Rouler en vélo en minimisant l’effort

Alors que des cyclistes professionnels viennent de s’élancer dans une course folle, je veux bien sûr parler du célébrissime Tour de France, on peut se demander s’ils ont mis toutes leurs chances de leur côté ?  Personne ne pourrait bien évidemment en douter ! Et pourtant ? Alors bien sûr, il n’est pas du tout question du haut niveau et de la technicité de ces coureurs ni de l’entraînement incroyable auquel ils se sont livrés pendant des mois, des années… Non, je veux vous parler de tout ce qui peut faire qu’un participant à l’épreuve peut devenir vainqueur à quelques seconde près… parce que ce n’est pas si simple de mettre un objet en mouvement ou d’accélérer, même un vélo ! Les lois de la physique sont là pour nous le rappeler : ce qui donne le ton, c’est tout ce qui peut impacter l’aérodynamique… Un certain nombre d’études se sont penchées sur la question afin de donner des idées d’innovation au niveau des différents composants du vélo lui même, des accessoires du cycliste, des vêtements, et même de sa position. Alors que nous dit la Science ?

Mine de rien, l’air, ça freine !
Parmi tout ce qui peut entraver l’avancée du cycliste de course, c’est la force de traînée qui remporte le palmarès. Elle explique en effet, la plus grosse part de la résistance (jusqu’à 90 % sur terrain plat à 40 km/h) que doit contrer notre sportif. L’autre résistance, la résistance au roulement, vient des pièces qui frottent entre elles et des pneus qui s’appuient sur le sol et font perdre de l’énergie… Mais ces frictions ne sont finalement pas si importantes et plus faciles à limiter : un bon gonflage, un vélo léger, pas d’embonpoint et le tour est joué ! Intéressons-nous aux forces aérodynamiques viennent de l’interaction de l’objet en mouvement (corps de coureur + son vélo) avec le flux d’air autour de lui. L’intensité de ces forces dépend :
– de la forme de l’objet (l’aire d’attaque),
– de la nature de sa surface,
– de l’angle de d’attaque,
– du flux d’air lui-même (on parle de régime laminaire ou  turbulent selon, entre autres, la vitesse de l’air). La vitesse intervient fortement dans l’affaire (c’est un terme en v2 qui est présent dans les équations) mais aussi la densité de l’air (évidemment s’il y a plus de molécules d’air dans un volume donné, il est normal que la résistance s’accentue).
Qualitativement, tout cela paraît logique et l’effet de l’aérodynamique était déjà pris en compte à la fin des années 1800. Très tôt, on voit apparaître des vélos avec la position allongée ou des roues pleines ! On le sent donc bien qu’il y a à gagner en jouant sur plusieurs éléments mais quantitativement, c’est assez difficile à estimer et ce pour, deux raisons principales :
– la forme et la surface de l’objet sont extrêmement complexes,
– de nombreuses parties sont en mouvement (pédales).

Alors les études reposent sur des modèles et études avec mannequins qui permettent de dégager des tendances sur lesquelles s’appuyer pour des innovations ou des conseils.

Dans cette force de traînée, qu’est-ce qui est le plus impactant ? Et bien, visiblement, la part liée au cycliste lui-même peut atteindre 80%; les 20 % restants, c’est le vélo lui-même : le cadre, les roues, le guidon… ça vaut donc la peine de s’intéresser au corps de notre sportif !

Quelques unes des forces qui s’appliquent sur le cycliste

Autour du corps du cycliste…
En réalité, la traînée possède deux composantes :
– une composante liée à la pression,
– une composante liée au frottement.

La traînée de pression vient du fait que la pression n’est pas la même en amont et en aval du cycliste : il ouvre un « passage » dans la colonne d’air qui se trouve devant lui, et laisse à l’arrière un sacré remue-ménage au niveau de l’écoulement (c’est ce qu’on appelle la turbulence !). Elle est fonction de la « géométrie » du corps en mouvement donc ici, de la corpulence du cycliste et de sa position.

La traînée de frottement, est tout simplement liée à l’impact des molécules d’air sur le système : également fonction de la géométrie, mais aussi de la rugosité de notre sportif ! Ainsi se justifie le choix du matériau pour les maillots et le bien fondé du Lycra ! Selon la vitesse, on a un sillage derrière le cycliste, plus ou moins large… le Lycra modifie le coefficient de traînée et le sillage !

Donc, si on résume, ce qui va jouer :
– la corpulence et la position du cycliste,
– les vêtements,
– le casque,
– l’effet de groupe.

Et dans tout cela, chaque détail compte : les modèles montrent que s’intéresser à une réduction locale de la traînée peut conduire à une diminution de la traînée sur tout le cycliste.

Comprendre l’importance de la vitesse

Quelle équation derrière cette force de traînée ? La vitesse intervient fortement, on l’a dit, mais aussi l’aire de la surface d’attaque, la densité de l’air et un coefficient, noté CD, sans unité, appelé le coefficient de traînée. Ce coefficient rend compte de la perturbation de l’écoulement d’un fluide autour d’un objet en fonction de la forme de cet objet.

Plus la forme de l’objet est profilée, moins l’écoulement est perturbé et le flux d’air vient correctement épouser ses contours : le coefficient de traînée sera d’autant plus faible !

On a donc ForceTraînée = 1/2 CD x ρf V².Sfrontale   

ρf la masse volumique de l’air et Sfrontale l’aire frontale

Mais pour compliquer la chose, ce coefficient CD dépend lui aussi de la vitesse : pour un même objet, CD évolue avec la vitesse mais de façon non linéaire et même, disons-le, de façon « contre intuitive ». En effet, au fur et à mesure que la vitesse d’air augmente, on observe à partie d’un certain seuil, le phénomène de « crise de traînée« , lorsque le basculement entre le régime laminaire vers turbulent se produit : le coefficient de traînée chute alors de façon drastique ! La raison en est que les lignes de courant se mettent à « coller » davantage à l’objet à partir d’une certaine vitesse.

Influence du mouvement et de la position du cycliste
Ceci étant dit, il doit bien avoir des situations où la traînée est plus favorable. Les modélisations et les essais en soufflerie ont effectivement montré que lorsque le cycliste pédalant, se retrouve avec une seule jambe tendue, la force de traînée est supérieure d’environ 20% par rapport à la situation où la bielle est horizontale (quand les deux jambes sont au même niveau).
Ce résultat s’explique par la dissymétrie défavorable car elle modifie la topologie du flux d’air et ce, non seulement au niveau des jambes mais également au niveau du dos.

Position  avec un seule jambe tendue : la traînée augmente de 20 %

Et le reste ? L’angle tronc/route est évidemment important aussi. Un angle plus faible avec les bras courbés, les mains situées le plus au centre possible, une position basse, les épaules resserrées sont favorables à une réduction de traînée. Bref, une forme ramassée ! Dans ces conditions, toutes autres choses égales, la traînée peut être réduite de plus de 25 %.

Influence du vêtement
Les fibres et le procédé de fabrication influencent la nature du tissus dont ses propriétés de surface (la rugosité), les propriétés mécaniques et aérodynamiques.
Voyons comment.
Parmi les techniques, on trouve le « tricot » et le « tissage ». Le tricot qui met plutôt en oeuvre des boucles qui se déforment mieux, s’étirent mieux, constitue le procédé prépondérant pour les maillots !
Parmi les matériaux, le Lycra® dont nous avions parlé dans ce précédent billet a été une belle innovation dans les années 70 et a montré une performance incroyable. Un vêtement en Lycra donne de biens meilleurs résultat que la peau nue et des études ont montré qu’avec une combinaison intégrale (longues manches, mitaines, capuches), la traînée pouvait être réduite de 11 %.

Bon visiblement, cela a été interdit dans les courses officielles !

En réalité, ce qui explique ces résultats, c’est le fait que le Lycra apporte de la rugosité, mais une rugosité « contrôlée » à « petite échelle », juste ce qu’il faut… En fait, en changeant la rugosité du cycliste, le phénomène de crise de traînée est modifié : il se produit pour des vitesses plus basses, et la traînée diminue !

Autre apport du Lycra : son caractère « extensible »  (il s’étire lorsqu’il est porté) apporte une réduction de la traînée encore plus forte. Ce résultat semble être lié à une modification du maillage induisant un écartement des « côtes » du tricot, ce qui favorise l’écoulement des molécules d’air notamment lorsque la direction du flux d’air n’est pas parallèle à la direction du déplacement. C’est le cas de figure pour certaines parties du corps !

Ainsi, des essais ont été réalisés avec des vêtements utilisant plusieurs tissus juxtaposés. Des matériaux lisses pour les parties du corps qui sont dans la direction du flux d’air (pour éviter les frottements) et des tissus avec une plus forte rugosité pour des zones soumises à un flux d’air transversal, permettant de mieux favoriser la crise de traînée.

Influence du casque
Sa forme est importante et répond à différentes fonctions et un compromis doit être trouvé entre celles-ci : protection, ventilation et aérodynamisme. Par rapport à la force de traînée, les études montrent que la position de la tête est aussi primordiale. L’idéal est une angle de 45° (tête ni trop haute,  ni trop basse), agissant en synergie avec le casque pour que ce dernier puisse s’aligner avec le flux d’air !

Des études plus précises sur la forme du casque montrent que pour réduire la traînée :
– la largeur doit être réduite au maximum,
– l’arrière doit être effilé,
– le contour externe doit être lisse.
En gros, le casque doit être en forme de goutte d’eau !

Que tirer de tout cela ?

Ce type d’étude donne de bonnes tendances sur la façon d’être le plus efficace : à forte vitesse et terrain plat, la traînée peut représenter 90% de la résistance totale donc le moindre gain est appréciable. Mais la généralisation de ces résultats à tout type de cycliste est assez difficile ! Les raisons sont diverses :
– la configuration optimale pour limiter la traînée peut varier selon les caractéristiques anthropométriques du cycliste et ses capacités physiques (comme la capacité à maintenir longtemps une position favorable),
– dans une course réelle, c’est bien plus compliqué car le coureur se déplace de façon non uniforme, sa position est changeante, les conditions météo influent et il se trouve dans le sillage de ses compagnons !

Bon, en tous cas, moi, j’ai appris plein de choses (comme d’habitude) en préparant ce billet.

Référence
Fabio Malizia, Bert Blocken, « Cyclist aerodynamics through time : Better, faster, stronger. », Journal of Wind Engineering and Industrial Aerodynamics, 214, 2021

 

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