la grossesse. En effet, les aspects phonétiques subissent une forte distorsion au-travers du ventre de la mère alors que les caractéristiques prosodiques d’une langue sont préservées. Il semble donc non seulement que le nourrisson les ait mémorisées mais soit capable de les reproduire en contrôlant sa voix !
Cela montre aussi que contrairement à ce qui avait été supposé, les pleurs d’un nourrisson ne sont pas restreints par leur activité respiratoire (les fameux pleurs qui « font les poumons »)…sinon tous les bébés pleureraient avec la même modulation, sans être capables de reproduire les mélodies de leur langue. Au contraire, cette capacité à reproduire les intonations de la langue maternelle montre dès la naissance, une très bonne coordination larynx_système respiratoire sous contrôle de mécanismes neuro-physiologique (effort de mimétisme) malgré une immaturité de certains muscles et articulations : il s’agit là d’une formidable faculté permettant à bébé d’imiter maman et de communiquer au mieux avec elle !
Des résultats là aussi intéressants pour des futurs parents, qui veulent communiquer au plus vite avec leur enfant ! Qu’ils ne se privent pas de le faire, même pendant la grossesse, parce que preuve est faite que le cerveau du fœtus est réceptif !
Conclusion :
Ces quelques études sur les pleurs de bébés bien trop souvent interprétés comme une preuve d’immaturité émotionnelle et comportementale de l’enfant apportent de nouveaux éclaircissements sur leur faculté à s’exprimer, à communiquer à tout prix avec leurs proches : une stratégie d’adaptation qui semble bien rodée.
Quant aux parents, fortement sensibles aux pleurs depuis l’origine de l’humanité, il leur faudra beaucoup de patience, de sens de l’observation pour les interpréter … mais équipés de toute une série de réactions physiologiques, ils sauront écouter leur instinct, aucune raison d’échouer !
Références :
[1] Christine E Parsons, Katherine S Young, Emma Parsons, Alan Stein, Morten L Kringelbach , Listening to infant distress vocalizations enhances effortful motor performance, Acta Paediatrica, 2012 Volume 101, Issue 4, p189–191
(http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1651-2227.2011.02554.x/abstract)
[2] St James-Roberts I, Alvarez M, Csipke E, Abramsky T, Goodwin J & Sorgenfrei E. Infant Crying and Sleeping in London, Copenhagen and When Parents Adopt a “Proximal” Form of Care, Pediatrics, 2006; 117; p1146-1155
[3] Hewlett B, Lamb ME, Shannon D, Leyendecker B & Scholmerich A. Culture and Early Infancy Among Central African Foragers and Farmers Developmental Psychology 1998, 34, No. 4, 653-661
[4] Mariano Chóliz, Enrique G. Fernández-Abascal, Francisco Martínez-Sánchez. Infant Crying: Pattern of Weeping, Recognition of Emotion and Affective Reactions in Observers. The Spanish Journal of Psychology, 2012; 15 (3)
[5] Brigitte Mampe, Angela Friederici, Anne Christophe, Kathleen Wermke, Newborns’ Cry Melody Is Shaped by Their Native Language, Current Biology, 2009; 19
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