Pour une poignée de degrés !

La MRES de Lille, (Maison Régionale de l’Environnement et des Solidarités), dont j’avais déjà parlé dans un précédent article, a récemment organisé une exposition photographique en lien avec le réchauffement climatique. Intitulée « pour une poignée de degrés », elle était visible dans les locaux de l’Espace Culture de l’Université de Lille 1. Les photos sont à la fois les oeuvres d’artistes reconnus et des clichés d’amateurs talentueux.

Exposition photographique « pour une poignée de degrés » par la MRES à l’Espace Culture de l’Université de Lille.

Un beau rendu qui cristallise des interrogations, des non-sens parfois ou des ébauches de solution d’adaptation : bref un mélange de problématiques posées et de lueurs d’espoir. Bon nombre de clichés sont concentrés sur des morceaux de vie, des regards arrêtés sur la Nature qui reprend ses droits ou qui cherche à s’immiscer là où on ne l’attend pas. Alors une question émerge autour du lien entre l’homme et la Nature pour que chacun y trouve une place. Comment favoriser le développement de l’un et de l’autre ? Et si la ville, symbole même de l’emprise de l’Homme sur la Terre, pouvait permettre une reconnexion, voire même apporter une réponse au changement climatique, à l’érosion de la biodiversité ?
C’est à cette question que les intervenants de la soirée de cloture, organisée le 25 janvier dernier, ont cherché à répondre.
Pour cela, deux approches :
– une approche scientifique, celle de Marion Brun, Docteur en Aménagement de l’Espace,
– une approche artistique, celle du photographe Cyrus Cornut.

Marion Brun, travaille au laboratoire TVES (Territoires, Villes, Environnement et Societés) de l’université de Lille et nous présente ses réflexions reposant sur une démarche scientifique (sa thèse et ses travaux en cours).
Ainsi, les quatre grandes causes de l’érosion de la biodiversité ont été mises à jour de façon pertinente grâce à un gros travail de synthèse mené à l’échelle internationale : celui de l’Evaluation des Écosystèmes pour le millénaire* incluant plus de 1300 experts du monde entier qui se sont penchés (entre 2001 et 2005) sur de multiples études, des données, des modèles pour en tirer un consensus scientifique et pouvoir informer des décideurs. Ces grandes causes sont :
1- la perte d’habitat : l’artificialisation des sols, la forte urbanisation, l’étalement urbain liés à l’augmentation des populations réduisent considérablement les zones de reproduction, de dispersion des écosystèmes.
2- l’introduction d’espèces invasives,
A des fins de commerce, tourisme ou via le transport, l’homme introduit parfois de nouvelles espèces dans un milieu nouveau. Cela peut malheureusement devenir un véritable fléau pour la biodiversité locale d’origine qui se trouve envahie et ne sait pas forcément faire face. Il y a alors perte de diversité génétique conduisant à une augmentation de la fragilité des espèces qui ne sont plus aptes à résister face aux aléas (climat, maladies…)
3- le changement climatique qui modifie les écosystèmes,
Le changement climatique, l’accumulation de GES, notamment dans les villes où les moteurs, les systèmes de chauffage sont légion, produisent des îlots de chaleur, d’ailleurs bien visibles sur les images en thermographie. La cause ? Les activités humaines bien sûr mais aussi les matériaux employés (revêtements, béton, goudron, briques, pierres) qui absorbent beaucoup d’énergie solaire et la restituent lentement. La forme et l’organisation des villes joue aussi un rôle important (modification de la circulation des masses d’air).
Le problème majeur est que ces changements sont beaucoup trop rapides et certaines espèces ont du mal à s’adapter.
4- la surexploitation des ressources : pour les besoins en nourriture d’une population croissante mais aussi le développement économique qui touche plusieurs aspects, l’homme va parfois (ou souvent) trop loin dans « ses prélèvements » : par exemple, la pêche intensive remet en question certaines espèces de poissons.
Dans les villes, il y a aussi beaucoup plus de difficultés à la dispersion à cause de cassures dans leur milieu de vie.

*Millenium Ecosystem Assessment

Dans quelles mesures peut-on préserver la biodiversité en milieu urbain ?
La réponse se trouve dans l’aménagement de corridors écologiques pour recréer de la continuité entre les habitats naturels des espèces mais aussi dans la limitation des îlots de chaleur urbains.

Marion nous présente rapidement les deux projets dans lesquels elle est ou a été impliquée :
ClimiBio étudie l’évolution des milieux et du climat en lien avec l’érosion de la biodiversité, la qualité de l’air, la santé, les sociétés.
le projet DUE (Délaissés Urbains et Espèces Envahissantes) s’intéresse aux friches urbaines : leur diversité végétale et leurs apports à la biodiversité dans les villes.

Alors justement les friches, s’avèrent être de bons alliés d’autant plus lorsqu’elles sont connectées et forment des « sous-trames de délaissés ». On y retrouve des espèces qui s’adaptent naturellement au changement climatique… et leur rôle dans la réduction des îlots de chaleur est liée à la modification d’albedo (un tapis végétal va mieux réfléchir le rayonnement solaire) et au phénomène d’évapotranspiration qui rafraîchit.
Encore faut-il que nous, les habitants, acceptions cette Nature sauvage, ce qui n’est pas toujours le cas. C’est là que la communication détient un rôle clé pour rendre compte des effets positifs de ces petits espaces libres et bruts pour le climat et la biodiversité…

Bref, les espaces bien nets séduisent peut-être l’œil humain, mais cette voie n’est pas compatible avec notre lutte urgente contre les effets du réchauffement et la nécessité de protection de la biodiversité. Il nous faut changer de regard !

Et si on regardait à travers l’œil de Cyrus Cornut, à la fois intéressé par l’architecture, la biologie puisque c’est sa formation mais aussi et surtout aujourd’hui par la photo, puisqu’il est photographe de métier ? Ses clichés pris à travers le monde (mais surtout les villes asiatiques en fort développement) interrogent sur les liens entre l’Homme et la Nature, leur cohabitation parfois surprenante mais possible en ville. La présentation de son travail lors de cette soirée, nous en dit long et apporte de l’espoir ou de la tristesse. Mais c’est dans tous les cas passionnant et c’est beau !
Voici quelques clichés de l’exposition.

Autopont Singapour (Cyrus Cornut) – 2014 : La Nature reprend ses droits

Urban farmer. Photo Tim Franco (2011). Cultiver au pied des tours de Chongqing (Chine)

J’ose espérer que ce modeste article de blog contribuera à apporter sa pierre à l’édifice pour réhabiliter les sauvages et à faire connaître le travail des chercheurs dans ce domaine.

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