Alors, il y a quelques semaines, j’ai passé quelques heures difficiles, à l’hôpital au chevet de ma fille. Point de gravité, mais de longs moments d’attente et d’inquiétude… Quoi de mieux, pour s’occuper l’esprit, qu’un bon bouquin, qui nous emmène dans les méandres des sciences, et de ses petites histoires ? J’ai choisi un livre qui parle des maths, mais pas n’importe lequel : une approche sans formules alambiquées, compliquées avec un formalisme opaque pour qui n’est pas de la partie ; c’est un ouvrage assez original, qui vous emmène faire un beau voyage car il s’agit d’un roman, le Grand Roman des Maths, écrit par Mickaël Launay, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure, docteur en mathématiques et vulgarisateur connu par sa chaîne YouTube Micmaths. Publié en 2016, il a été réédité en Janvier 2018 chez « J’ai lu ».
Il s’agit d’une très agréable balade dans l’Histoire à travers le Monde au gré des découvertes, des besoins de concepts mathématiques et on démarre au le Paléolithique (car oui, des maths se cachent dans la taille du silex) avant de voyager dans l’Antiquité en Mésopotamie, en Grèce Antique, en Egypte, aux Indes… au Moyen-Age (Fibonnacci) sans oublier les Temps modernes jusqu’aux dédales des mathématiques les plus contemporaines.
Pourquoi est-ce passionnant ? Tout simplement parce que l’auteur donne du sens aux mathématiques en révélant les questions pratiques qui ont suscité la naissance d’un concept, les défis techniques auxquels les populations ont été confrontées et pour lesquels les mathématiques ont pu apporter des réponses fiables… C’est ainsi qu’on comprend pourquoi le développement des premières villes ont permis l’invention des nombres, et quels ont été les procédés mis en oeuvre pour les écrire.
C’est aussi une belle balade dans le quotidien de l’auteur, c’est clair qu’on ne verra plus la Géode de la Villette ni la visite du Musée du Conservation National des Arts et Métiers du même œil ! Et notre prochaine promenade au Musée du Louvre nous invitera à chercher les frises géométriques des premières céramiques pour vérifier qu’on a bien compris les symétries et les transformations qui donnent les invariants.
Bien sûr, l’auteur nous entraîne à découvrir les différentes branches des mathématiques, comment elles sont nées et surtout les liens qui les unissent (arithmétique, géométrie, algèbre, analyse, statistiques…). La géométrie de Thalès, Pythagore, Ératosthène, et Archimède répond tout d’abord à des questions concrètes, comme par exemple celle de partages et de superficies de champs. La géométrie est assez géniale car elle permet de résoudre plus facilement des problèmes et de prouver des propriétés arithmétiques par des considérations sur des formes… Sur d’autres aspects, c’est la géométrie qui va nécessiter les apports de l’Algèbre (Descartes permet par exemple les coordonnées « cartésiennes » ce qui permet d’avancer sur des problèmes géométriques).
Mais s’il était possible de relier toutes ces disciplines en une super théorie unificatrice ? C’est le mathématicien allemand Hilbert qui se lance dans cette quête.
Enfin, notre connaissance de plus en plus pointue du Monde par le biais de la Physique est souvent un catalyseur de recherches mathématiques pour la mise au point d’outils : l’étude de la trajectoires de comètes, la découverte de Neptune stimulée par la puissance des équations et des travaux du mathématicien français Urbain Le Verrier, les recherches en océanographie pour comprendre les courants marins, ou calculs en aéronautique… Il est même question des interactions avec l’Art car le mathématicien s’intéresse au « beau » (par exemple l’ensemble de Mandelbrot, dont nous avions parlé ICI).
Le saviez-vous ?
Je ne vais pas citer ici l’ensemble des informations étonnantes voire incroyables qui m’ont laissée perplexe, parce que je laisse le soin au futur lecteur de faire sa propre découverte mais je voulais néanmoins en souligner quelques unes.
Les chiffres de 0 à 9 ne sont pas « les chiffres arabes » comme on a coutume de l’entendre. Ce sont en fait les savants Indiens qui mettent au point cette façon d’écrire les chiffres, notamment Bhāskara qui les utilise pour décrire ses travaux scientifiques.
En Grèce Antique, la mesure des distances était l’affaire des bématistes : des hommes qui marchaient sur plusieurs milliers de kilomètres en comptant leur pas !
L’inventeur des joints de Cardan, est aussi celui qui a le premier utilisé la notion de nombres imaginaires pour résoudre l’énigme des racines de nombres négatifs. C’est l’italien milanais Gerolamo Cardano qui, au XVIe siècle, en cherchant à résoudre des équations du 3e degré, a imaginé cette approche des nombres complexes. Géniale astuce, quand on sait toutes les résolutions d’applications physiques qui en découlent. Pour l’histoire des joints, Cardano invente un système permettant de stabiliser les boussoles embarquées sur des navires.
Calculer un écart-type sur un millier données, c’est appliquer Pythagore pour un espace de dimension 1000 ! Aviez-vous jamais considéré la chose de cette façon ?
Des mathématiciens et des mathématiciennes
Les grands mathématiciens de l’Histoire (connus et moins connus du grand public) ainsi que leurs apports à la connaissance sont passés en revue avec moulte détails et anecdotes. Et les femmes, les grandes oubliées des Sciences en général, sont à découvrir également aux détours de ces pages. Pour en citer quelques unes : Hypatie (qui s’est intéressée à l’astronomie, la géométrie et l’arithmétique), Emmy Noether (très connue pour ses travaux en algèbre et physique théorique), Maria Gaetana Agnesi (aux contributions majeures dans le calcul infinitésimal), Ada Lovelace (pionnière dans les sciences de l’informatique), Nicole Reine Lepaute (très investie dans des calculs en astronomie).
Ma phrase préférée
En évoquant Galilée et ses erreurs de raisonnement, l’auteur rappelle :
« Les conclusions de la méthode scientifique ne dépendent pas de l’opinion préalable du savant qui la pratique. Les faits sont têtus ».
Bref, voilà, un ouvrage agréable pour passer de bons moments sur la route des mathématiques.