J’avais laissé ce billet en veille. Je le ressors des cartons 😉
Une visite au cœur des labos, organisée par l’Institut Pasteur de Lille en septembre 2018, nous emmène une nouvelle fois sur les pistes suivies par les scientifiques pour comprendre, anticiper et tenter de soigner les maladies neurodégénératives (celles qui font mourir les neurones).
Cette fois-ci (le détail de la 1e visite est à relire ICI), c’est le Pr Jean-Charles Lambert (Inserm U744 Santé publique et épidémiologie moléculaire des maladies liées au vieillissement) qui nous accueille et nous parle avec passion de ses travaux de recherche sur la maladie d’Alzheimer. En particulier, il cherche, avec son équipe, des déterminants moléculaires des maladies neurodégénératives.
Le Dr Lambert rappelle au groupe de visiteurs quelques grandes lignes sur les maladies neurodégénératives. Lorsqu’elles sont bien installées, elles se traduisent par différents troubles : comportementaux, cognitifs, ou des troubles de l’attention. Ces manifestations sont associées à un processus biologique bien observé : la compaction du tissu cérébral, en d’autres termes le cerveau perd de la masse, une perte liée à la mort de neurones et la perte de synapses.
D’un point de vue anatomo-pathologique à l’échelle microscopique, la maladie d’Alzheimer, ce sont deux types de lésions. Un dépôt de plaques amyloïdes entre les neurones et une dégénérescence neurofibrillaire au sein même des neurones (due à des protéines Tau qui s’accumulent et s’enchevêtrent). Dans ces conditions, on comprend bien que la bonne circulation de l’information au sein et entre neurones soit difficile, ce qui explique les troubles.
Outils de diagnostic de la maladie d’Alzheimer
Jusqu’aux années 90, les examens en neuropsychologie étaient les seuls outils de diagnostic : on demandait par exemple au patient de dessiner une horloge et de positionner les aiguilles correspondant à un horaire précis. Le bon positionnement des chiffres et des aiguilles était évalué pour placer le diagnostic d’une maladie de démence.
Depuis l’avènement de l’IRM, la modification biologique liée au rétrécissement de certaines zones du cerveau a pu véritablement être observée. C’est en particulier l’observation et la mesure de la taille de l’hippocampe car il s’agit de la première zone touchée par la maladie.
Cette approche peut être complétée par la recherche de marqueurs moléculaires, notamment la protéine Tau, la protéine phospho-Tau, le peptide β-amyloïde. Une ponction lombaire permet de récupérer une petite quantité de liquide céphalo-rachidien dont l’un des rôles est d’éliminer les déchets du système nerveux. La comparaison du niveau de ces marqueurs moléculaires par rapport à des témoins (valeurs seuils) permet de confirmer le diagnostic.
Le Dr Lambert explique que depuis 7 ou 8 ans, des marqueurs encore plus spécifiques ont été recherchés. Des molécules ont été développées, et sont capables d’aller se lier aux lésions caractéristiques qui restent assez longtemps dans l’ombre avant que les véritables symptômes handicapant la vie du patient se déclarent.
Mais nous sommes ici en plein cœur de la recherche fondamentale : la part du facteur génétique* étant importante dans la maladie (entre 60 et 80 %), il est capital de connaître quels déterminants génétiques vont jouer sur les processus conduisant à l’apparition de la maladie.
*Les facteurs autres que génétiques, éventuellement modifiables qui peuvent favoriser la maladie d’Alzheimer, nous en avions parlé ICI, sont le tabagisme, les micro-traumatismes crâniens, le diabète de type II et les maladies cardio-vasculaires.
Le laboratoire est très actif, performant et reconnu comme tel sur la scène scientifique internationale : sur les 25 déterminants connus à ce jour, 23 ont été mis à jour à l’Institut Pasteur de Lille. Un réseau international sur l’étude génétique de la maladie d’Alzheimer a d’ailleurs été constitué à l’initiative des Pr Lambert et Amouyel.
Quelle démarche peut-on adopter pour trouver ces déterminants ? C’est grâce à une comparaison de génomes entre malades et personnes saines que peuvent apparaître des variations plus fréquentes sur certaines séquences. Un gros travail qui nécessite un traitement de données assez conséquent.
Une fois un déterminant trouvé, le travail va consister à chercher à comprendre comment il intervient dans la modification de certains mécanismes biologiques. Certains membres de l’équipe travaillent sur des cultures cellulaires de neurones de rat : que se passe-t-il lorsque l’expression génétique du gène d’intérêt est modifiée ?
Etudier l’effet d’une modification génétique sur les cellules neuronales, c’est bien, mais il faut aussi observer ce qui se passe sur l’organisme dans son intégralité. C’est pourquoi, il faut passer à des expériences sur une espèce bien connue et qui se reproduit rapidement : la drosophile, une mouche, un pilier de laboratoire, notamment dans la recherche génétique. Son génome est parfaitement connu car les chercheurs savent quel(s) gène(s) agit(ssent) sur quel caractère (phénotype).
Cap sur les centaines de tubes et les milliers de drosophiles !
Le génome de la drosophile contient 4 paires de chromosomes et de nombreux gènes humains possèdent un « équivalent » chez la drosophile. Ces drosophiles-là ont été modifiées génétiquement : elles expriment la protéine tau.
En modifiant les gènes de la mouche suspectés d’intervenir dans la maladie d’Alzheimer (ces gènes ont beaucoup d’homologues chez l’homme), les scientifiques regardent quelles modifications pourraient influer sur la toxicité de la protéine Tau.
L’intérêt de l’utilisation du modèle « drosophile » est que l’espèce a une durée de vie d’une soixantaine de jours, ce qui laisse le temps d’observer « leur vieillissement ». De plus, l’organisation de son cerveau est assez complexe et présente une zone liée à la mémorisation. Il y a plusieurs types de mémorisation et la mémoire olfactive fait assez souvent l’objet d’études.
Avant de nous séparer, nous passons un petit moment dans la salle des appareils d’observations et nous découvrons le microscope confocal à fluorescence : un microscope qui permet d’obtenir des images bien nettes d’un échantillon biologique en le balayant par un laser concentré par une lentille. L’ensemble est installé sur une table à coussin d’air pour obtenir une image stable.
L’équipe développe des molécules capables de se lier au niveau des lésions caractéristiques d’Alzheimer. Les scientifiques étudient alors si l’interaction est délétère ou non (par exemple en rendant la protéine plus toxique).
Dans l’image ci-dessous par exemple, on peut voir . La zone violette permet de visualiser le noyau des neurones.
Quelques exemples de gènes découverts impliqués dans la maladie
Certains gènes tels que PLCg2 et ABI3 ont été découverts ces dernières années. Ils présentent des mutations plus souvent présentes chez les personnes malades. Ces deux gènes participent à la production de protéines abondantes dans la microglie : un ensemble de cellules « macrophages » au sein du cerveau qui éliminent des déchets.
Le gène BIN1 (Bridging Integrator) a également été identifié : il code une protéine qui joue plusieurs rôles. L’un d’eux est lié à sa capacité à se lier à la protéine Tau. Mais une surexpression de BIN1 semble aussi jouer sur l’inhibition de la réparation d’ADN. BIN1 pourrait être impliqué, de cette façon-là, dans la mort cellulaire.
Des recherches bien ciblées au cœur d’un sujet important ! Tout cela demande du savoir faire, du raisonnement, du temps, de la patience, de la rigueur, de l’interaction entre différents partenaires et beaucoup de moyens. Ravie de voir que l’Institut Pasteur de Lille soit leader dans cette thématique de recherche des déterminants génétiques.
Merci à JC Lambert pour ses explications et sa passion.