Étant née assez loin du lieu de culture des oliviers, j’ai longtemps (très longtemps) cru que les olives vertes et noires étaient issues de deux arbres différents. En fait, il n’en est rien et la différence de couleur s’explique uniquement par le degré de mûrissement du fruit au moment de la récolte :
- l’olive verte est récoltée dès qu’elle atteint une taille normale (calibrée), mais le changement de couleur caractéristique du mûrissement ne doit pas avoir commencé ;
- l’olive noire est récoltée alors que le fruit est complètement mûr ou sur le point de l’être.
La question qui se pose alors encore, est comment nos papilles apprécient-elles les olives vertes alors qu’un fruit moins mûr est généralement beaucoup moins apprécié. C’est sans compter sur l’ensemble des étapes de préparation que l’homme a mis au point pour adoucir l’amertume du fruit.
Un fruit non mature est amer
L’amertume est cette serveur un peu bizarre (cas des endives, du pamplemousse) qui nous fait un peu grimacer lorsqu’elle trop forte (on n’y est pas tous sensibles de la même façon).
Les molécules responsables de l’amertume sont variées, citons le phénylthiocarbamide, un composé organique synthétisé par de nombreuses plantes (certains choux) et fruits dont le but est de repousser l’ennemi herbivore qui voudrait grignoter un peu trop vite le fruit.
On peut citer également la quinine, la caféine ou la théobromine (présente dans le cacao) dont nous avons déjà parlé un peu ici.
Une molécule sera généralement amère si elle est riche en groupements hydroxyles et si elle possède des noyaux aromatiques. Il se produit alors plus facilement des liaisons avec les protéines salivaires ce qui déclenche la sensation amère.
Dans le cas de l’olive, la molécule qui provoque l’amertume est l’oléuropéine : un acide carboxylique estérifié, un glucoside (molécule comprenant un glucide) sous la forme d’un polyphénol ce qui signifie la présence de noyaux aromatiques et des fonctions hydroxydes (ici des oses)
La concentration peut aller jusqu’à 140 mg/g de matière sèche chez l’olive verte avant cueillette. Au fur et à mesure du mûrissement, le fruit perd son amertume (certaines olives noires n’ont pratiquement plus d’oléuropéine). Il devient aussi moins ferme, plus coloré et plus sucré. Mais que se passe-t-il exactement au niveau chimique ?
Le mûrissement d’un fruit
Une petite molécule organique joue un rôle très important dans l’affaire : l’éthylène, un hydrocarbure insaturé. Cette molécule n’est pas réservée au monde de la plasturgie et des polymères (c’est un pilier dans ces domaines) puisqu’elle est aussi produite par le monde végétal, comme l’hormone favorisant le mûrissement.
L’éthylène est un gaz à température ambiante, fabriqué par les végétaux (feuilles, fruits) à partir d’un acide aminé (la méthionine) puis libéré dans l’environnement immédiat ; certains en produisent même sous forme de pic au moment de la maturation (tomate ou banane par exemple). On parle alors de fruits climactériques. Plus la teneur en éthylène sera élevée, plus la maturation du fruit sera activée et la production d’éthylène accentuée : un vrai engrenage (on parle de processus auto-catalytique) ! Ceci explique que des fruits confinés, mûriront plus vite et qu’un fruit très mur accélérera la maturation de son voisin.
Le pic d’éthylène aboutit alors à la synthèse d’enzymes induisant tout un tas de modifications pour le fruit.
Les changements biochimiques et structuraux qui s’opèrent concernent alors :
– la couleur avec la dégradation de la chlorophylle et l’apparition des pigments de type caroténoïdes, anthocyanes qui permettent de passer du vert au rouge,
– la fermeté (liée à la présence de pectine, longues molécules de polysaccharides composant les parois des cellules végétales, voir ici) qui diminue : les chaînes de pectine se cassent et le fruit devient plus mou,
– la saveur :
- l’amidon (longue molécule constituée de sucres simples juxtaposés) se coupe pour libérer ses maillons tels que le glucose, le fructose
- les molécules acides s’oxydent ce qui conduit à une baisse d’acidité
- l’amertume est réduite (ce qui rend les fruits plus sensibles aux herbivores). Cette diminution est liée d’une part à l’action d’enzymes qui transforment chimiquement les molécules aux propriétés amères et d’autre part à l’augmentation de la concentration en sucres simples.
Pour les fruits non climactériques, tels que le raisin et l’olive, l’éthylène n’est pas produit sous forme de pic et joue beaucoup moins dans le mûrissement. Malheureusement, les mécanismes sont encore assez peu connus. Il semblerait que plusieurs autres hormones soient mises en jeu. Dans le cas de l’olive, une bonne partie de l’oléuropéine s’est hydrolysée (coupée), sous l’action de l’enzyme esterase en d’autres molécules (dont le diméthyleuropéine, constituant majeur des olives noires).
Le procédé de traitement des olives
NB : Les procédés sont très variables d’une région à une autre, mais voici les grandes lignes des étapes clé.
Pour adoucir le goût trop amer des olives cueillies (évidemment plus le fruit est récolté tôt, plus il sera amer), on commence par les placer dans des cuves équipées de trous ce qui permet la ventilation puis on les trempe dans une solution de soude : une base forte (NaOH) dont la concentration varie entre 2 et 3.5 % selon la température, le type d’olive.
Cette réaction avec la soude (on parle d’alcalinisation) permet d’éliminer la plus grande partie de l’amertume. Cette opération dure entre 8 et 72 h et la soude pénètre environ jusqu’au 2/3 de la chair du fruit. Ce timing va dépendre de la température, du degré de maturation des olives, de la variété, de la concentration en soude.
L’effet secondaire du traitement à la soude est qu’il s’accompagne d’une perte de nutriments (tel que le sucre nécessaire à une éventuelle future fermentation).
Ensuite, les olives sont lavées et conservées dans une saumure. Une saumure est une solution de sel (NaCl) très concentrée : parfois si concentrée que la solution est saturée (tout grain de sel ajouté ne se dissout plus).
Mais il semble que différentes concentrations en sels peuvent être utilisées selon le producteur. C’est également à ce moment-là, que se produit la fermentation (si la recette locale l’exige) pendant plusieurs semaines. Les micro-organismes (bactéries et levures) proviennent des fruits, de l’eau et des installations de traitement.
Un procédé différent supprime l’étape soude mais nécessite plus de temps. C’est le sel (NaCl) et la fermentation qui agissent pour réduire l’amertume car les micro-organismes dégradent l’oléuropéine.
Pour les olives noires, donc plus matures, moins amères, l’étape soude est également supprimée : les olives sont directement trempées dans une saumure puis conservées dans l’huile.
Que se passe-t-il exactement ?
Les réactions physico-chimiques en jeu
La soude va s’attaquer aux différents tissus de l’olive, augmenter la perméabilité et hydrolyser les pectines (ce qui ramollit le fruit).
Chimiquement parlant, l’oléuropéine va se casser sous l’action de la soude et donner du glucose et d’autres molécules dérivées (acide élénolique et hydroxytyrosol par exemple) qui seront éliminées pendant le lavage. Ce type de réaction est une hydrolyse en milieu basique.
L’étape « saumure » va permettre à l’eau -le jus- des cellules du fruit de sortir (principe de l’osmose) ; ceci est nécessaire pour l’étape de fermentation. Le sucre se transforme alors en acide lactique et les micro-organismes cassent l’oléuropéine (par un procédé enzymatique) en produisant également l’hydroxytyrosol. Le contrôle du pH et de la concentration en saumure doit être optimisé : en effet, cette étape bien menée, assure une longue conservation des olives.
Olives et santé
Un petit mot sur les propriétés pharmacologiques assez bien démontrées de l’oléuropéine. Selon diverses études, elle possède des propriétés anti-oxydantes, anti-inflammatoires, anti-microbiennes, et anti-cancéreuses. Tout cela fera l’objet d’un article complémentaire.
Pour en savoir plus
http://fr.wikipedia.org/wiki/Olive
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nylthiocarbamide
http://www.scipharm.at/download.asp?id=629
http://jxb.oxfordjournals.org/content/early/2012/07/06/jxb.ers147.full
http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/92/31/56/PDF/vd_lemoine_hugues.pdf
20 comments for “Olive verte, olive noire, quelle différence ?”