Une hypoxie des océans préoccupante !

Le réchauffement climatique est bien ancré dans nos esprits : les médias en parlent beaucoup et il est déjà bien palpable sur de nombreux aspects dans la réalité de terrain, malheureusement.
En ce qui concerne les mers et océans, les menaces sont multiples : les vagues de chaleur marines, l’acidification des eaux, et la baisse de la teneur en oxygène.
Les chercheurs mettent le doigt sur ce dernier paramètre car il a évolué de façon drastique avec une perte de 2% ces 50 dernières années. Ils estiment que c’est la diminution de l’oxygène dissous qui aura, et de loin, le plus de conséquences sur les écosystèmes. La chute pourrait atteindre 20% en 2100 en comparaison avec 1960 dans les zones les plus à risque. C’est un chiffre énorme conduisant à une perte d’habitat irrémédiable pour bon nombre d’espèces.

Une publication récente dans Science (Février 2023) fait le tour de cette question et l’une des conclusions les plus importantes est pour le moins surprenante : les requins sont d’excellents indicateurs de l’état des océans et les observer s’avère particulièrement utile !

Par Alex Chernikh — Фото Алекса Черных, Гардинес де ла Рейна, Куба

Les requins, ces poissons qui consomment beaucoup d’oxygène, sont au sommet des chaînes alimentaires et sillonnent de vastes parties des océans. Visiblement, ils modifient leur comportement dans les zones en hypoxie ! Le lien entre la teneur en oxygène et l’attitude des requins a été fait grâce à l’expédition de scientifiques portugais courant 2022 et Dr David Sims, le biologiste souligne que leur façon de se nourrir et leur accouplement sont impactés.

Les zones particulièrement menacées?
On retrouve ces zones avec une chute de la teneur en oxygène au niveau de la mer Baltique ou dans le golfe du Mexique. Là, la pollution par des nutriments tels que le phosphore ou l’azote (relargage de fertilisants provenant des rivières et donc des terres, ou des rejets d’égouts) est forte ce qui déclenche un développement important des cyanobactéries et des algues qui empêchent la lumière de pénétrer les eaux, entravant la photosynthèse… La production d’oxygène ne se fait plus correctement ! L’ensemble de ces processus s’appelle l’eutrophisation.

A cela, s’ajoute l’effet du réchauffement : l’eau plus chaude induit une plus faible solubilité de l’oxygène et une stratification plus marquée qui réduit les échanges entre les différentes couches d’eau.

Des zones pauvres se forment aussi naturellement le long des côtes ouest de l’Afrique en raison des courants ascendants (upwelling) qui font remonter les eaux profondes (naturellement plus pauvres en O2) et concentrent des zones en déficit d’oxygène en bordure de continent. Ces courants sont affectés par les vents dominants eux-mêmes impactés par le réchauffement. Bref, de belles boucles d’interactions qui s’imbriquent les unes dans les autres !

Des zones hypoxiques préoccupantes : le Golfe du Mexique, la mer Baltique…

Une chute brusque de la teneur en O2 peut se produire de façon si intense (valeur inférieure à 0.5 ml d’O2/litre) que certains crustacés tels que les crabes ou d’autres organismes marins comme les étoiles de mer et même certains poissons n’ont pas le temps de se déplacer et suffoquent sur place. Ce sont des pans d’écosystèmes qui sont alors impactés.
Mais même en deçà de ces conditions extrêmes, les conséquences de l’hypoxie sont déjà préoccupantes : perte de biodiversité (seuls les espèces les plus résistantes survivent), perte d’habitats (les individus se concentrent dans les zones les plus favorables), routes migratoires perturbées, difficultés à lutter contre les pathogènes, modification hormonale des poissons jouant sur la reproduction et la croissance des alevins !

Les requins : de bons sentinelles
A l’observation des parcours des requins migrateurs (projet Global Shark Movement), les scientifiques autour de David Sims (spécialiste en biologie marine, université de Southampton) ont constaté que les grands mammifères modifient leur comportement habituel et se mettent à fréquenter des endroits plus atypiques : ils montrent une préférence pour les zones pauvres en O2. Les premières observations de ce phénomène remontent aux années 2000. Comment cela s’explique-t-il ? L’idée est alors de suivre le déplacement des requins mais aussi de leurs proies pour voir s’il y avait un quelconque lien d’autant plus qu’il a aussi été mis en évidence que ces espaces hypoxiques correspondaient à des intenses zones de pêches.

Les chercheurs l’expliquent assez bien : les proies qui se retrouvent dans des secteurs de l’océan où sévit un déficit d’oxygène vont naturellement remonter en surface et se retrouver dans un espace plus confiné, et se montrer vulnérables ! Idéal pour la pêche et le festin des gros prédateurs. Or, ces derniers, en modifiant leurs habitudes se mettent en danger par rapport à la pêche justement !
Mais quelques questions demeurent encore sans réponse car certains requins (tels que le requin bleu, espèce au bord de l’extinction) ne restent pas en surface mais plongent dans les eaux profondes là où, justement, l’oxygène fait défaut. Le côté inhabituel de cette pratique est que les requins n’hésitent pas à aller plus profondément ! Peut-être, hypothèse avancée par l’équipe impliquée dans ce projet, s’agit-il pour ces grands prédateurs de profiter dans ces couches profondes de la présence des proies faciles délaissées par les autres tels que certaines pieuvres et calamars, plus tolérants au manque d’oxygénation ?
Toujours est-il qu’en équipant certains requins de petits appareils de mesure « embarqués », les scientifiques souhaitent collecter à la fois les paramètres de l’eau et des informations détaillées sur le comportement des gros poissons (accélérations, changements brusques de direction par exemple).

En conclusion
Les requins sont à protéger à plus d’un titre notamment parce qu’ils servent de sentinelle de l’état des océans :
– en informant les scientifiques des zones les plus sensibles et contribuant à bâtir des connaissances solides et précises,
– en étant figure de proue de l’impact du réchauffement sur les mers, afin de sensibiliser le grand public et les décideurs sur l’importance des efforts pour baisser nos émissions de gaz à effet de serre.

Références

, 379(6631):429-433, 2023

Diaz R. J., Rosenberg R., Spreading Dead Zones and Consequences for Marine Ecosystems, Science, Vol 321Issue 5891, pp. 926-929, 2008

Document IUCN : Lien

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