Sevrage naturel : de quoi parle-t-on ?

Pour poursuivre les réflexions et les questions soulevées par Vert Citrouille, contribution aux Vendredis Intellos, revenons une fois encore, sur la question de l’allaitement maternel, en nous interrogeant cette fois-ci sur la dernière étape du processus, à savoir le sevrage. Pour faire suite, à mon précédent post sur le sujet  ici, dans lequel nous avions montré que la composante culturelle était primordiale dans le choix d’allaiter ou non, mais aussi dans la durée de l’allaitement, je vous propose d’essayer d’établir les grandes tendances sur le sevrage naturel :
– quand se produit-t-il ? ou quand devrait-il se faire si les mamans ne subissaient aucune pression (les « bons conseils » reçus de part et d’autre, qui mine de rien orientent votre décision)?
– et comment se fait-il ?
– quelles corrélations peut-on trouver avec d’autres paramètres du développement de l’enfant?
– peut-on faire un parallèle avec les autres mammifères ?
– enfin, quelles sont les conséquences pour les mamans ?
La réponse à ces questions passe par une revue de quelques articles publiés sur le sujet.

Le contexte du sevrage
Partout dans le monde, les femmes adaptent leur pratique de l’allaitement à leur mode de vie personnel et l’environnement dans lequel elles vivent. Et le moment du sevrage n’échappe pas à la règle [1] : l’analyse de données multiculturelles montre que les sociétés ont des croyances et des points de vue très différents sur l’âge auquel l’enfant doit être sevré. Il reste encore beaucoup de sociétés dans le monde dans lesquelles les enfants sont maternés pendant très longtemps (4 ou 5 ans), car chez elles, on pense qu’il est normal et naturel qu’un bébé soit dépendant de sa mère pendant les premières années. Pour le sevrage, c’est l’enfant qui décide et cela se produit entre 3 ou 4 ans. Et c’est d’ailleurs dans ces cultures, que les femmes pratiquent le plus l’allaitement à la demande, le maternage, le portage et co-dodo.

Dans nos cultures modernes,  le sevrage précoce est encouragé car il est perçu comme un signe de développement de l’enfant. Les femmes qui allaitent longtemps (au-delà de 6 mois) sont considérées comme des « anomalies ». Ceci est assez lié aux mythes et croyances qui persistent comme par exemple : un bébé allaité longtemps, trop longtemps sera moins indépendant de sa mère, et capricieux. De nombreuses études ont en fait montré le contraire : le fait de satisfaire les besoins émotionnels encourage chez l’enfant, le sentiment de « confiance en soi » [2]. Le Dr G. Wootan [3] nous explique que l’enfant qui décide de se sevrer est plus indépendant, car le choix de s’éloigner de sa mère vient de lui.

Petit bémol à apporter ici, pour les femmes qui décident d’allaiter longtemps, qui se trouvent à un moment ou un autre confrontées à une difficulté et qui sans soutien ni écoute , se tournent vers le sevrage un peu malgré elles.

 Définition du sevrage et sevrage naturel
Avant tout chose, qu’est ce que le sevrage ? qu’implique-t-il pour l’enfant?
D’un point de vue étymologie, « Sevrer » vient du latin populaire seperare, qui signifie « séparer ».
En anglais le terme est « Weaning », l’étymologie (voir ici) est intéressante car elle introduit la notion de nouveauté : l’origine est le mot « Wenian » qui signifie  » s’habituer à quelque chose de différent ».

 Bref, deux possibilités d’interprétation :
Le sevrage signifiant « séparer » consiste donc à l’arrêt complet de l’allaitement au sein. La seconde interprétation correspond à l’introduction progressive de nourriture extérieure dans les habitudes alimentaires du bébé sans pour autant provoquer l’arrêt complet de l’allaitement maternel.

  Le sevrage naturel est celui qui se développe à la demande de l’enfant et de lui seul. Qu’en est il dans la vie actuelle ? tout dépend evidemment de l’impact culturel. Une étude menée sur 179 femmes américaines ayant opté pour l’allaitement long [4], nous éclaire sur ce point :  parmi les raisons évoquées pour l’arrêt complet de l’allaitement, c’est l’arrêt décidé par l’enfant qui conduit au % le plus élevé : pour le petit dernier de la famille, 63% des cas de sevrage est demandé par l’enfant. Un plus faible pourcentage (15 %) correspond au désir de la mère (qui considère que l’enfant est prêt). Les autres causes évoquées sont liées à une nouvelle grossesse (13%) ou à des circonstances familiales (5%).

Rappel des bénéfices du sevrage tardif
Les bénéfices de l’allaitement prolongé a déjà abordé un peu partout, mais rappelons tout de même certains résultats importants.
Comme le recommandent certaines organisations de santé (OMS-Société canadienne de pédiatrie-Académie Américaine de Pédiatrie-UNICEF) [5], l’introduction de nourriture solide (fin de l’allaitement exclusif) est importante à partir de 6 mois, âge pour lequel il est primordial de stimuler différemment les fonctionnalités complexes de la mâchoire, de la langue et de la déglutition afin que l’enfant apprenne à gérer la nourriture solide.
Les autres justifications de l’introduction de nourriture solide sont liés aux besoins en fer, zinc non couverts entièrement par le lait maternel [6]
Néanmoins, au-delà de 6 mois, le lait maternel est recommandé en complément de nourriture solide (dont la proportion est progressivement augmentée) car il continue à couvrir une part importante des besoins nutritionnels, micronutriments et des apports énergétiques (grande quantité de graisses et acides gras essentiels) [5].
D’un point de vue développement cognitif et social, le rôle de l’allaitement maternel prolongé a nettement été démontré dans plusieurs études corroborées dans des méta-analyses afin d’en distinguer les biais [7]. Chez d’autres mammifères (où n’interviennent donc pas les variables telles que le niveau socio-économique et l’éducation parentale), le sevrage plus tardif montre une augmentation des interactions sociales [8].

Quand se produit-il?
Dans toute l’histoire de l’homme connue, le lait maternel était la première et seule nourriture connue jusqu’à l’âge de deux ans. Un retour historique sur la question nous est fourni dans un papier synthétique très intéressant [9]. Ainsi, quelques anthropologues se sont intéressés au mode de nourrissage des enfants dans toute l’histoire de l’homme, même très reculée… et oui, osons-le archéologique. Une étude réalisée sur des squelettes et dentitions d’enfants retrouvés au Guatemala, des paléoanthropologues [10] ont confirmé que la nourriture solide était introduite avant l’âge de deux ans alors que l’allaitement maternel était encore en place.

Revenons à nos moutons actuels… Pourquoi l’enfant choisit-il de se sevrer et quand cela se produit-il naturellement ? Pourquoi ne le ferait-il pas à l’image des autres mammifères (qui eux, ne subissent aucune pression sociale).
Comme nous l’explique A. Smith (consultante diplomée en lactation) [11], l’enfant s’éloigne du sein maternel quand il se sent prêt (même s’il n’en a pas conscience) aussi bien physiquement, psychologiquement, qu’émotionnellement. Ainsi, « nos bébés sont prêts physiquement » signifie qu’ils sont capables de manger une grande variété de nourriture solide car ils possèdent une dentition et un développement de la mâchoire adéquat :  en particulier des prémolaires leur permettent de broyer et mâcher avec un mouvement rotatif.
D’un point de vue développement cérébral, le langage ou la faculté à se faire comprendre a atteint le stade suffisant pour que l’enfant exprime les notions de « encore! » ou « c’est bon, j’en ai assez ! ». Enfin, sa capacité à s’alimenter seul en utilisant une fourchette et une cuiller lui permet également de se sentir prêt.
Bref naturellement, tous les ingrédients sont là pour que d’instinct, l’enfant se penche sur une assiette, goûte, teste, expérimente : alors il mâche, broie et s’il aime, alors c’est parti !

L’étude [4] déjà évoquée plus haut, nous indique que les bébés qui choisissent eux-mêmes le moment du sevrage le font entre 2 ans 1/2 et 3 ans.

L’étude [12] soulève aussi la question du manque de retour d’informations sur la durée actuelle de l’allaitement et la date du sevrage dans la mesure où, sous la pression culturelle, beaucoup de mamans continuent à allaiter « en secret » sans en parler à leur praticien.

Enfin, je souhaiterais évoquer les travaux de recherche de Ph. D Katherine Dettwyler [13] sur le sujet du sevrage qui reposent sur l’analyse du comportement d’autres mammifères à travers l’histoire. Elle s’est particulièrement attachée à trouver des corrélations entre le sevrage et d’autres variables. L’auteur utilise alors ces données pour en faire une projection pour le comportement humain. Ainsi, la plupart des mammifères pour lesquels cet aspect a été étudié, le sevrage se produit à l’apparition des premières molaires permanentes ; dans le cas de nos proches cousins primates (gorilles et chimpanzés), il intervient quand leur poids est quadruplé par rapport au poids de naissance ou encore pour un poids atteint correspondant au tiers du poids adulte. Le premier facteur (poids naissance multiplié par 4) correspond pour l’homme à l’âge entre 2 ans et demi et 3 ans. Les deux derniers facteurs projetés chez l’homme conduisent à un âge de sevrage entre 5 ou 7 ans.
La palette est assez large et s’étend selon l’approche réalisée entre 2 1/2 et 7 ans. Mais comme le précise C. Didierjean (LLL) [15], chaque enfant est unique. Et tout comme, il apprend à marcher, parler, être propre à son rythme, il décide de son sevrage quand bon lui semble.

Source

Sevrage oui, mais progressif
Généralement, les mamans qui choisissent un allaitement long avec sevrage naturel, réalisent le sevrage de façon progressive [4]. Et elles ont bien raison, finalement pour tout un tas de raison. Cela laisse tout d’abord, le temps aux deux protagonistes de se séparer en douceur : d’une part, moins de risque de dépression (juste un peu de nostalgie) ou de seins douloureux pour maman. D’autre part, il s’agira d’un allaitement profitable à l’enfant jusqu’à la dernière goutte dans la mesure où les tétées diminuant en fréquence et en intensité, les anticorps seront plus concentrés dans le lait produit.

Conclusion et mot de la fin pour la maman
Difficile donc de donner un âge bien précis, chaque enfant, chaque contexte étant différent. Nous retiendrons le seuil bas des 2 ans et demi, pour lequel déjà nos cultures occidentales évoquent toutes sortes de risques (non démontrés, voire même contrés) et les seuils hauts évoqués deci delà vers les 5 ans voire 7 ans.
Notre article s’arrête là pour ce beau sujet, qui me tient particulièrement à coeur en ce moment puisque je vis personnellement mes tous derniers instants d’allaitement (d’une durée de 23 mois) avec sevrage naturel. La nostalgie est bien sûr au rendez-vous…c’est normal à priori : la modification hormonale, le passage d’une relation au contact très proche et intime vers une autre relation mère-enfant peuvent engendrer un peu de blues ! [14]

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Si vous  êtes intéressé(e) par les travaux de recherche sur l’allaitement, retrouvez-moi sur ce blog dédié.

Références utilisées
1-Breastfeeding, culture and attachement : http://www.attachmentacrosscultures.org/beliefs/bfeed_culture.pdf

2-Newman and Kernerman, « Breastfeeding a Toddler – Why on earth ? »; 2009; http://www.nbci.ca/index.php?option=com_content&view=article&id=78:breastfeed-a-toddlerwhy-on-earth&catid=5:information&Itemid=17

3- http://www.naturalchild.org/guest/george_wootan.html

4- Sugarman, M ; Kendall-Tackett K.,  » Weaning Ages in a Sample of American Women Who Practice Extended Breastfeeding », Clinical Pediatrics 1995; 34(12), pp642-647

5-Guide OMS « Guiding Principles for Complementary Feeding of The Breasfed Child » : http://www.who.int/nutrition/publications/guiding_principles_compfeeding_breastfed.pdf

6- Dewey K., « Nutrition, growth and complementary feeding of the breastfed infant », Pediatric Clin North America, 2001; 48, pp 87-104

7- Anderson, J. W. et al., « Breast-feeding and cognitive development: a meta-analysis », American Journal of Clinical Nutrition, 1999;70(4), pp 525-535

8- Curley J. P. et al, « The Meaning of Weaning: Influence of the Weaning Period on Behavioral Development in Mice », Development Neuroscience 2009;31, pp 318–331

9- Penny. Esterik, « Contemporary Trends In Infants Feeding Research » , Annu. Review of Anthropology 2002; 31, pp257–78

10- Wright AL, Bauer M, et al.K. « Cultural interpretations and intracultural variability in Navajo beliefs about breastfeeding. »1993 Am. Ethnol. , 20(4), pp 781–96

11- Smith, A., « Weaning », http://www.breastfeedingbasics.com/articles/weaning-your-baby

12- Dr C. Mutch et al, « Weaning from the breast », Paediatrics & Child Health 2004; 9(4), pp 249-253. Revision2009 (http://www.cps.ca/english/statements/CP/cp04-01.htm)

13- Dettwyler K, « When to wean » , Natural History,1997; October(1)

14- K. Jackson, « Breastfeeading: Weaning sometimes brings feelings of sadness » 2011 http://ic.steadyhealth.com/breastfeeading_weaning_sometimes_brings_feelings_of_sadness.html

15- Claude Didierjean, « Et le sevrage, comment ça se passe ? », Allaiter Aujourd’hui, 2002, http://www.lllfrance.org/Allaiter-Aujourd-hui/AA-50-Et-le-sevrage-comment-ca-se-passe.html

Autres ressources
*
http://www.llli.org/llleaderweb/lv/lvdec00jan01p112.html
* http://www.kellymom.com/bf/weaning/how_weaning_happens.html

 

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