Ah la musique !
Tout le monde, quels que soient sa culture, son milieu, son éducation, sa sensibilité, son caractère perçoit la musique, l’interprète et y réagit de façon particulière : émotion garantie (qu’elle soit positive ou non). Pourquoi ? Comment ? Les neurosciences s’intéressent depuis un petit moment à la façon dont
le cerveau traite la musique et il s’avère que notre plus bel organe possède une organisation anatomique et physiologique particulière pour traiter la musique. Nous, humains, possédons cette formidable faculté de percevoir et discriminer les mélodies pour mieux les appréhender.
Que sait-on de la façon dont notre cerveau procède pour comprendre la musique c’est-à-dire saisir les intervalles entre les notes, le motif général avec les montées et les descentes, le tempo, le rythme, les différentes voix et instruments ?
Musique et langage
Il y a beaucoup de parallèles possibles entre notre perception et compréhension d’un langage et celles de la musique. Les images cérébrales montrent que les phénomènes liés au traitement du langage et de la musique se situent dans des zones miroir dans des hémisphères opposés. Or, la façon dont le cerveau traite un discours, on connaît assez bien. On pourrait donc être tenté d’en tirer des conclusions pour mieux comprendre comment le cerveau réagit face à la musique. Mais en y regardant de plus près, il s’avère que malgré de nombreux points communs, le traitement est différent : les analogies ne sont que superficielles. En effet, sur la base d’exemples de patients qui souffrent d’aphasie suite à un AVC par exemple, la capacité à chanter n’est pas forcément atteinte.
Comment étudier ?
L’approche pour comprendre le phénomène de traitement de la musique consiste à s’intéresser à des patients en amusie ou en déficit de perception et coupler cela avec des images en IRM. Même si on s’en doutait et qu’on l’a bien compris : la musique, ce n’est pas juste des sons mais toute une série de composantes. Une analyse fine permet de voir que certains malades ne perdent que certains aspects de leur reconnaissance musicale : soit la mélodie soit le rythme ou encore le timbre. Ainsi le cerveau gère cette complexité grâce à une organisation très hiérarchisée : des zones primaires, secondaires et tertiaires qui traitent l’information du plus basique au plus complexe.
Les étapes du traitement de l’information
Rappelons qu’un son correspond au fait que l’air vibre : les molécules qui le composent se rapprochent et s’éloignent de façon périodique sous l’effet d’une stimulation telle que la vibration d’une corde, d’un matériau qui vibre (parce qu’on l’a frappé ou qu’on y a insufflé de l’air ou qu’on a stimulé par nos lèvres).
La fréquence qui caractérise la hauteur d’une note correspond au nombre de fois que ce phénomène de compression/décompression se reproduit en une seconde.
Ce qui est encodé en premier lors d’une écoute d’une pièce musicale :
– la fréquence fondamentale*,
– les harmoniques*,
– la durée des notes de la mélodie,
– l’intensité des sons.
* La fréquence fondamentale correspond à la « note principale » et les harmoniques sont des multiples de cette fréquence qui viennent enrichir le son de base.
Une fois les bases étant posées, les étapes suivantes correspondent à une analyse plus fine :
– repérer les caractéristiques d’un instrument particulier,
– discriminer deux instruments qui jouent en même temps,
– confronter cette perception aux connaissances déjà acquises (aller fouiller sa mémoire)
– gérer les informations d’autres domaines cognitifs.
La dernière étape consiste, en lien avec l’émotion qui siège dans une autre partie du cerveau, en la mise au point d’une réponse comportementale en réaction avec la mélodie qui a été décortiquée.
Où cela se situe-t-il ?
Petit rappel utile : le cerveau est un ensemble de bosses, de vallées de plis et replis. Dans les grandes lignes, on parlera de gyrus pour tout ce qui « bosse » et de « sillon » pour tout ce qui est creux.
Ainsi, le cortex auditif primaire se situe au niveau du sillon latéral, dans la partie la plus profonde au sein du gyrus de Heschl (HG). La partie latérale de ce gyrus contient un centre de perception particulier : celle de la hauteur des sons (le pitch) et donc de la mélodie dans ses grandes lignes.
Autour de HG, se trouve un réseau de zones appartenant à différents lobes (temporal / frontal / pariétal). Celles-ci permettent de décortiquer les différentes propriétés des sons complexes.
Ainsi, derrière ce gyrus HG, on a le « planum temporale » (noté PT), une zone impliquée dans l’analyse de la complexité du son (localisation spatiale, timbre, décomposition d’un son, analyse des motifs qui reviennent).
Dans une zone antérieure à HG, le gyrus temporal supérieur (noté STG) joue aussi un rôle. Cette partie est aussi impliquée dans l’analyse de la mélodie et la reconnaissance.
Des zones périphériques aux 3 précédentes (dans le lobe pariétal et temporal) sont alors sollicitées afin de relier les infos traitées auditivement (processus décrit précédemment) et celles issues d’autres zones sensitives (vision, mémoire de travail et zone des émotions). C’est une sacrée gestion !
Hémisphère droit ou gauche ?
Les deux mon cher docteur ! Il semble que les deux hémisphères soient impliqués dans la reconnaissance de la hauteur des sons, même si c’est l’hémisphère droit qui joue le rôle de première ligne. En fait, les personnes qui ont des lésions au sein de l’hémisphère droit sont incapables de reconnaître une mélodie. Alors quelle est donc la répartition entre les deux ?
Les scientifiques expliquent cela en faisant un parallèle avec la lecture. Méthode globale ou syllabique. Les deux bien sûr nous permettent de comprendre une phrase, puis un texte.
L’hémisphère droit cherche à atteindre la reconnaissance absolue des notes et des intervalles (comme les syllabes qui composent un mot). mais l’hémisphère gauche permet une approche plus globale : le fait de cerner le contexte, les attentes, les harmonies, permet de mieux comprendre la mélodie en entier. Une forte coopération entre les deux hémisphères est donc bien là pour avoir les deux approches et être plus efficace.
Conclusion
En un mot, tout cela est de la belle ingénierie. Le cerveau musical est une structure élaborée intégrant différents modules qui se superposent. Ces modules sont des réseaux entre plusieurs parties anatomiques qui possèdent des liens fonctionnels entre elles.
Notons que ces zones-là ne sont pas spécifiques, elles traitent de la musique mais elles sont impliquées également dans d’autres fonctions.
Note : Cet article fait partie des sujets abordés, de façon romancée, dans mon livre « Le Monde et Nous »
Références :
Warren J., « How does the brain process music? », 2008 Feb;8(1):32-6. doi: 10.7861/clinmedicine.8-1-32. Lien
Sources illustrations : Valentin Baugé / Photo John A Beal / Dessin Pancrat