Il y a quelques temps, lors de notre chaîne « pourquoi je kiffe la science » je racontais (et je ne suis pas la seule), que souvent, j’étais envahie d’une vague de plaisir lorsque je parvenais à percer les secrets d’une énigme. Cela pouvait être un tout bête exercice de géométrie au collège, où il s’agissait de découvrir une figure ou une propriété particulière ou bien, une question plus complexe comme la compréhension d’un mécanisme physique ou biologique (ou un mélange des deux, car c’est souvent indissociable).
Evidemment, tout le monde ne s’intéresse pas à la science (dommage !) et pourtant ce même plaisir (Eurêka j’ai trouvé !) s’exprime. Lors d’un jeu de société par exemple, il y a toujours ce petit bonheur qui nous éclaire lorsqu’on réussit sa mission. C’est le cas notamment des enfants qui agencent les pièces d’un puzzle, du quidam parvenu à placer les bons chiffres dans une grille de Sudoku, ou bien d’une maman épuisée qui a enfin trouvé comment endormir son enfant, ou bien encore de l’artiste qui a retrouvé l’inspiration créatrice . Bref, vous voyez de quoi je parle.
Que se passe-t-il dans nos cerveaux à ce moment-là ? Que nous disent les neurosciences ? et pourquoi est-ce si important ?
Ce n’est qu’assez récemment que les neuroscientifiques se sont intéressés à l’affaire : ils ont pu définir et mesurer ce sentiment de bonheur éphémère à la fois par des images en IRM et par une analyse chimique mesurant la libération d’endorphines. Quels sont les mécanismes mis en jeu exactement ?
Descriptif du phénomène
L’effet Eurêka, en référence au mathématicien Grec Archimède, qui utilisa cette expression au moment où il comprit la poussée qui fait flotter certains objets (voir un ancien billet sur le sujet), peut se décomposer en deux étapes.
Dans une première phase, nous sommes dubitatifs face à un problème qui semble inextricable. Il n’est pas rare de ressentir une certaine frustration.
La deuxième étape concerne le moment où la solution apparaît enfin ce qui se produit de façon soudaine et inattendue. Certains chercheurs décrivent alors le basculement de la 1ere à la seconde phase comme le résultat d’une modification dans la façon d’aborder l’énigme (nouvelle représentation mentale du problème). La solution apparaît alors comme triviale, évidente. Divers sentiments se mêlent : émotions positives, sentiment d’être dans le vrai (avant même la vérification).
Le plaisir ressenti
Nous, les humains, sommes des animaux doués de conscience, notamment celle du monde qui nous entoure et nous prenons plaisir à l’observer, le comprendre, voire agir sur lui. Cette faculté spéciale, nous procure du plaisir non directement lié à la satisfaction de besoins fondamentaux ce qui est extraordinaire en soi. Le plaisir, on le ressent mais ce n’est pas qu’une impression : des scans de cerveaux de personnes en pleine résolution de problème ou en pleine découverte, révèlent une augmentation des niveaux de dopamine.
Ce neurotransmetteur (une molécule qui transfère les signaux à travers les synapses) apparaît en récompense lors d’une expérience jugée bénéfique par le cerveau : elle améliore la communication entre neurones et modifie leur sensibilité (une baisse de dopamine est généralement observée chez les personnes en état dépressif).
A la différence d’autres plaisirs, comme celui de manger pour satisfaire la faim, le plaisir engendré par la connaissance (notamment via la résolution de problème), ne cesse pas par l’apprentissage. Au contraire, plus on apprend, plus on a envie d’apprendre, pour satisfaire notre curiosité du monde et de ses mystères. C’est d’ailleurs une sorte de cercle vicieux : trouver la solution d’un problème à priori inextricable engendre du plaisir que notre cerveau va rechercher après une première expérience. Or les recherches ont montré que nous apprenons d’autant mieux lorsque nous sommes heureux (même si le plaisir n’est qu’une composante du bonheur).
L’effet sur la mémoire
Il semble qu’au moment même où la solution est trouvée, les capacités de mémorisation soient boostées. Bref, la découverte faite seul(e) après recherche, vaut bien mieux que celles reçues passivement.
Que se passe-t-il exactement dans le cerveau ?
Les neurotransmetteurs
Nous avons évoqué la dopamine. Mais d’autres neurotransmetteurs entrent en jeu dans les procédés mentaux du plaisir de l’apprentissage. Comme l’explique cet article (Vanderschuren, voir les références) qui décrit quelques études empiriques sur le jeu et les circuits de récompense et de la motivation, les opioïdes endogènes (tels que les endorphines) et les cannabinoïdes endogènes (responsables entre autre d’effet euphoriques) sont également synthétisés pendant des moments Eurêka. Ces neurotransmetteurs opèrent dans diverses parties du cerveau qui génèrent et perçoivent les émotions.
Les zones activées dans le cerveau
Les études utilisant des IRMf ou des EEG (électroencéphalogrammes) permettent d’avancer quelques hypothèses sur la façon dont notre cerveau s’organise dans ces moments-là. Diverses parties sont impliquées en particulier l’hémisphère droit : partie frontale, dorso-frontale et pariétale, des zones sièges d’ondes alpha, bêta, gamma.
Ces ondes sont celles générées par le cerveau (dans une bande de fréquences données, d’où les différents noms α, β, γ) résultant de l’activité électrique d’un grand nombre de neurones.
C’est surtout l’augmentation de l’intensité des ondes γ qui est constatée lors d’un moment Eurêka (ou juste avant). Ce résultat est associé à la mise en cohérence de neurones, comme une reconfiguration du système initial, permettant d’intégrer des informations individuelles pour obtenir une approche plus globale.
Le cortex angulaire antérieur est également mis en jeu. Il joue un rôle dans la résolution de conflit cognitif et pourrait expliquer le basculement dans l’approche de l’énigme conduisant à la solution.
L’activité de la zone hippocampe (rôle pour la mémoire, l’attention et la navigation spatiale) est également fortement accrue pendant un moment Eurêka ce qui suggère la formation de nouvelles associations neuronales.
Voilà pour les quelques pistes des processus mis en jeux. Mais comment s’imbriquent-ils les uns dans les autres ? Quels sont les plus importants ? Certaines théories sont établies mais nécessitent validation.
Conclusions :
Pas mal de choses ont été comprises mais les processus semblent complexes : ils mettent en jeu de nombreuses zones du cerveau avec grande interaction entre elles. Pourquoi ces recherches ? Elles sont importantes à plusieurs titres.
La compréhension du mode de fonctionnement du cerveau lorsqu’il est stimulé par une énigme peut nous permettre de développer des stratégies pour améliorer le bien être, la confiance en soi. Sur cette base, certains professionnels ont mis au point des outils permettant d’améliorer mémoire, attention, et par voie de conséquence, l’auto-satisfaction. Je pense à la technique du neurofeedback qui consiste à entraîner son cerveau (en visualisant les zones activées par EEG) à se concentrer sur certaines pensées. Cette technique commence à faire son chemin et prouver son efficacité (cf ICI)
D’autre part, sans aller si loin, comprendre comment nous fonctionnons lors de l’acquisition de nouvelles connaissances trouve son application directe dans le développement de stratégies éducatives : mieux apprendre par le jeu ou par l’expérience (énigme à élucider). En stimulant l’effet Eurêka, de meilleurs résultats liés à la mémorisation et l’apprentissage sont obtenus (voir ICI).
Note : Cet article fait partie des sujets abordés, de façon romancée, dans mon livre « Le Monde et Nous »
Pour en savoir plus
http://en.wikipedia.org/wiki/Eureka_effect
http://fr.wikipedia.org/wiki/Dopamine
http://www.sciencedaily.com/releases/2010/12/101215102440.htm
Vanderschuren, L., « How the Brain Makes Play Fun », American Journal of Play, Vol 2 (3) : 315-337, 2010 (Lien ici)
Sascha Topolinski, Rolf Reber. Gaining Insight Into the ‘Aha’ Experience. Current Directions in Psychological Science, 2010; DOI: 10.1177/0963721410388803
Mai X et al. “Aha!” Effects in a Guessing Riddle Task: An Event-Related Potential Study » Human Brain Mapping, Vol 23:128, 2004
Tregloan K. « Looking for A-Ha…« , 2nd International Conference on Design Education, July 2010
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