L’Institut Pasteur de Lille organise très régulièrement des visites pédagogiques à destination du grand public. Elles permettent à tous les intéressés de comprendre la nature des travaux de recherche qui sont menés, la façon dont ils sont réalisés, le travail de fourmi et de longue haleine qui en découle. C’est également une façon de se rendre compte des contraintes et des défis à relever, de l’interconnexion entre différentes institutions, d’entrer dans le concret et parfois pour certaines thématiques de voir les liens avec des essais cliniques. C’est donc une belle opportunité de parler avec les chercheurs, de se frotter à leur quotidien, et enfin de jeter un œil aux outils dont la technologie ou les principes sont toujours passionnants à comprendre.
J’y ai fait pour l’instant quatre visites (dont j’essaierai de parler) mais je vous présente aujourd’hui la dernière en date : le 17 mai dernier, j’ai eu l’opportunité de rencontrer (en comité très réduit), le Professeur Amouyel, professeur de santé publique au Centre hospitalier universitaire de Lille et directeur de la Fondation Plan Alzheimer ainsi que le Professeur Nicolas Lamblin, Cardiologue au CHU de Lille et chercheur dans l’unité et Xavier Hermant, technicien de recherche de l’Institut Pasteur de Lille Visites et explications passionnantes que je m’empresse de partager.
Bref, le Professeur Amouyel, dont je vous avais déjà parlé dans ce précédent article, nous présente son laboratoire en retraçant l’histoire des activités de recherche qui y sont menées. Alors, objectif, longévité !
On vit de plus en plus vieux, c’est une très bonne nouvelle mais encore faut-il passer ses dernières années en bonne santé. En effet, de nouvelles pathologies apparaissent avec l’âge : des maladies chroniques sont bel et bien attachées au vieillissement. Cependant, il semble que nous ne soyons pas tous égaux face à celles-ci. Certaines personnes ne développent jamais ces maladies qui surviennent avec l’âge. Quelles sont ces pathologies et pourquoi ces différences entre individus ?
Les maladies les plus fréquentes qui apparaissent avec l’âge ?
Il s’agit des maladies cardio-vasculaires, des accidents vasculaires cérébraux et pour finir des maladies touchant le système nerveux (Alzheimer, Parkinson).
En ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires, ce sont 180.000 morts par an liés aux infarctus du myocarde : 50 % sont d’ailleurs directement attribuables aux effets du tabac.
Malgré ces chiffres qui peuvent paraître élevés, le Pr Amouyel nous indique que partout dans le monde, la fréquence des maladies cardio-vasculaires a tendance à baisser, notamment dans les pays développés. Les efforts portant sur la bonne alimentation, la lutte contre la sédentarité et le tabac portent leurs fruits. Dans les pays asiatiques, par contre, là où le tabagisme est en forte augmentation, la situation est logiquement, complètement inversée.
Autre information intéressante : il semble exister un lien entre maladies cardio-vasculaires et troubles cognitifs à un âge plus avancé. Bref, cela ouvre des voies possibles pour la recherche et la surveillance précoce.
Les liens entre maladies cardio-vasculaires et troubles cognitifs
De nombreux travaux ont bel et bien montré une tendance, un lien entre . L’étude dite « Framimgham » dont les résultats ont été publiés récemment (2016) [1] est évoquée lors de cette visite « au cœur des labos ».
En un mot, cette étude s’est penchée sur l’incidence de la démence sur un échantillon de plus de 5000 personnes âgées de plus de 60 ans et ce, sur plusieurs époques en s’intéressant aux descendances. Les résultats de l’étude montrent une décroissance de la fréquence de la démence sur les 3 décennies. Parallèlement, on assiste également à l’amélioration de la santé cardiovasculaire dans le temps notamment dans le sous-groupe dont le niveau d’études est élevé. Les auteurs suggèrent qu’un diagnostic plus précoce couplé à la mise en place de traitement efficace pourrait contribuer à faire baisser l’incidence de problèmes cognitifs.
D’autres travaux tout aussi importants ont mis ce lien en évidence [2].
Ce qui peut expliquer ce lien est que de nombreux facteurs de risque impliqués dans les maladies cardiovasculaires tels que l’hypertension artérielle (trop de pression contre les parois des vaisseaux sanguins), l’hypercholestérolémie, l’obésité et le diabète, la consommation de tabac et la sédentarité sont associés à un risque accru de survenue de maladie d’Alzheimer.
Mais c’est aussi du côté des gènes qu’il faut regarder. Ainsi les équipes de Pasteur mènent beaucoup de recherches sur le génome. A partir d’analyses de l’ADN, les scientifiques cherchent à mettre en évidence le lien entre des pathologies et certaines mutations et à anticiper quelles personnes sont susceptibles de présenter une sensibilité à certaines pathologies afin de mieux prévenir. Bref, certains gènes jouent un rôle sur les deux types de maladies. Nous y reviendrons un peu plus loin.
Mais comment extrait-on l’ADN ? L’une des spécialités du laboratoire est l’extraction et l’analyse de l’ADN sur un grand nombre d’individus. Sa récupération passe désormais par la prise de sang, mais cette longue molécule composée de 3,5 milliards de bases (parmi les 4 A, C T ou G : Adénine, Cytosine, Thymine, Guanine) se trouve dans le noyau des cellules ce qui nécessite la centrifugation du sang afin de concentrer les cellules à noyau (seuls les leucocytes en possèdent, les globules rouges étant des cellules anucléées).
Nous avons pu observer une chouette molécule d’ADN dans un tube à essai : elle a pu être mise en évidence après sa précipitation en présence d’alcool (nous en avions parlé dans ce précédent article). C’est un filament gélatineux qui ressemble à une « méduse » ! Incroyable de se dire que cette « pelote » contient toutes les informations nécessaires à la formation d’un être humain fonctionnel.
Que faire de cet ADN extrait ?
Le laboratoire « Épidémiologie et Santé Publique » de l’Institut Pasteur de Lille travaille intensément sur la mise en évidence et la caractérisation de facteurs génétiques impliqués dans l’apparition et de développement des maladies neurodégénératives et cardiovasculaires. Donc en extrayant l’ADN de plusieurs milliers de personnes et en l’analysant, il est possible de construire des banques de données et de comparer l’ADN de personnes atteintes de maladies avec celui de personnes non malades.
C’est ainsi, que le Pr Amouyel et son équipe, vers la fin des années 90 ont trouvé un lien, avec d’autres équipes à l’échelle internationale, entre un facteur de risque génétique de maladie cardiovasculaire et la maladie d’Alzheimer [3] : ce gène correspond à la forme de l’apolipoprotéine E , une protéine qui est impliquée dans le transport des lipides dans le sang.
Cependant il ne semble pas s’agir d’un lien de cause à effet direct, mais d’un facteur aggravant qui accélère l’évolution de la maladie et entraîne une apparition plus précoce des symptômes de la maladie d’Alzheimer. Prévenir ces facteurs de risque (au-delà de l’effet bénéfique sur le risque cardiovasculaire lui-même) permettrait de réduire de 20 à 30 % le nombre de cas de maladie d’Alzheimer.
Depuis, d’autres facteurs de risques génétiques ont été mis en évidence [4].
L’insuffisance cardiaque
Le professeur Professeur Nicolas Lamblin, nous explique cette autre pathologie liée à l’âge. Elle est assez méconnue mais concerne 1 à 2 millions de personnes en France et conduit à environ 70.000 morts par an. Justement le jeudi 17, jour de la visite, c’était la journée dédiée à cette maladie afin de sensibiliser le public aux signes d’alertes.
De quoi s’agit-il ? En cas d’insuffisance cardiaque, le fonctionnement du cœur n’est plus optimal :
– soit une moindre quantité de sang est envoyé aux différents organes et tissus,
– soit le cœur fonctionne en surpression (distension de la paroi ventriculaire).
Alors sans suivi cardiologique particulier, il est nécessaire de repérer soi-même les signes d’alerte, nous explique le professeur Lamblin. Pour cela, un acronyme a été créé par le « Groupe insuffisance cardiaque et cardiomyopathies » (GICC) de la Société française de cardiologie. Cet acronyme est EPOF pour :
– Essoufflement à l’effort modéré,
– Prise de poids rapide,
– Œdèmes au niveau des jambes et chevilles,
– Fatigue dans des situations habituelles de la vie quotidienne.
Ces signes doivent alerter et déclencher une consultation : l’échographie cardiaque permet de poser le diagnostic. Le dosage d’une famille de peptides (petites protéines), les BNP, dans le sang est également un outil complémentaire aidant au diagnostic : ces molécules sont des marqueurs biologiques de la maladie lorsqu’elles se trouvent en trop grande quantité.
La recherche relative à l’insuffisance cardiaque (IC) essaie de comprendre par exemple dans quelles mesures l’apparition de la maladie suit la survenue d’un infarctus cicatrisé quelques années plus tôt ? Quelles mécanismes sont en jeu* ?
*si j’ai bien compris, le lien entre l’infarctus et l’IC qui se déclenche est le suivant : un infarctus se caractérise par une perte de cellules contractiles. En réponse à cette perte, le myocarde sain cherche à compenser soit par un phénomène de dilatation (hypertrophie) soit par une augmentation de pression plus ou moins marquée. Le type de cicatrisation, la rigidité des tissus jouent alors dans l’apparition de l’insuffisance cardiaque. Mais il reste à comprendre comment tout cela s’agence ainsi que l’influence de la génétique.
Pour la recherche sur cette pathologie, le modèle du rat est retenu et des molécules marqueurs sont recherchées suite à un infarctus afin de pouvoir définir les cas de figure où l’Insuffisance cardiaque risque d’apparaître.
Et du côté du cerveau ?
C’est le modèle de la mouche drosophile qui est retenu pour étudier les gènes, leurs mutations et le lien avec la maladie d’Alzheimer.
L’avantage d’utiliser ce type de modèle est multiple :
– la drosophile possède un gène codant la protéine précurseur amyloïde (qui est à l’origine des plaques incriminées dans la maladie, selon une hypothèse assez courante) équivalent à celui de l’Homme
– la reproduction rapide des mouches,
– les mutations de leurs gènes sont connues.
Puis, on fait un petit tour d’horizon des facteurs protecteurs de la maladie, sachant que nombre d’études montrent que la proportion de personnes touchées a tendance à baisser. Je vous encourage à relire cet ancien billet pour cette question ou encore mieux, le dernier livre du Pr Amouyel.
C’est l’auteur lui même qui nous le présente : paru le 8 mars dernier aux Editions Cherche Midi, il s’agit d’un guide pratique qui rassemble sur plus de 300 pages, un certain nombre de petites recettes ou rituels afin de stimuler son cerveau, développer une « réserve cognitive » pour retarder au maximum les lacunes handicapantes si la maladie venait à s’installer dans notre plus fascinant organe ! Il me tarde de découvrir et de vous en parler ici.
Merci à l’Institut pour l’organisation de ces visites, et pour le temps consacré à nous expliquer les recherches qui sont précieuses et coûteuses (les dons de particuliers sont toujours appréciés).
Références
1- Claudia L. Satizaba et al., « Incidence of Dementia over Three Decades in the Framimgham Heat Study », The New England Journal of Medicine, 2016; 374:523-532
2- Matthews FE, Arthur A, Barnes LE, Bond J et al., « Medical Research Council Cognitive Function and Ageing Collaboration. A two- decade comparison of prevalence of dementia in individuals aged 65 years and older from three geographical areas of England : results of the Cognitive Function and Ageing Study I and II », Lancet, 2013 ; 382(9902):1405-12
3- Amouyel P, Brousseau T, Fruchart JC, Dallongeville J., « Apolipoprotein E-epsilon 4 allele and Alzheimer’s disease », Lancet, 1993, 342 : 1309.
4- Lambert JC, Ibrahim-Verbaas CA, Harold D, Naj AC, …/(229 authors)/..Amouyel P., « Meta-analysis of 74,046 individuals identifies 11 new susceptibility loci for Alzheimer’s disease », Nature Genetics 2013; 45:1452-8.