Quand la musique est bonne…

Alors que l’éminent neurologue et non moins mélomane Oliver Sacks vient juste de nous quitter, j’ai pris grand plaisir à redécouvrir un de ses ouvrages passionnant « Musicophilia, la musique, le cerveau et nous ». L’auteur nous livre avec grande justesse l’état des connaissances scientifiques sur les rapports entre notre cerveau et la musique. Comme pour beaucoup de ses livres, on plonge par le biais d’exemples précis, dans les méandres du cerveau.

La musique, qu’on évolue dans un milieu mélomane ou non, nous accompagne toute notre vie. Un enfant, s’y frotte très tôt ne serait-ce que par le biais de chansons à l’école ! Et c’est tellement important. Voyons dans quelles mesures.

Vous souvenez vous de vos premières années à l’école, notamment en maternelle ? Moi, je revois assez bien, par bribes je dois dire, mes premiers pas en classe. Ce qui me revient, ce sont les nombreux moments passés, où nous étions tous rassemblés, assis en tailleur sur un grand tapis et entonnions des chansons ou des comptines et ce, de façon assidue (tous les jours, je crois bien). J’ai un morceau particulier qui me remonte assez précisément (je ne vous dirais pas le titre, c’est super super ancien) mais les souvenirs que j’en garde font remonter de délicieuses sensations lorsque je réécoute la mélodie.

L’effet de la pratique musicale chez le tout-petit est majeur et l’impact va bien au-delà du moment convivial passé ensemble dans un but commun : produire des sons qui structurés et combinés, créent une harmonie… bien au-delà de l’apprentissage de la musique elle-même, de la cohésion sociale, de respect de l’autre.

singing

Il y a actuellement pléthore de résultats d’études où un lien est clairement établi entre la pratique de la musique et le développement du cerveau : l’organisation de la substance blanche est nettement différente chez des musiciens. Ce n’est pas vraiment surprenant dans la mesure où il est bien établi que l’environnement (comprendre par là, les stimulations) dans lequel un cerveau se développe, modèle son organisation et son fonctionnement sur le long terme.
Oui mais jusqu’à quel point ? La pratique de la musique (ne serait-ce que la chanson) va-t-elle au-delà d’une organisation cérébrale bénéfique dans le domaine des compétences musicales ?
Certaines études ont en particulier mis en évidence un lien entre le savoir-faire dans le domaine de la musique et des aptitudes dans le domaine linguistique incluant l’apprentissage de la lecture.

Mais connaît-on les mécanismes mis en jeu ?
Une étude publiée par A. Tierney et N. Kraus de l’université de Northwestern [1] fait le tour de la question.

Il y est indiqué que de nombreuses capacités verbales (lecture, compréhension orale et expression) reposent sur une reconnaissance phonologique, une connaissance précise des composants d’un message oral et de la façon dont ils se combinent.

Il s’agit de compétences qui sont justement travaillées par la pratique de la musique. Il est effectivement prouvé que les musiciens ont des activités neuronales plus rapide lors d’une écoute et une meilleure synchronisation des neurones impliqués dans la reconnaissance des sons issus à la fois d’une mélodie et d’un discours.

cerveau

D’autre part, l’entrainement musical augmente la capacité d’écoute et de compréhension en dépit des bruits de fond perturbateurs !

La perception de la structure rythmique d’une mélodie (durée des notes, prédominance de certaines  sur d’autres…) dans le cadre d’un chant ou de la pratique d’un instrument joue aussi un rôle prépondérant. Pouvoir battre la mesure ou taper du pied (en rythme en début de chaque mesure) donne avantage aux lecteurs, qui s’avèrent être de bons lecteurs. Ceux-ci ont une sensibilité accrue aux rythmes des phrases, à la distinction entre sons proches. Pourquoi ? Parce que c’est le même mécanisme neuronal qui se met en place pour les deux activités (percevoir le rythme d’une mélodie et celui d’un langage). Ainsi renforcer ce mécanisme par la pratique du chant chez les tout-petits est un bon entraînement pour aider dans le domaine des compétences verbales.

Enfin, la mémoire de travail -celle impliquée dans la perception des sons- est également très sollicitée lors d’un exercice de chant ou tout autre instrument de musique. Or cette mémoire de travail est justement celle qui facilite l’acquisition du langage et l’apprentissage de la lecture.

Bref, si votre enfant, passe de longs moments à chanter à l’école maternelle (ensuite aussi bien sûr), réjouissez-vous ! Non seulement il doit y prendre plaisir, mais en plus, il défriche le terrain pour les autres compétences fondamentales (expression orale et lecture). Des compétences dont il pourra bénéficier jusqu’à l’âge adulte.

Les résultats des différentes études indiquent que la musique peut être un bon moyen pour booster les capacités d’un enfant, notamment lorsqu’il est en difficulté. Une meilleure motivation peut-être pour ceux qui se sentent découragés.

Et l’inverse ?
Est-ce que les spécificités d’une langue particulière permettent de développer des capacités musicales hors du commun ?

musicophilia

Une version est disponible en français : Musicophilia La musique, le cerveau et nous.

Il semble bien que oui. C’est ce que nous explique O. Sacks dans le chapitre « Papa se mouche en sol : l’oreille absolue » de son livre « Musicophilia ». Il nous explique qu’il existe une corrélation forte entre la langue de type mandarin ou vietnamien et l’oreille absolue sous réserve que l’éducation musicale ait commencé entre 4 ou 5 ans.
Dans cette catégorie de populations, le pourcentage de musiciens possédant l’oreille absolue (la reconnaissance d’une note et non uniquement des intervalles) était très élevée (de l’ordre de 60 %). Ils reconnaissent les notes de façon très précise, et les perçoivent de façon particulière : avec des couleurs, d’après leur propre description.

Avec une autre langue maternelle, telle que l’anglais avec moins de subtilités dans les hauteurs de sons (et encore, que dire du français ?) l’acquisition de l’oreille absolue est bien plus difficile.

Passionnant comme sujet, n’est-il pas ?

Vous pouvez désormais écouter cet article sur Podcast Science (ICI)

Références
1- Adam Tierney, Nina Kraus, « Music Training for the Development of Reading Skills », Progress in Brain Research, Volume 207, 2013

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