Il y a quelques jours (le 12 février), c’était le Darwin Day. Alors, comme il y a 2 ans ICI, ou 3 ans LA, j’ai eu envie de parler de ce grand naturaliste : un petit billet pour souligner toute la beauté de ses recherches, de ses hypothèses, de ses conclusions et des questions qu’il a laissé en suspens.
Dans le précédent article, je vous parlais du colibri et de quelques uns des secrets lui permettant de se régaler du nectar sucré des fleurs : voler en mode « stationnaire » d’une part et garder une manœuvrabilité totalement incroyable, d’autre part. Ces traits sont le fruit d’une évolution et d’une sélection qui ont permis une parfaite adaptation entre les oiseaux et les ressources nutritives de leur environnement. Peut-on aller plus loin ?
Darwin, lors de son riche et long voyage, a beaucoup observé, noté, comparé, collecté des échantillons, réfléchi… L’exemple le plus connu concerne ses interrogations sur les subtiles différences entre plusieurs espèces de pinsons, de proche parenté, sur les différentes îles des Galapagos. Cela lui a permis, comme on le sait, de mettre en évidence le rôle de l’environnement comme moteur de la sélection naturelle.
Qu’en est-il des colibris ?
Les différentes espèces de colibris consomment du nectar et pratiquent le vol stationnaire mais ils ont tous leurs spécificités : masse corporelle, taille, forme des ailes et du bec ainsi qu’un dimorphisme sexuel plus ou moins prononcé.
Le dimorphisme sexuel s’explique généralement par un mécanisme de sélection sexuelle ou de sélection de reproduction. Darwin avait le sentiment que les causes écologiques étaient aussi parfois à l’oeuvre et devaient surtout jouer sur les structures nourricières telles que le bec afin d’exploiter des ressources alimentaires différentes. Mais ce lien était difficile à établir.
Une étude parue en 2003 corrobore cette hypothèse imaginée par Darwin.
Ainsi, sur l’île Sainte Lucie en mer des Caraïbes, le colibri madère Eulampis jugularis présente une différence très marquée entre le mâle et la femelle : le mâle est plus gros, avec un bec plus court et moins courbé. En ce qui concerne les ressources, ce sont deux espèces de balisiers aux fleurs magnifiques, gorgées de nectar qui se développent sur cette île. Le balisier géant des Caraïbes (Heliconia caribaea) avec ses bractées rouges, possède une corolle courte et droite et attire plutôt le mâle, qui se trouve avantagé, étant donnée la forme de son bec ! Le balisier bihai (Heliconia bihai) aux fleurs vertes et à la corolle plus longue et incurvée est plutôt fréquenté par les femelles qui n’hésitent pas à parcourir des distances plus longues pour se nourrir. Là aussi, une bonne adéquation entre la fleur et le bec courbé de la femelle explique cette préférence : c’est un peu l’histoire de la fable de Jean de Lafontaine, Le Renard et la Cigogne.
Mais cette configuration peut varier lorsque les deux variétés végétales ne sont pas présentes toutes les deux, ce qui se produit dans certaines zones géographiques. Là où l’espèce caribaea n’y est pas, le mâle s’oriente vers les fleurs du bihai mais choisit alors les plantes qui se rapprochent le plus du profil « corolle courte et droite » !
Dans d’autres îles, où d’autres morphologies de ces plantes existent, la préférence des colibris est également très intéressante à étudier. Sur l’île Dominique, les scientifiques ont noté deux morphologies et couleurs distinctes des pièces florales pour l’espèce caribaea (rouges et jaunes) : les mâles préfèrent là-aussi celles qui ont une corolle plus courte et droite (ce sont les jaunes).
Les deux sexes n’ont pas la même masse corporelle ni les mêmes besoins énergétiques : le mâle qui a de plus gros besoins, consomme le balisier caribaea, un peu plus riche en nectar. Sur l’île Dominique, c’est la forme courte à fleurs jaunes qui est aussi la plus énergétique.
Les auteurs de l’étude mettent donc en évidence le phénomène de co-évolution entre les colibris et les plantes. Ici, le colibri madère et le balisier évoluent en se répondant l’un à l’autre :
– la plante a besoin d’être pollinisée et son évolution permet de s’adapter au bec de son pollinisateur le plus fréquent.
– le colibri a besoin de se nourrir, le plus facilement possible : les individus dont le bec sera le plus adapté à la morphologie des fleurs présentes dans un milieu seront avantagés et sélectionnés.
Darwin avait souligné cette co-évolution entre plantes et insectes en explicitant l’exemple de la parfaite adaptation des pièces buccales de certains papillons à la forme des fleurs de certaines orchidées.
Cette étude montre que le dimorphisme sexuel n’est pas seulement le fruit de la sélection sexuelle mais que les ressources variables en qualité et quantité interviennent aussi dans le processus évolutif mâle/femelle.
Référence :
1- Temeles, E. J. and Kress W. J., « Adaptation in a Plant-Hummingbird Association », Science, Vol 300, 2003