Les animaux des régions tempérées de la Terre subissent inévitablement les variations météorologiques saisonnières. La période de l’hiver, la plutôt difficile à supporter, est généralement marquée par une hausse de la mortalité des individus. Dans quelles mesures, sur la base de ces variations et de leurs conséquences, le changement climatique affecte-t-il la survie des espèces ?
Répondre à cette question n’est pas si simple car les effets peuvent être complexes à analyser sans une approche plus approfondie.
Des hivers plus froids augmentent les besoins en énergie pour les espèces endothermes qui n’hibernent pas, or dans ces périodes les ressources alimentaires se font bien plus rares. Au contraire, des hivers plus chauds peuvent mettre en danger des animaux adaptés au froid, qui perdraient leur capacité thermogénique et seraient en stress lorsqu’ils seraient de nouveau confrontés à des températures froides.
A ces premiers effets s’ajoute l’influence possible des précipitations (par le biais d’éventuelles sécheresses) qui jouent également sur la thermorégulation* d’un mammifère ou sur la recherche de nourriture rendue plus difficile en cas de couverture neigeuse !
*En cas de sécheresse, la thermorégulation se fait par évaporation alors qu’au contraire il faudrait éviter les risques de déshydratation.
Les effets sur le plus long terme d’autres événements de l’année doivent également être pris en compte car ils peuvent aussi impacter la survie des espèces en hiver : des phénomènes extrêmes par exemple fragilisent et rendent moins résistants aux rigueurs des météos froides.
Un article paru dans Science Advances en Janvier 2023 explicite le travail de chercheurs qui se sont penchés sur la question en s’intéressant aux populations d’oiseaux en particulier Le Mérion superbe (Malurus cyaneus) très commun au Sud-Est de l’Australie. L’étude a porté sur une fenêtre d’observation assez large de 27 ans couvrant la période 1993–2019, la densité de population observée dans le cadre de cette étude déclinant de 42%.
Les auteurs ont étudié les effets du changement climatique sur les taux de mortalité du mérion adulte dans les six mois de période hivernale, là où les risques sont les plus élevés (prédation, perte de capacité thermogénique, famine) avec une analyse temporelle assez fine (en détaillant le lien températures/mortalité sur une fenêtre temporelle d’une semaine).
Les résultats montrent qu’une mortalité plus élevée était associée :
– à des températures hivernales minimales trop faibles notamment la nuit (effet marqué pour un delta de -4°C par rapport aux valeurs habituelles de référence),
– à des températures hivernales maximales trop élevées, avec un delta de + 14°C,
– à des précipitations plus faibles.
Une autre conclusion tirée de l’étude est que des températures plus élevées durant la belle saison (période de reproduction) en lien avec des vagues de chaleur et des précipitations plus faibles que la moyenne conduisent aussi à des taux de mortalités plus élevés dans l’hiver qui suit…
Quelles explications ?
Les auteurs présentent plusieurs hypothèses permettant d’expliquer les résultats.
Lors d’un épisode particulièrement froid, les oiseaux doivent augmenter le métabolisme pour assurer leur thermorégulation ce qui implique une dépense en énergie supérieure au moment même où les ressources nutritives basées sur les insectes sont peu présentes. Ils ne survivent tout simplement pas lorsque leurs réserves d’énergie sont épuisées ou même parce que la prédation augmente lorsqu’ils sont occupés à trouver de quoi se nourrir.
Des hivers trop chauds peuvent leur faire perdre leur capacité de thermorégulation pour ces espèces adaptées au froid. D’autres études ont en effet montré que la perte de cette capacité (adaptation métabolique) dans un environnement plus chaud que la normale pouvait se produire très rapidement et qu’elle n’était retrouvée que sur une fenêtre de temps beaucoup plus longue, lorsque le froid se réinstallait. Les oiseaux ne sont tout simplement plus adaptés à leur environnement et ne survivent plus à l’hiver. Pour l’expliquer, les auteurs de l’étude évoquent une possible limitation de certains organes tels que les muscles pectoraux qui s’atrophieraient plus vite et que la reprise serait plus lente.
En ce qui concerne les conditions météo de l’été, des vagues de chaleur plus intenses sont généralement associées à une perte de masse corporelle car les individus ont plus de mal à se nourrir (moindre efficacité de la chasse). Ainsi, ils sont moins bien armés pour supporter les rigueurs de l’hiver suivant.
D’autres explications possibles
L’étude suggère bel et bien que le changement climatique par une influence directe sur le métabolisme est responsable de l’augmentation de la mortalité au sein des populations du mérion superbe, au sud-est de l’Australie durant la saison hivernale. Mais les auteurs soulignent qu’il pourrait y avoir un autre phénomène permettant de déchiffrer les observations.
Jusque là, les explications fournies reposent sur un effet direct des températures trop élevées ou trop basses par rapport aux capacités d’adaptation de l’oiseau. Un lien indirect avec le changement climatique pourrait être la dégradation du couvert végétal au cours du temps associée à la diminution des précipitations.
Moins de verdure implique moins d’espace où se cacher des prédateurs mais également moins d’insectes et donc moins de ressources alimentaires. Ces deux mécanismes doivent agir en synergie selon les auteurs.
En conclusion, au vu de cette étude où sur la période étudiée la fréquence des épisodes chauds en hiver et celle des vagues de chaleur en été a augmenté, les effets sur la mortalité des espèces sont d’ores et déjà visibles… Les projections sur le futur sont une accentuation encore plus marquée ce qui laisse penser que non seulement la population va décliner encore davantage mais qu’elle pourrait même menacer la survie de l’espèce.
Références
– Lei Lv, Martijn van de Pol, Helen L. Osmond, Yang Liu1, Andrew Cockburn,Loeske E. B. Kruuk, « Winter mortality of a passerine bird increases following hotter summers and during winters with higher maximum temperatures », Science Advances 9, (2023)
– Lynda Sharpe, Belinda Cale and Janet L. Gardner, « Weighing the cost: the impact of serial heatwaves on body mass in a small Australian passerine », Journal of Avian Biology : e02355 00: 1–10, 201,(2019)