Comprendre le cancer du sein (Partie V)

Note préliminaire : Les informations présentées ici en version très simplifiée sont issues de mes lectures (références en bas d’article). Elles ne se substituent en rien au diagnostic, conseils et explications d’un professionnel de santé.

Il y a pas mal de temps, j’ai démarré une série d’articles relatifs au cancer de sein. En effet, j’avais besoin de réponses à bon nombre de questions qui me trottaient dans la tête. 4 des 5 articles ont déjà été publiés et voici le dernier qui aurait dû paraître en octobre (à l’occasion de la campagne de sensibilisation « octobre rose »).
L’objectif est donc de comprendre, dans les grandes lignes, les facteurs favorisant l’apparition du cancer du sein, les mécanismes qui sont à l’oeuvre et les éléments protecteurs. C’est sur ce dernier thème que porte cette dernière partie.

Pour rappel, voici ce que vous pourrez retrouvez dans les épisodes précédents.

La première partie, à relire ICI, présente la cellule, son noyau au sein duquel on trouve l’ADN,  les spécificités des cellules mammaires, leur organisation et leur évolution via les cellules souches tout au long de la vie d’une femme.

La deuxième partie, à relire ICI, a permis de comprendre les différents types de cancers du sein avec les principales classifications (selon la zone touchée, le profil génétique de la tumeur, les caractéristiques moléculaires ou l’agressivité).

La 3e partie, à relire ICI, a mis l’accent sur les causes endogènes (donc internes) du cancer du sein. Différentes mutations génétiques (BRCA1 et BRCA2, HER2, protéine Myc, protéine p53) ou les causes hormonales (forte exposition aux œstrogènes ou molécules les imitant,  androgènes, vitamine D) ont été évoquées.

La 4e partie, à relire ICI, s’intéresse aux causes exogènes, telles que l’environnement ou le mode de vie. Il y est question de l’impact de la prise d’hormones, du fait de ne pas avoir d’enfant, de la présence de tissus adipeux en grande quantité, du tabac, de l’alimentation, de la consommation d’alcool, des perturbateurs endocriniens.

Mais qu’en est-il des facteurs protecteurs ?


Partie V : Cancer du sein : facteurs protecteurs connus

Note préliminaire : afin de ne pas tirer des conclusions marquées au fer rouge de ce qui suit, précisons que ce qui est présenté ici sont des tendances qui se dessinent. Elles reposent sur des données scientifiques fiables mais il existe une variabilité selon les caractéristiques physiques, génétiques etc. de chaque femme.

L’âge de la mère à la première grossesse

Pas mal de recherches ont montré que l’âge de la mère à la première grossesse menée à terme est un facteur majeur. Une méta-analyse (observation et analyse critique d’un grand nombre d’études portant sur un même sujet) de 2016 [1] a évalué 15 études incluant plus de 20.000 femmes ayant développé un cancer du sein et 860.000 cas contrôle. Il en est ressorti que le risque de cancer du sein de type luminal* était diminué de 25 % par rapport aux femmes sans enfants.
* il s’agit du type de cancer le plus fréquent – à relire
partie II.

Chaque nouvelle grossesse avant l’âge de 30 ans, a pour conséquence une diminution encore plus marquée de ce risque.

Par quels mécanismes ?
Comme nous l’avions présenté dans la partie Ides cellules souches (cellules indifférenciées donc non spécialisées) sont présentes dans les ébauches mammaires de la petite fille et à la puberté (lors de chaque cycle menstruel) et surtout lors d’une grossesse, elles évoluent en cellules spécialisées. Donc chez les nullipares, le stock de cellules non matures (cellules souches d’une part mais aussi de lobules peu élaborés d’autre part) est plus grand.
Les cellules souches ont une longue durée de vie ce qui les rend plus sensibles à l’accumulation de mutations donc c’est principalement de là, que des cellules malignes à la division incontrôlée et du tissu anormal apparaissent. Ce type de cellules peu matures plus sensibles à leur environnement, peuvent plus facilement développer des lésions précancéreuses (ce sont, ce qu’on appelle des processus pré-néoplasiques).
Il est donc logique que plus la différentiation est marquée (amorcée lors d’une première grossesse puis poursuivie lors des suivantes), plus les risques de développement de cellules malignes diminuent.

L’allaitement maternel
Dans la mesure où l’allaitement maternel exclusif a une forte composante hormonale, il est légitime de penser qu’il puisse influencer le développement du cancer du sein. La variation géographique de la prévalence du cancer du sein est d’ailleurs corrélée aux pratiques de l’allaitement.

Plusieurs travaux se sont focalisés sur le possible rôle protecteur de l’allaitement maternel.

La méta-analyse [3] indique que le fait d’avoir allaité était associé à une diminution du risque de développer un cancer de type luminal mais également triple négatif.

Une méta-analyse parue cette année (2017), a été réalisée par des chercheurs Mexicains (Centre de Recherche sur la santé et la nutrition de l’Institut National de Santé Publique) et publiée dans Journal of Human Lactation [3]. L’ensemble des études passées en revue (en tout 65) ont toutes été publiées entre 2005 et 2015.
Quels sont les résultats ?
Il s’avère qu’ils sont assez hétérogènes quand on les regarde globalement. En analysant plus finement, les auteurs observent que les études ne distinguent pas souvent l’allaitement exclusif de l’allaitement mixte. D’autre part, il est assez difficile d’isoler le seul « facteur allaitement » et notamment de le distinguer de l’effet positif de la grossesse. Néanmoins, en faisant un tri plus affiné sur la qualité* des études et en regardant l’effet dose/réponse il est possible de tirer quelques conclusions.

*les études considérées comme étant de grande qualité sont celles qui réalisent un ajustement statistique (les résultats obtenus sont corrigés de façon à s’affranchir de l’effet parasite des autres facteurs tels que l’âge, la parité, l’âge à la première grossesse et l’histoire familiale : cela permet de diminuer le bruit de fond, de gagner en précision et en puissance).

Ainsi, les femmes qui ont allaité de façon exclusive ont un risque de développer un cancer du sein plus faible (de l’ordre de 28 % de diminution du risque relatif) par rapport aux femmes qui n’ont jamais allaité.
En mélangeant les résultats pour l’allaitement exclusif et l’allaitement mixte, la diminution du risque est de l’ordre de 12% (pré-ménopause) et 14 % (post-ménopause). Il est important de souligner ici, que les effets portent autant sur les cancers en pré et post ménopause : or les cancers les plus agressifs se présentent souvent plutôt en période pré-ménopause et l’allaitement reste protecteur dans ces cas de figure.

Un effet dose-réponse a bien pu être mis en évidence : plus la durée d’allaitement est grande, pus les risques diminuent, bien que la réduction ne soit pas linéaire. Elle est plus accentuée autour des 6 mois d’allaitement (durée habituelle de l’allaitement exclusif) et après 12 mois.

Une étude prospective publiée en 2015 [4], s’est penchée sur la question du lien entre l’allaitement et la survenue d’un cancer du sein selon le type. L’étude confirme que les mamans qui ont allaité ont un risque réduit d’environ 30 % de développer la maladie et le chiffre augmente légèrement lorsque l’allaitement atteint 6 mois en durée. De plus, en cas de survenue de cancer de sein, le pronostic est meilleur et la récidive est moindre lorsque la mère a allaité.
En effet, le type de cancer est différent lorsqu’il y a eu allaitement : il s’agit plus souvent de tumeurs qui réagissent bien aux traitements.

Par quels mécanismes ?
L’un des premiers mécanismes est, comme pour la grossesse, la différentiation des cellules mammaires qui est encore davantage poussée plus loin par l’allaitement. De façon à produire efficacement du lait, les cellules mammaires terminent leur maturation. Ainsi, les lobules sont « optimisés’ (on parle de lobules de type 3) et s’avèrent moins sensibles aux œstrogènes et aux carcinogènes.

Le temps d’allaitement est également une période permettant une moindre exposition aux œstrogènes notamment dans le cas de l’allaitement exclusif où la période d’aménorrhée est plus longue (les effets ont a été développés dans la partie IV).

Un autre mécanisme évoque concerne le fait que la production de lait permet une exfoliation du tissu mammaire ce qui aide à éliminer les cellules ayant un ADN endommagé.

Le lait maternel contient aussi un certain nombre de composants qui peuvent jouer un rôle certain dans les mécanismes de protection. C’est le cas par exemple des oligosaccharides (nous en avions parlé ICI) et des protéines glycosylées (glucide lié à une chaîne peptidique). Or certains d’entre eux peuvent se lier à des protéines carcinogènes et ainsi modifier leur fonction moléculaire, réduisant les risques de cancer.

Un autre élément serait aussi plus spécifiquement lié à l’allaitement maternel exclusif. Ce dernier se caractérise par des besoins énergétiques plus élevés pour la mère. Ceci impose une mobilisation accrue des « réserves de gras » et une plus grande utilisation du glucose. Il en résulte une diminution de la concentration d’insuline dans le sérum de la mère. Or il a été montré que de fortes concentrations d’insuline dans le sérum induisait une forte concentration de l’hormone de croissance IGF, qui joue un rôle dans la prolifération et l’apoptose (mort programmée de cellules).

Activité physique
Les femmes qui pratiquent une activité physique régulière ont une risque réduit de 10 à 20 % par rapport aux femmes non sportives (l’effet protecteur semble par contre s’annuler en cas de traitement hormonal de substitution). Cet effet protecteur est indépendant de l’IMC : pas forcément besoin de cibler des activités intenses car même une pratique modérée telle que la marche reste bénéfique.
Une méta-analyse de 2010 [5] incluant 73 études a permis de mettre en évidence un effet dose/réponse.
Le mécanisme de protection serait lié à un effet sur l’adiposité, la circulation d’hormones, la résistance à l’insuline, des phénomènes inflammatoires.

Le rôle de la vitamine D.
De nombreuses femmes présentent un déficit en vitamine D : soit à cause d’une absorption insuffisance via l’alimentation et/ou une exposition trop faible au soleil* (les UV permettent la synthèse de cette vitamine). Chaque année, à l’arrivée de l’automne, les médecins généralistes en prescrivent de plus en plus systématiquement, notamment en vue de parfaire la minéralisation osseuse. Il est assez connu que la vitamine D intervient dans l’absorption du calcium. Mais son rôle va bien au-delà de cela.

*les femmes de peau noire sont particulièrement sujettes au déficit en vitamine D, dans la mesure où leur peau fait barrière aux UV.

Une étude parue en 2012 [6] a permis de montrer le lien entre un déficit de cette vitamine dans les maladies respiratoires. En ce qui concerne son rôle dans la prévention du cancer du sein, un effet dose-réponse a bien été mis en évidence par certaines études [7]. Les chiffres avancés sont de l’ordre de 50% de diminution du risque lorsque le taux de vitamine D sanguin est élevé.
Son rôle est aussi marqué dans l’évolution de la maladie. L’étude [8] parue en 2014, est une méta-analyse qui montre que pour des teneurs élevées (dans les limites de la normale) en vitamine D pour des femmes, les taux de guérison sont 2 fois plus élevés.

Quels mécanismes ? En fait, des études en laboratoire ont montré que la vitamine D (notamment ses métabolites) avait une action anticancéreuse en jouant un rôle sur les 3 étapes critiques du développement des tumeurs : différenciation, apoptose et angiogenèse.
Il s’avère aussi que la vitamine D agit sur l’aromatase (en l’inhibant), cette enzyme qui favorise la synthèse d’œstrogènes à partir d’autres molécules. Ainsi, la vitamine D pourrait limiter l’exposition aux œstrogènes.

En conclusion : différents facteurs semblent bel et bien, à la lecture des publications scientifiques, protecteurs contre le cancer du sein. Je pense que ces résultats gagnent à être connus et que les conseils qui résultent de certains d’entre eux sont tout à fait possibles à suivre de façon à mettre toutes les chances de notre côté (encourager l’allaitement, la pratique du sport et la chasse au déficit en vitamine D).
N’hésitez pas à en parler avec votre médecin.

Références :

1- Lambertini M. et al., « Reproductive behaviors and risk of developing breast cancer according to tumor subtype: A systematic review and meta-analysis of epidemiological studies. », Cancer Treatment Reviews, 49:65-76, 2016, DOI: 10.1016/j.ctrv.2016.07.006

2- Breast Cancer : Facts and Figures 2017-2018, American Cancer Society, Lien ICI

3- Mishel Unar-Munguía et al., « Breastfeeding mode and Risk of Breast Cancer : A dose-response meta-analysis. », Journal of Human Lactation, Vol. 33(2) 422–434, 2017

4- Kwan M. L., et al., « Breastfeeding, PAM50 Tumor Subtype, and Breast Cancer Prognosis and Survival », Journal of the National Cancer Institute, Vol 107(7), doi:  10.1093/jnci/djv087, 2015

5- Friedenreich CM, « The role of physical activity in breast cancer etiology. », Seminars in Oncology 37(3):297-302, 2010

6- Skaaby T., Husemoen LLN, Pisinger C, Jørgensen T, Thuesen BH et al., « Vitamin D Status and Cause-Specific Mortality: A General Population Study », PLOS One  Volume 7 (12),  e52423, 2012 – Lien

7- « Breast cancer risk according to serum 25-hydroxyvitamin D: meta-analysis of dose-response », American Association for Cancer Research, Volume 68, Issue 9 Supplement, pp. 3078, 2008

8- Mohr S. B., et al. « Meta-analysis of Vitamin D Sufficiency for Improving Survival of Patients with Breast Cancer », Anticancer Research Vol 34: 1163-1166, 2014

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