Quand les arbres expliquent le réchauffement !

Il semblerait que l’étude des effets du réchauffement redessine notre compréhension des sols et de la photosynthèse ! Ce sont les arbres qui nous donnent de précieux indices et nous amènent à repenser nos connaissances.
Dans le dernier numéro de Science (27 November 2020 Vol. 370 Issue 6520), deux études ont retenu mon attention en abordant des sujets que je croyais assez bien compris mais il est vrai que la science remet sans cesse en question l’ensemble des connaissances pour les confronter aux nouvelles données, pour les affiner voire pour éliminer les erreurs dans les approches.


Le premier concerne la chute des feuilles des arbres feuillus à l’automne et le second pointe le rôle clé de la sécheresse des sols sur les vagues de chaleur en été.

On pensait à peu près tout connaître de la photosynthèse, (même si son mécanisme détaillé s’avère un peu complexe) et du rôle clé de la présence des feuilles. Mais les recherches menées pour comprendre les effets du réchauffement sur les arbres sont en train de rebattre les cartes !
Les feuilles sont des organes clé pour l’arbre : c’est par là que s’opère une étape primordiale de la photosynthèse. Leur présence s’étend sur la période de temps pendant laquelle l’arbre stocke du carbone (en absorbant le CO2 présent dans l’air) pour constituer des réserves dans ses feuilles, le bois et les racines.
Depuis ces dernières décennies, l’hiver est généralement plus doux et la météo du printemps fait que les feuilles émergent plus précocement ! C’est un des effets du réchauffement observé dans un certain nombre de zones de la planète. La période de temps où l’arbre peut fabriquer de la matière première est donc étendue. On peut donc s’attendre à ce que, sous l’effet du réchauffement, la croissance des arbres à feuilles soit boostée (sous réserve qu’il n’y ait pas de stress particulier pendant cette période). Une équipe de chercheurs suisse et allemands s’est penchée sur ce sujet, en cherchant à comprendre ce qu’il en était et si la chute des feuilles d’arbres des zones tempérées était elle aussi impactée par le réchauffement.

La perte des feuilles pour un arbre a toujours été attribuée à un phénomène adaptatif lui permettant de se protéger de facteurs stressants comme le gel ou une moindre disponibilité de l’humidité dans les sols gelés.
Si on poursuit le raisonnement, le corollaire en est que tout le temps où l’arbre ne sera pas soumis à un tel stress, les feuilles pourront rester en place et continuer à jouer leur rôle dans la photosynthèse pour stocker du carbone !
Or les travaux de Zani et al. montrent qu’il n’en est rien. Sur la base d’observations*, d’expériences et de modélisations, ils en arrivent à la conclusion suivante : un printemps précoce où les feuilles apparaissent plus tôt conduit inexorablement à la chute des feuilles beaucoup plus précocement aussi.
Ainsi, qu’il y ait stress ou pas, les feuilles des arbres tombent à partir d’un certain seuil dépassé correspondant à la limite de carbone qu’un arbre peut stocker.

*Savez vous qu’observer ces changements au niveau de la Nature (végétaux, et comportement animal) dus aux saisons porte un nom ? C’est la phénologie.

Ainsi, si l’arbre a pu bien utiliser le carbone dont il avait besoin et stocké son quota pour assurer les réserves, il est alors « à saturation » et les feuilles deviennent une contrainte et donc elles vieillissent et tombent. 

Les auteurs de l’étude expliquent que la saturation en carbone est due à un concentration maximale de sucres dans les organes qui en font des réserves et que cela modifie le métabolisme du végétal pour déclencher la chute des feuilles et stopper ainsi la photosynthèse.
Cette découverte devrait permettre de modifier plusieurs modèles qui, jusqu’ici, reposaient sur l’hypothèse que la période annuelle de croissance de l’arbre avait un effet direct sur l’absorption de CO2. C’est en fait l’inverse qui semble se produire ! Et cela pourrait permettre de mieux expliquer d’autres résultats de phénologie, qui n’avaient pas encore pu trouver de cause logique. Par exemple, en cas de sécheresses répétées, il avait été noté que la chute des feuilles était retardée. Au regard de ces travaux, on comprend qu’en cas de stress hydrique, le transport des sucres est ralenti, la saturation en carbone n’est pas atteinte : les feuilles restent un avantage !


La seconde publication de ce dernier numéro de Science qui m’a intéressée, concerne aussi la compréhension des effets du réchauffement climatique par l’étude des arbres.
Une équipe de chercheurs chinois s’est ainsi focalisée sur l’analyse du lien possible entre le déficit en humidité du sol et la survenue de vagues de chaleur estivales dans les zones tempérées de l’hémisphère nord.
Alors bien sûr, l’hypothèse vers laquelle on se tourne spontanément est la suivante : l’augmentation de GES engendre un réchauffement qui favorise d’une part une baisse de l’humidité des sols et d’autre part l’apparition de vagues de chaleurs. N’y aurait-il pas un lien plus direct entre ces deux derniers phénomènes ?
L’équipe a donc creusé l’affaire en étudiant les archives de cernes de souches d’arbres présents en Mongolie ces 260 dernières années afin de récolter des informations sur la fréquence des vagues de chaleur et la variabilité de l’humidité des sols en Asie.

Quels résultats ont-ils obtenus ?
Il semble bien que, dans le cadre d’un climat plus chaud et sec, il y ait un lien direct et fort entre le sol et l’atmosphère. A la fois les observations et les modélisations vont dans ce sens.
Les auteurs sont ainsi remontés assez loin dans le temps. Il en ressort que :
– avant 1950, les deux variables (humidité des sols et fréquence des vagues de chaleur)  présentaient une relativement faible variabilité et étaient indépendantes
– à partir de 1950, il y a à la fois une accélération de la fréquence des vagues de chaleur et un déclin de de l’humidité des sols bien au-delà de la variabilité naturelle.
Les auteurs insistent sur ces deux points :
– Le point de basculement des deux paramètres se fait au même moment,
– A partir de cette date, les deux paramètres montrent un fort couplage (pas du tout observé avant).

Pour eux, dans certaines parties de la planète, des modifications de régime opèrent avec une interaction particulièrement forte entre l’humidité du sol et les basses couches d’air. Comment l’expliquer ?

Ce qu’on peut dire, c’est qu’à partir d’un certain déficit en humidité du sol, l’air chaud proche du sol devient beaucoup plus sensible à cet autre paramètre : un sol très sec va en effet évacuer de la chaleur vers l’air et le phénomène de refroidissement évaporatif est supprimé ! Bref, le réchauffement de l’air est intensifié, cela alimente la vague de chaleur ce qui accélère encore la sécheresse du sol : une boucle de rétroaction positive dont on peut facilement deviner les conséquences. 

Qu’en conclure ? Qu’on a ici affaire à un point de basculement dans certaines zones de la Terre, un effet d’accélération brutal qui a un impact considérable sur les écosystèmes et l’Homme dans la mesure où les périodes d’adaptation sont considérablement raccourcies !

Références : 
1-  Zani et al.,  « Increased growing-season productivity drives earlier autumn leaf senescence in temperate trees », Science Vol. 370, Issue 6520, pp. 1066–1071 (27 Nov 2020)

2- Qi-Bin ZhangOuya Fang, « Tree rings circle an abrupt shift in climate », Science Vol. 370, Issue 6520, pp. 1037-1038 (27 Nov 2020)

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