Mes trois enfants sont tous nés avec 3 semaines d’avance par rapport à la date théorique estimée. A chaque fois, ou presque, le pédiatre qui délivre son accord pour la sortie de la maternité après l’auscultation de mon tout-petit, m’a dit « ah mais cet enfant-là est bien à terme, à n’en point douter ! Vous avez dû vous tromper sur vos dates ! ». Euh, mais l’échographie de datation alors ? Elle avait pourtant bien annoncé une date théorique d’accouchement. Bon alors, voyons un peu ce qu’il en est.
Connaître précisément l’âge gestationnel est primordial d’une part parce que cela conditionne le suivi du bon déroulement de la grossesse et d’autre part, parce qu’une mauvaise estimation peut engendrer des conséquences non anodines tels que des déclenchements voire des césariennes programmées. Et puis en cas de risque de prématurité suspectée, on peut chercher à mettre en place des mesures de prévention. Ce cas de figure reste malheureusement une des premières causes de mortalité infantile et de complications dans la vie future (du moins pour les pays riches) : c’est donc un problème important sur lequel les efforts doivent se concentrer. L’enjeu est trop grand.
Est-il possible de repérer précocement puis de dater une grossesse simplement et précisément ? Pourrait-on de la même façon prédire la prématurité ?
Bien sûr, on a en tête, les tests de grossesse vendus en pharmacie ou la prise de sang qui reposent tous deux sur la détection et quantification de l’hormone HCG. D’ailleurs, c’est quoi cette hormone et pourquoi la dose-t-on ?
L’Hormone HCG (pour Hormone Chorionique Gonadotropine humaine) est une glycoprotéine (une protéine constituée de 237 acides aminés portant des groupements « sucre » (oligosaccharides)) qui est fabriquée par l’embryon lui-même (puis ensuite par le placenta) dès le huitième jour après la fécondation.
Elle permet la survie du corps jaune issu de la transformation du follicule de l’ovaire (sinon celui-ci dégénère et conduit à l’apparition des règles) qui permettra à son tour la sécrétion de progestérone qui maintient la grossesse.
La quantité d’HCG dans le sang de la future maman est donc une indication permettant de repérer la grossesse et de suivre le bon déroulement de celle-ci. Du moins dans les grandes lignes.
Pour suivre une grossesse et notamment observer l’état de santé du fœtus, on peut également doser une autre hormone : l’hormone foeto-protéique secrétée par le fœtus lui-même. Son taux donne des indications du développement du bébé et peut laisser suspecter des malformations.
Bien que ces dosages donnent de bonnes indications, ils restent quand même assez peu précis. Ainsi pour dater plus précisément une grossesse, ou pour observer l’évolution du fœtus, il faut avoir recours aux ultrasons grâce à l’échographie. Mais d’une part toutes les femmes n’y ont pas accès (cela reste des appareils coûteux) et d’autre part, des incertitudes persistent et peuvent conduire à une mauvaise estimation de l’âge gestationnel…
Connaître l’âge de la grossesse peut aussi être primordial afin de pouvoir anticiper la prématurité pour éviter toutes sortes de risques de complications.
Bref comment faire ?
Les biologistes connaissent pourtant assez bien les différentes étapes d’une grossesse et du développement fœtal. Ils savent même décrire les caractéristiques moléculaires, et les mécanismes à l’oeuvre durant chaque étape. En particulier, le fœtus en développement « relargue des cellules libres » qui passent dans le sang maternel (nous en avions parlé dans ce billet) et de l’ADN. Alors il devrait bien y avoir un moyen d’en tirer une application simple pour évaluer de façon précise où en est la grossesse à chaque instant, ou presque ?
C’est sur cette thématique que travaillent des chercheurs américains et suédois (Standford University, Université de Pennsylvanie…). Ils ont ainsi montré qu’il était possible de suivre les changements de phénotypes du fœtus et de la mère (les caractéristiques physiques d’un l’individu) en analysant l’ARN libre présent dans le sang maternel (l’ARN c’est des petits bouts de copie d’ADN permettant, entre autres, la fabrication de protéines). Mais il faut être capable d’identifier quels ARN suivre ? Quels gènes peuvent donner des signaux fiables et représentatifs de l’âge gestationnel et des risques de prématurité. Une première étude sur le suivi de femmes enceintes avait bien permis de prouver que le suivi de plusieurs ARN libres (image directe de la transcription des tissus fœtaux) fournissait des informations fiables et multiples sur le développement de l’enfant.
Est-ce que cela signifie qu’une simple prise de sang pourrait permettre d’établir l’âge gestationnel de façon précise, voire estimer les risques d’accouchement prématuré ?
En effet, cela est possible car les auteurs ont pu construire un modèle permettant de prédire la date de délivrance à partir de données réelles. 31 femmes danoises ont ainsi fait l’objet d’une prise de sang hebdomadaire tout au long de leur grossesse pour construire et valider le modèle (21 femmes pour la construction et 10 pour la phase de validation) . Les gènes candidats, bel et bien ceux relatifs au fœtus, d’autres issus relatifs à la mère, sont nombreux au départ et un tri a été réalisé.
La première version du modèle reposait sur l’étude de 9 gènes particuliers via l’étude de l’ARN libre du sang maternel. Parmi ces 9 gènes, citons les gènes CGA et CGB qui codent pour certaines parties de l’hormone HCG ou le gène qui code la protéine PAPPA (Pregnancy-associated plasma protein). Ce dernier gène est associé à un risque accru de naissance prématurée.
Le modèle permet de prédire la date de délivrance et le résultat s’affine de plus en plus au fur et à mesure que la grossesse avance.
Deux nouvelles études de cohorte ont permis de tester le modèle plus largement. Bien que la taille des deux échantillons soit faible (15 et 23 femmes enceintes à risque d’accouchement prématuré), il a pu être montré que le modèle permettait de prédire les naissances à terme avec une bonne précision ce qui est déjà un bon résultat en soi.
Néanmoins, le modèle, sous cette forme, n’est pas capable de prédire les naissances prématurées (<37 SA) notamment celles liées à la survenue d’événements physiologiques extérieurs.
Afin d’améliorer les prédictions de prématurité, les chercheurs ont donc retravaillé leur modèle en ciblant plus de gènes. C’est l’objet d’une publication très récente parue dans Science (voir référence).
Parmi 38 gènes potentiels, 7 ont été sélectionnés et inclus dans le modèle, ils permettent de discriminer de façon plus efficace les grossesses qui seront menées à terme de celles qui donneront des naissances prématurées.
Le modèle ainsi retravaillé a été testé sur la même cohorte (23 femmes) et a donné de bons résultats, tant dans la prédiction des dates de naissance à terme que pour les naissances prématurées.
Bien sûr, il s’agit ici d’études pilotes (sur une petite taille d’échantillon) mais elles ont surtout l’avantage de montrer que de simples tests sanguins sont efficaces pour faire un suivi fiable de la croissance fœtale, de repérer des anomalies de développement et plus largement de comprendre le développement humain lors d’une grossesse et les mécanismes biologiques pouvant conduire à une prématurité.
Donc ces études sont encourageantes et doivent être poursuivies à travers le monde entier de façon à tester les modèles sur un grand nombre de mamans appartement à des groupes d’origine ethnique différente.
Référence :
Ngo TM et al., « Non invasive blood tests for fetal development predict gestational age and preterm delivery », Science, 2018 Jun 8;360(6393):1133-1136. doi: 10.1126-