Dans de nombreuses parties du monde, la durée d’allaitement des petits d’hommes est longue, et se compte plus souvent en années plutôt qu’en mois. Dans nos cultures occidentales, cela surprend et suscite des réactions assez variées. En effet, lorsque la durée de l’allaitement est longue (au-delà de 9 mois), il n’est pas rare d’entendre quelques réflexions au sujet de l’équilibre psychologique de l’enfant grandissant et de l’adulte qu’il deviendra. Cet allaitement long, et cette relation fusionnelle avec les seins de sa mère ne vont ils pas perturber d’une façon ou d’une autre le développement psychologique voire la sexualité de l’enfant ?
Dans nos cultures, la tendance naturelle est de penser qu’un enfant allaité longtemps sera nécessairement très dépendant de sa mère et qu’il ne sera certainement pas capable d’être sevré autrement que par une action coercitive.
Qu’en est-il des études sur le sujet ? y a-t-il eu des essais, des suivis, afin de comparer le comportement et le développement cognitif, psycho émotionnel d’enfants ayant été allaités avec ceux d’enfants non–allaités ?
Certaines études ont montré depuis longtemps [1]
– que l’allaitement ne vient pas seulement en réponse à une demande de nourriture mais aussi comme moyen de soulager l’enfant en cas d’inconfort (stress, peur…)
– par voie de conséquence, un enfant allaité, grandit dans une atmosphère de tendresse, d’amour, de confort et de protection qui lui permet de développer le sentiment très fort de sécurité face au monde qui l’entoure : il aura donc tendance à expérimenter rapidement de nouveaux gestes, et à gagner en indépendance dans la mesure où il sait que sa mère est là en cas de besoin.
Plusieurs études [2][3] [4] ont montré une corrélation forte entre allaitement et développement cognitif et psychosocial chez l’enfant. Un meilleur développement mental (sur la base de l’évaluation du QI d’enfants d’âges variant entre 6 mois et 15 ans) est corrélé à la durée de l’allaitement. L’impact a été noté à partir de 23 mois. Notons que ces études ont tenu compte des paramètres environnementaux (en particulier l’éducation de la mère) afin d’isoler le facteur « allaitement ».
Selon les auteurs, trois mécanismes expliquent cette influence. Des composants même du lait maternel sont impliqués : de longues chaînes d’acide gras polyinsaturés présents naturellement dans le lait maternel. Ces éléments sont cruciaux pour le développement neurologique et n’entrent pas dans la composition du lait artificiel.
Mais les bénéfices pour le développement émotionnel et psychosocial s’expliquent également par le comportement de maternage qui accompagne l’allaitement et qui induit une interaction mère-enfant plus forte, bénéfique au développement cognitif et psychosocial.
Enfin, l’allaitement est fortement susceptible de limiter les problèmes d’obésité de l’enfant et de l’adolescence (régulation de la satiété dès la petite enfance). Or l’obésité pendant la petite enfance remet fortement en cause le sentiment d’estime de soi et le développement psychosocial de façon générale.
D’autres approches sont également intéressantes puisqu’elles reposent sur l’étude des comportements de cultures tribales, de pratiques différentes. Prescott [5] [7] a réalisé de nombreuses recherches en ethno-pédiatrie, en particulier des croisements de données sur plus d’une vingtaine d’ethnies dont la durée d’allaitement des enfants était de l’ordre de 2 ans à minima. Il apparaît de façon nette qu’une majorité de ces populations ont des taux particulièrement bas voire nul de suicides.
Ce résultat qui trouve écho dans d’autres études [6], s’explique également par un double mécanisme :
– un maternage plus prononcé lors de l’acte d’allaitement
– la présence de certains acides aminés, primordiaux pour le développement de la sérotonine dans le cerveau. (Il a été démontré que la dépression, le suicide, la violence sont associés à un déficit en sérotonine).
Ainsi, le comportement mère-enfant pendant la première année de vie, et un allaitement prolongé (autour de 2 ans) sont, sur la base des résultats de ces études, des moyens efficaces permettant de réduire la mortalité infantile, le suicide et la violence à l’adolescence et à l’âge adulte en assurant un développement émotionnel, social et sexuel optimal [7].
En conclusion, différentes études prouvent le bien fondé d’un allaitement long sur l’équilibre de l’enfant et de l’adulte qu’il deviendra : la relation avec la mère et le contenu même du lait agissent selon différents mécanismes dans la construction du cerveau, notamment dans les processus liés au plaisir et aux relations aux autres.
Je remercie le blog « Les Vendredis Intellos de Mme Déjantée » de m’avoir invitée à réfléchir et à fouiller ce sujet.
Pour en savoir plus :
[1] Newton NR. “The relationship between infant feeding experience and later behavior » Journal of Pediatrics, 1951; 38 (1) : 28-40
[2] Pérez-Escamilla R., “Influence of breasfeeding on psychosocial development” Encyclopedia on Early Childhood development, 2005- http://www.child-encyclopedia.com/documents/MarquisANGxp.pdf
[3] Anderson, JW., et al., “Breastfeeding and cognitive development a meta-analyysis” 1990, American Journal of Clinical Nutrition, 1990; 70 (4) : 525-535
[4] O’Connor DL., et al., “Growth and Development In preterm infants fed long-chain polyunsaturated fatty acids : a prospective, randomized controlled trial”, Pediatrics, 2001 ; 108 : 359-371
[5] Prescott, J.W., “Breastfeeding : Brain Nutrients in Brain Development for Human Love and Peace”, 1997 ; http://www.violence.de/prescott/ttf/article.html
[6] Lanting, D.I., et al., “Neurological differences between 9-year old children fed breast-milk of formula-milk as babies”, Lancet, 1994 ; Nov : 1319-1322
[7] Prescott, J.W., “The Origins of Love”, Byronchild Magazine, 2004 ; Vol 9
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