Les abeilles (dont nous avions déjà parlé dans le dernier billet), ces formidables pollinisateurs sur lesquels reposent le succès de bon nombre de cultures (il y en a d’autres dont on parle moins), essuient des pertes d’individus au sein de nombreuses colonies, en tous points de la planète.
Il s’agit là d’un problème multifactoriel mais ce qui se pose en première ligne parmi les différentes causes du déclin, c’est le Varroa destructor, un acarien, parasite des abeilles mellifères qui transmet tout un tas de virus. Ces acariens ont le gros désavantage de passer une partie de leur cycle de vie, enfouis sous le cuticule de leur hôte. Le problème est grave et risque sérieusement de remettre en question la sécurité alimentaire.
La survie de la colonie de cette espèce sociale où la promiscuité est très élevée n’est possible que si l’abeille met en place des stratégies efficaces pour lutter contre toute forme de menace. Sans cela, dans le cas d’une maladie contagieuse, la propagation est fulgurante et l’issue est fatale. Il s’avère que les abeilles mellifères ont évolué en s’appuyant sur des mécanismes, désormais assez bien rodés, assurant une résistance aux maladies et aux parasites : la première étape est la détection des individus du couvain qui ne sont pas en bonne santé. Une fois repérés, ils ne feront pas de vieux os : les alvéoles concernées sont désoperculées par les abeilles et le couvain malade est éliminé de la colonie. C’est ce qui s’appelle le comportement hygiénique et il permet de stopper l’infestation : le sacrifice de quelques uns au bénéfice de toute la colonie.
Quand on évoque le Varroa et l’abeille, on parle à la fois de l’abeille domestique (Apis mellifera) de nos contrées et de sa cousine l’abeille asiatique (Apis cerana), l’hôte d’origine du parasite. Mais les deux espèces n’ont pas exactement la même faculté à lutter contre le parasite et ses ravages. Les colonies de l’abeille asiatique s’en sortent mieux. Paradoxalement, le couvain de l’abeille mellifère est plus résistant mais c’est finalement là, leur talon d’Achille. En effet, l’infestation n’est pas tout de suite détectée, il en résulte que le comportement hygiénique ne se met pas en place !
Comment l’abeille adulte détecte-t-elle le couvain malade ? Tout est lié à la cuticule, l’enveloppe externe des abeilles constituées de multiples composés lipidiques : l’ensemble permet d’une part de réduire les pertes d’eau et d’autre part de contribuer à former une sorte de signature olfactive que peuvent repérer les autres congénères. Ainsi, un couvain parasité par Varroa destructor n’émet « normalement » pas la bonne signature ! On s’aperçoit en fait que le Varroa parvient à tromper les troupes en imitant parfaitement les composés chimiques de la cuticule saine ! Ainsi, il passe entre les mailles du filet !
L’abeille asiatique, qui s’est frottée au Varroa depuis très longtemps, a développé des stratégies qui lui permettent de mieux détecter le couvain touché malgré tout.
Une nouvelle approche pour aider notre abeille mellifère ?
Une équipe américaine de l’université de Greensboro (Caroline du Nord), a réussi à mettre en évidence un subtil changement dans les composés lipidiques de la cuticule des couvains touchés par le Varroa. Des molécules volatiles particulières sont véritablement la marque de l’infestation et peuvent être synthétisées en laboratoire. La démonstration a été faite, qu’appliquées sur la cuticule de couvains, elles agissent comme des signaux (phéromones) et peuvent déclencher le comportement hygiénique chez certaines abeilles ! Pas toutes… Chez celles qui ont un sens de la détection de telles molécules plus aiguisé !
C’est ainsi que l’outil est né : UBeeO*, une technologie applicable aux ruches et qui consiste à appliquer des phéromones synthétiques sur un certain nombre de bouchons de cire des alvéoles des larves en cours de développement. On simule ainsi une contamination par le parasite Varroa et on observe la réponse de la colonie.
*UBeeO : Jeu de mot pour UBO Unhealthy Brood Odor
Deux heures après l’application sur un petit nombre d’alvéoles, la réponse est quantifiée en comptant le nombre d’alvéoles « ouvertes » par les abeilles. En raison de la variation génétique des colonies, la réponse est plus ou moins forte, selon l’aptitude de nos amies à détecter la phéromone et de mettre en place un comportement d’hygiène.
Il s’agit ainsi de repérer et de sélectionner les colonies d’abeilles les plus aptes à adopter la bonne stratégie pour se débarrasser au plus vite du parasite.
Voici donc une alternative intéressante à l’utilisation des acaricides, nocifs pour les abeilles, et susceptibles de faire apparaître une certaine forme de résistance. Si un grand nombre d’apiculteurs pouvaient utiliser cet outil, ce serait un grand pas en avant !
Références
– Wagoner K. et al « Cuticular pheromones stimulate hygienic behavior in the honey bee (Apis mellifera) », Scientific report, 10:7132 | https://doi.org/10.1038/s41598-020-64144-8, 2020
–Wagoner K., »Helping honey bees help themselves », Science, Vol 380, Issue 6640, https://doi.org/10.1126/science.adg7672, 2023
– Wagoer K., « Hygiene-Eliciting Brood Semiochemicals as a Tool for Assaying Honey Bee (Hymenoptera: Apidae) Colony Resistance to Varroa (Mesostigmata: Varroidae) », Journal of Insect Science, Volume 21, Issue 6, 2021
- Lien UBeeO