Dans des précédents billets, je vous parlais de l’Institut Pasteur de Lille notamment l’étude des protéines synthétisées par les cellules (la protéomique) ainsi que des thérapies ciblées dans une application bien particulière (à relire ici).
On y revient aujourd’hui, car dans le cadre d’une nouvelle visite « Au cœur des labos » le 14 mars 2018, j’ai pu un peu mieux comprendre les recherches en matière de tumorigenèse et les thérapies ciblées.
Nous sommes accueillis par David Tulasne, chercheur INSERM. Il dirige une équipe de l’unité mixte de recherche UMR 8161 *(« Mécanismes de la tumorigenèse et Thérapies ciblées ») et travaille sur le cancer du poumon : le plus mortel chez l’homme. Il rappelle que 85 % de ces cancers sont liés au tabac.
* L’UMR 8161 est sous différentes tutelles (Institut Pasteur de Lille Université de Lille /Inserm/CNRS/CHRU de Lille)
Beaucoup de thérapies ciblées fonctionnent chez les patients souffrant du cancer du poumon. De quoi s’agit-il ?
Depuis une dizaine d’années, des gènes codant des protéines impliquées dans la division cellulaire ont été identifiés.
Alors on cherche à développer des molécules (principe actif d’un futur médicament) qui vont inhiber ces protéines ou activer des récepteurs particuliers sur des cellules tumorales : c’est le principe de la thérapie ciblée. Mais pour cela, il est nécessaire de comprendre comment fonctionne une telle cellule, quels sont ses récepteurs et quels sont les ligands* de ces récepteurs (quelle clé dans quelle serrure).
* Un ligand est une entité chimique dont l’agencement des atomes permet sa liaison avec une cible.
On cherche donc la molécule qui va intervenir avec l’un des objectifs suivants :
– bloquer la multiplication des cellules,
– bloquer la formation de nouveaux vaisseaux sanguins (angiogenèse),
– induire des réactions immunitaires,
– déclencher l’apoptose (mort cellulaire).
La prolifération des cellules est activée dès que la cellule reçoit des signaux particuliers suffisamment intenses : lorsqu’un récepteur de surface d’une cellule se lie avec son ligand, cela provoque la mise en place de signaux intracellulaires (prolifération, angiogenèse, résistance à l’apoptose).
Quels actions concrètes dans une thérapie ciblée ?
Dans le cadre d’une thérapie ciblée, la molécule-médicament va donc pouvoir agir sur différents fronts.
– La molécule se lie aux récepteurs particuliers d’une cellule tumorale et les bloque : ils ne pourront pas accueillir les ligands, les réactions qui en découlent seront donc inhibées.
– La molécule se lie au ligand qui ne peut donc plus se lier au récepteur,
– La molécule inhibe les réactions déclenchées par l’interaction récepteur/ligand.
Comment fonctionnent les récepteurs d’une cellule cancéreuse ?
Dans le cas du cancer du poumon, un des récepteurs clé est l’EGFR (Epidermic Growth Factor Receptor) ou « récepteur du facteur de croissance épidermique ». Il se trouve qu’il est surexprimé.
En conséquence, les recherches se concentrent pour comprendre quels en sont les ligands et comment fonctionne l’activation.
Cibler ce récepteur est une stratégie intéressante qui a donné de bons résultats. Mais une certaine résistance au traitement apparaît chez certains patients. Par quels mécanismes ? C’est tout l’objet des recherches en cours.
L’un des causes expliquant la résistance est lié à un autre gène impliqué dans le cancer bronchique. C’est le gène du récepteur MET codant une protéine, récepteur membranaire qui se lie également à un facteur de croissance. Lorsque ce récepteur s’associe à son ligand, la mitogenèse est activée (la mitose est la division cellulaire – décrite dans cet ancien billet), ainsi que la morphogénèse (différentiation des cellules). Une action anti-apoptique est également déclenchée (impossible pour les cellules d’entrer en apoptose, c’est-à-dire d’enclencher leur propre mort).
Certaines tumeurs pulmonaires surexpriment MET et justement pour celles-là, les traitements ciblés sur le récepteur EGFR sont peu efficaces. L’utilisation d’un inhibiteur pour le récepteur MET est une voie prometteuse en association avec des thérapies ciblant EGFR.
Mais là encore, des résistances apparaissent dans certains cas.
Les travaux de recherche à l’Institut Pasteur de Lille
Des chercheurs travaillent sur ces thématiques en étudiant le rôle de ces récepteurs et les mécanismes de résistance des thérapies ciblées. L’idée est aussi de trouver des biomarqueurs qui permettent de prédire la résistance.
Dans ce cadre-là, des cultures cellulaires sont mises en œuvre. Notre visite nous permet de passer devant les salles dédiées (niveau de sécurité 3) : des salles de culture avec des incubateurs aux paramètres contrôlés (température, humidité, concentration en O2/CO2). Là, on y manipule des virus modifiés pour introduire des récepteurs particuliers sur des cellules.
Nous visitons aussi, la salle d’observations des cellules, grâce à la microscopie plein champ et la microscopie optique inversée à fluorescence qui permettent d’observer des cellules, des noyaux, l’ADN, les mitochondries mais surtout les récepteurs.
Actuellement, les principaux challenges à relever sont liés à l’apparition de résistances au traitement : il est donc primordial de les anticiper et de proposer d’autres thérapies ciblées en recherchant par exemple de nouvelles cibles afin d’élargir l’arsenal thérapeutique.
N’oubliez pas de visiter le site de l’Institut Pasteur de Lille
Références :
Duplaquet L, Kherrouche Z, Baldacci S, Jamme P, Cortot AB, Copin MC and Tulasne D. « The multiple paths towards MET receptor addiction in cancer » Oncogene. 2018 Jun;37(24):3200-3215. Review.
Descarpentries C, Leprêtre F, Escande F, Kherrouche Z, Figeac M, Sebda S, Baldacci S, Grégoire V, Jamme P, Copin MC, Tulasne D and Cortot AB. « Optimization of routine testing for MET exon 14 splice site mutations in non-small cell lung cancer patients », Journal of Thoracic Oncology, 2018 Sep 6. pii: S1556-0864(18)33038-7.