J’habite dans un coin de France où la pomme de terre est reine (même si elle est mondialement très appréciée, puisque elle arrive en 3e position de la consommation humaine avec 325 millions de tonnes produites en 2010) ! Bref, on la cultive, on la consomme (environ 65Kg/an/habitant) et on l’aime.Toute petite déjà, je vivais au contact proche de « la patate » (mon parrain était grossiste, et j’allais parfois l’aider à trier pour éviter de vendre des cailloux, même s’il y en avait peu ou des pommes de terre « non mûres » comme je disais, vous savez celles avec des tâches vertes…on en reparlera). Bref, il me tenait à cœur de faire un petit focus sur ce légume phare de ma région.
Cet été, j’avais de chouettes cultures sous les yeux dans les champs qui entourent mon habitation (les joies d’habiter en campagne) : je me suis donc rapprochée des agriculteurs pour comprendre leur métier, leurs contraintes et j’ai creusé un peu également du côté de la littérature scientifique, comme d’habitude 😉
Qu’est-ce que la pomme de terre ?
La pomme de terre, originaire des Andes, est un tubercule, c’est-à-dire l’organe de réserve souterrain de la plante qui permet à la fois d’assurer :
– la survie de la plante : c’est une réserve d’amidon pour l’hiver ou la sécheresse,
– la multiplication végétative (reproduction asexuée).
La plante porte le nom de Solanum tuberosum de la famille des solanacées (comme la tomate, aubergine et piment).
Le tubercule se forme à la suite de la modification des tiges souterraines et ce, juste à la base des tiges aériennes. On en trouve de différentes formes selon la variété.
Outre sa reproduction végétative, la plante est aussi capable de passer par la voie sexuée : elle donne de jolies fleurs blanches hermaphrodites. Il en résulte, par autopollinisation, l’apparition de fruits tout ronds (des baies) comme des petites tomates, qui ne sont pas comestibles car chargés de poisons.
Les membres de la famille des solanacées contiennent effectivement une quantité toxique de solanine : un alcaloïde. Mais rassurons-nous, le tubercule que nous apprécions tant, n’en contient pas… sauf les germes ET les fameuses tâches vertes qui apparaissent parfois (c’est bien pire que les traces de pesticides, je pense)… Finalement, c’est bien de cela dont il s’agit : les pommes de terre produisent naturellement cette toxine, un mécanisme de défense contre insectes et herbivores.
La solanine apparaît dans le tubercule en cas de stress lorsqu’il est soumis à la lumière ce qui peut se produire lorsque la pomme de terre en cours de développement n’est pas couverte pas la terre (la butte n’est pas suffisamment haute) ou en cas de problème lors du stockage (mauvaise ventilation).
Alors que se passe-t-il exactement ? Au niveau de la peau, la lumière active des processus conduisant à l’apparition de chlorophylle (d’où la tâche verte) qui n’est pas vraiment la source du problème. Mais la présence de chlorophylle est une indication que d’autres mécanismes de défense se sont mis en place au sein du tubercule avec production de la solanine.
Ingéré par l’homme, cette toxine peut amener diarrhées et vomissements, mais tout dépend de la quantité. Et d’ailleurs le goût de la pomme de terre est altéré ce qui limite la consommation.
Ce phénomène du verdissement a été étudié scientifiquement : il en ressort par exemple que son intensité est variable. Certaines variétés de pomme de terre sont plus sensibles (notamment à cause de l’épaisseur variable de la peau) mais jouent aussi l’âge, la température, la durée d’exposition et l’intensité de la lumière.
Les contraintes et les outils de l’agriculture
J’ai donc rencontré Mr Béharel qui cultive, depuis plusieurs générations (1860), les terres de nos contrées (12 parcelles de 6 hectares environ) pour le blé, la betterave, la pomme de terre et les pois de conserve. Il raconte avec passion son travail, les précautions qu’il doit prendre et les outils qu’il utilise pour optimiser sa récolte tout en minimisant l’impact environnemental.
Penchons-nous donc sur le sujet de ce post: la culture de la pomme de terre. Mr Béharel m’explique par exemple qu’il cultive plutôt la pomme de terre à plants -des tubercules destinés à la plantation-(variété Challenger), une culture un peu plus complexe (plus technique et avec davantage de surveillance) que la pomme de terre de consommation : un calibre plus petit évidemment (ici 28 mm). Il s’agit d’une culture sur billons de largeur 1m50 (rangées de petites buttes aplaties sur le sommet et cultivées sur le dessus).
NB : Un petit truc pour le néophyte, cette culture est facile à reconnaître de loin : la culture de plants est vite repérable lorsque, entre chaque sillon, on distingue trois rangées. Cette façon de faire permet de maintenir l’humidité durant les mois d’été (juin-juillet) ce qui permet de maximiser la tubérisation (au détriment de la taille).
C’est le cas pour le champ situé tout près de chez moi, exploité par Mr Béharel. Quelques chiffres pour marquer les esprits : 70.000 plans de PdT sont plantés par hectare soit 420.000 pieds pour ce champ de 6 Ha. 😮 (NB : pour les pommes de terre de consommation, c’est plutôt un chiffre autour de 35.000 pieds par ha)
Mr Béharel détaille alors les différentes étapes de la culture de ces pommes de terres qui suit toujours une culture céréalière qui détériore peu la structure du sol.
Tout démarre en décembre de l’année précédente où un labour dressé permet d’ameublir grossièrement le sol en profondeur et favorise également la restructuration du sol par le gel hivernal (l’action du gel émiette le sol).
Au printemps suivant, une machine qui combine la reprise de terre et le billonnage permet d’ameublir en profondeur (une terre fine favorise le développement régulier des tubercules).
Vient ensuite la plantation entre fin mars et fin avril : le moment idéal est un compromis à trouver entre une date suffisamment précoce pour assurer le développement mais assez tardive pour un réchauffement du sol favorisant la levée rapide des plants.
La période autour de juin est une période importante où la pousse est très active, où la tubérisation bat son plein (surtout si cette période combine chaleur et humidité).
En juillet, les plants sont en fleurs : l’exploitant surveille la bonne santé des plans et la croissance des tubercules (prélèvements réguliers). La surveillance consiste par exemple à repérer les attaques de phytopathogènes et enlever les pieds dégénérés à cause d’un virus transporté par les pucerons (voir paragraphe lutte contre les nuisibles et adventices). Nous sommes au mois d’août, les surveillances régulièrement se poursuivent. A partir de la fin du mois, il faut penser à la récolte (voir le paragraphe dédié).
Mr Béharel m’explique que la bande de plants jaunis au premier plan est due à une terre tassée et un excès d’eau.
Lutte contre les nuisibles et adventices
Les nuisibles ont à la fois une action directe et indirecte sur les cultures :
– ils prélèvent la sève et peuvent ingérer des feuilles ce qui menace le bon développement de la plante,
– ils peuvent transmettre des virus.
A ce titre, les pucerons (tels que le puceron du nerprun ou puceron vert du pêcher) posent pas mal de soucis et sont vecteurs des virus Y (un des plus importants, générant des taches sur les tubercules qui deviennent impropres à la vente) et virus de l’enroulement (décoloration et enroulement des feuilles).
Alors que faire ?
La principale parade est de pulvériser les cultures avec … de l’huile végétale chaque semaine : le puceron, pauvre de lui, se pose mais ne peut plus se décoller. « Out » les virus qu’il est susceptible de transmettre.
Citons d’autres nuisibles tels que les nématodes, qui affectent le rendement et/ou la taille des tubercules produits. Dans nos latitudes, ces nuisibles ne semblent pas poser souci.
Pour toute cette charmante faune (tout dépend de quel côté on regarde), la pulvérisation d’insecticides est nécessaire : mais bien dosés. Les excès peuvent générer des résistances.
Dans tous les cas, un contrôle sera réalisé par des essais officiels afin de contrôler le pourcentage de plan dégénérés (symptômes de viroses, ou déformation des feuilles). Une valeur maximale de l’ordre de 4% est tolérée. Pour certaines maladies (ex : galle vermiculeuse), c’est tolérance zéro.
L’organisme de contrôle pourra alors certifier le plan et sa qualité pour les futurs acheteurs.
On ne peut décemment pas passer sous silence le mildiou la principale maladie de la pomme de terre. C’est une maladie fongique où l’organisme Phytophtora infectans, » un pseudochampignon » infecte la pomme de terre et peut détruire des récoltes entières, notamment lorsque les conditions météo sont favorables (fort taux d’humidité, température douce). Les spores développés sur les feuilles peuvent être entraînés par la pluie vers le sol et le vent vers d’autres plants de la parcelle. On reconnaît cette maladie par des taches noires qui apparaissent sur les feuilles mais les bulbes peuvent aussi être infectés. Elle peut toucher les plants dès l’instant de la levée jusqu’à la récolte.
La lutte est avant tout préventive (déjà dans le choix de la variété cultivée) car lorsque l’épidémie est déclarée, elle est difficile à enrayer. La prévention passe par la destruction de tout déchet sur la parcelle, et la récolte d’un maximum de tubercules (dont les possibles « repousses » sont des réservoirs) lorsque les rotations de culture sont courtes. Mais la lutte chimique par fongicide est inéluctable : des traitements réguliers sont requis en faisant varier la substance actives et en suivant des outils d’aide pour le choix des dates de traitement.
Quid des « mauvaises herbes » ?
Il s’agit ici de préserver le rendement (des adventices sont concurrentes) et même la qualité de la pomme de terre (certaines racines ou rhizomes peuvent endommager les tubercules). Le problème est surtout accru entre la levée et le moment où la couverture par les plants de pomme de terre est suffisante pour fermer les rangs.
Le traitement en prélevée (4-5 jours avant la levée) est efficace et élimine environ 90 % des indésirables.
Pour les 10 % restants, c’est surtout le chardon et laiteron qui s’avèrent difficiles à éliminer d’autant plus lorsque les abords des parcelles ne sont pas entretenus (le système d’envol des graines est efficace). La lutte nécessite un traitement spécifique après la levée.
Les traitements doivent être efficaces tout en limitant les transfert des substances actives vers les tubercules eux-mêmes et les eaux souterraines.
Quelques mots sur les engrais ?
Mr Béharel m’explique que, comme beaucoup d’agriculteurs, il utilise le système Farmstar depuis une petite dizaine d’années : un dispositif mis sur le marché en 2002, reposant sur l’utilisation d’un système de satellites qui permet de repérer un champ, d’observer, mesurer et ce, avec une précision bluffante.
Le système permet ainsi de repérer des zones en stress hydrique ou en déficit d’azote, ou encore touchées par des maladies ou des organismes pathogènes ce qui est particulièrement utile pour des cultures à forte valeur ajoutée (pomme de terre mais aussi le blé). Ces informations permettent alors d’ajuster au mieux l’épandage des engrais et produits phytosanitaires à la fois dans le temps et l’espace. Concrètement cela se traduit pour l’agriculteur en la fourniture de cartographies de leurs parcelles où sont indiquées les zones avec des conseils agronomiques ciblés. L’avantage est évident d’un point de vue optimisation de la culture et des coûts mais le système permet aussi d’utiliser les pesticides (tant décriés) et engrais avec parcimonie et à la dose « parfaitement optimisée ».
Le nec plus ultra, c’est lorsque les machines sont équipées du logiciel permettant de distribuer les engrais de façon automatisée selon le repérage satellite et interprétation qui ont été réalisées.
Comment ça marche ? Développé par AIRBUS Defence & Space, ARVALIS – Institut du végétal et Terre Innovia, cet outil repose sur le fait que des capteurs optiques embarqués reçoivent des ondes émises par les cultures – aux stades clés du développement de la plante – ce qui permet de constituer une image dont le traitement et l’analyse via des modèles aboutit à des informations comme le contenu en chlorophylle. Des conseils et préconisations validées par experts agronomes en sont tirés.
La fin de la culture, la récolte et le stockage
La date de la récolte est évidemment conditionnée par la formation complète selon le calibre cible. Pour vérifier, l’agriculteur procède régulièrement à un échantillonnage régulier et compare par rapport à des calibres de poche,comportant différentes mailles carrées.
Lorsque la taille est correcte, il faut stopper le développement assez rapidement. Sur l’espace de quelques jours, il faut procéder au défanage qui consiste à détruire les tiges et les feuilles : les tubercules stoppent alors leur croissance.
Deux options sont possibles, selon la météo :
– le défanage mécanique, avec une machine qui broie les tiges (possible uniquement par temps sec),
– le défanage chimique où l’ajout d’un défannant provoque le dessèchement des tiges (par temps humide).
Le défanage permet aussi de faciliter la récolte par l’arracheuse, cette étape qui va suivre dans les 2 à 3 semaines. Ce délai de quelques semaines en sol permet à la peau de la pomme de terre de gagner en maturité ce qui réduira les risques d’endommagement lors de l’arrachage.
Le choix de la date d’arrachage est fixé par les conditions météo de façon à ce que la terre soit suffisamment souple, ni trop sèche, ni trop humide (sinon la séparation terre/tubercule se fait mal).
En général, la récolte des pommes de terre à plants se situe début septembre. Pour les pommes de terre de consommation, la récolte arrive un peu plus tard (vers le 15-20 septembre).
La conduite de la machine (arracheuse) doit respecter un certain nombre de précautions afin :
– d’assurer une récolte la plus complète possible,
– d’éviter d’endommager les tubercules.
Pour satisfaire ces deux contraintes, d’une part le soc passe entièrement sous la motte de terre et emmène tous les tubercules et d’autre part, il faut respecter une certaine vitesse d’avancée de la machine en bonne coordination avec la vitesse de rotation des chaînes de récolte.
Les chaînes de récolte sont adaptées au calibre de la pomme de terre récoltée. La séparation terre-fanes / tubercules est effectuée en diverses étapes (dont la dernière est manuelle) et repose sur du tamisage et des vitesses d’inertie et d’entraînement différentes entre la terre (plus dense) et la pomme de terre : cette dernière finit par rouler sur le tapis à tétines situé en aval (plus ou moins incliné) tandis que la terre est rejetée vers le champ.
Pour éviter d’endommager les pommes de terre, toutes les zones de chute comportent des protections d’amortissement et les hauteurs de chute sont contrôlées (<1 m). Une petite vidéo pour terminer … filmé par Drone : c’est magnifique de technologie.
Après la récolte, le stockage à température (4°C) et ventilation (pour sécher) contrôlées avant la vente sont nécessaires pour empêcher la dégradation des tubercules.
Cette année, la récolte a été bonne (de l’ordre de 32 t/ha) : la pluie de juin a été favorable à la tubérisation !
Et la recherche dans tout cela ?
Alors bien sûr, les connaissances sur les variétés de pomme de terre, leurs propriétés, leur résistance aux organismes pathogènes et aux maladies, leur qualité ainsi que les techniques de cultures, les enjeux environnementaux font toujours l’objet d’importants travaux de recherche. Pas trop de temps de détailler cela ici, mais j’aimerais citer quelques sujets sur lesquels des instituts tels que l’INRA ou Arvalis, institut du végétal concentrent leurs efforts :
– la génétique (le génome de la pomme de terre a été séquencé entre 2006 et 2011),
– le développement d’outils de détection et contrôle des agents pathogènes,
– la lutte contre parasites et ravageurs (via une meilleure connaissance de leur biologie),
– le développement de système de cultures durables,
– l’impact des conditions climatiques sur le développement des cultures,
– …
J’aurais bien aimé détailler un peu tout cela ainsi que le sujet des critères de qualité pour les différents débouchés (teneur en matière sèche pour la farinosité, la consistance de la chair, la tenue à la cuisson ou la teneur en sucre pour déclencher la réaction de Maillard). J’y reviendrai !
Un grand merci à Mr Béharel pour le temps qu’il m’a accordé et les réponses à mes nombreuses questions !
Lecteurs, merci pour vos partages !
Références :
Les recours aux satellites en agriculture : évolutions récentes et perspectives, Centre d’Etudes et de prospectives, N°67, Fév. 2014
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