Alors que je cherchais quelques informations sur les caractéristiques d’un « bon sol », eu égard au récent billet relatif à la culture du petit pois, je suis tombée sur un article en Open Access (voir références) dont le titre a piqué ma curiosité. Il s’agit d’écouter les vers de terre creuser le sol et les racines « pousser ».
En voici une petite synthèse.
Vous savez sûrement que les vers de terre jouent un rôle clé pour la bonne santé de la terre. Alors si on les écoutait travailler ? Pourquoi ? Comment? Quels bénéfices en tirer ? C’est l’objet d’une étude d’une équipe de l’INRA Orléans en collaboration avec des chercheurs suisses (Zurich) et publiée récemment (juillet 2018) dans Scientific Reports (du groupe Nature Publishing Group).
Le sol est riche : c’est un grand écosystème où se déroulent toute une série de processus écologiques et une bonne partie des cycles biogéochimiques. Certains équilibres entre éléments organiques et minéraux prennent des décennies à se mettre en place et tout peut basculer si le sol devient trop compact ou est perturbé par une pratique agricole non adaptée.
La vie qui y règne, impliquant de multiples interactions entre le biote et son environnement, sculpte la structure du sol pour une qualité optimale. En ce qui concerne les vers de terre, c’est en quête de matière organique pour se nourrir qu’ils se mettent à creuser le sol pour en faire un réseau de galeries. Ce réseau est capital pour la qualité du sol dans la mesure où il permet une meilleure circulation de l’eau et des gaz et facilite la croissance des racines (meilleure oxygénation et un sol plus meuble).
Comment s’y prennent les scientifiques pour évaluer ce réseau et par là même estimer la qualité du sol ? En général, ce sont des méthodes qui fournissent des informations qualitatives, localisées à l’endroit de l’observation et qui ne permettent pas de suivre la dynamique des processus en jeu.
Savez-vous qu’il est possible de suivre les émissions acoustiques en provenance du sol ? Cela donne une information sur les phénomènes dynamiques qui se déroulent en son sein. Les sons sont la conséquence de la libération brusque d’énergie élastique générée par des réarrangements de structure : des grains qui se frottent, se collent, la formation de fissures, la destruction d’agrégats, des changements d’interfaces entre gaz/liquides …
En amplifiant ces signaux acoustiques à l’aide de capteurs suffisamment sensibles, il est possible de suivre et enregistrer toute modification de la structure du sol. Les auteurs de l’étude se sont donc demandés si cette approche pouvait s’appliquer pour suivre la croissance racinaire et l’activité de lombrics creusant des galeries.
Pour tester cette méthodologie, des essais ont été réalisés en suivant pendant 7 jours les émissions acoustiques générées par un ver de terre introduit dans une cellule en verre remplie de terre. Il était alors possible de suivre visuellement en parallèle l’activité du lombric et le développement d’un réseau de galeries.
En comparant les émissions acoustiques avec celles d’échantillons témoins (conditions identiques sans lombric), les chercheurs ont mis en évidence une différence significative entre les sons enregistrés dans les deux cas. Les capteurs placés à différentes hauteurs ont bel et bien permis de suivre une modification des émissions sonores durant ces 7 jours, en lien avec la mise en place des galeries visuellement observables.
Des expériences ont également été menées pour étudier la croissance racinaire de graines de maïs germées placées à la surface d’un sol sablonneux et sur une durée d’observation de 19 jours. Le suivi des ondes sonores s’est fait à 5 et 20 cm de profondeur. Au bout de 5 jours, une activité acoustique significative a pu être mise en évidence et c’est le capteur de surface a traduit le plus d’activité, exactement là où la croissance racinaire a été la plus forte : un lien existe bien entre l’activité liée à la croissance des racines et les enregistrements acoustiques.
Les expériences ont toutes été réitérées afin de tester la répétabilité.
Que peut-on en conclure ?
L’ « écoute » du sol permet donc bien de rendre compte des processus dynamiques qui s’y déroulent tels que la croissance de racines ou le creusement de nouvelles galeries par des vers de terre. Les scientifiques espèrent même que les signaux enregistrés permettront de discriminer les différents types d’activités.
Les résultats obtenus sont intéressants car ils ouvrent une nouvelle voie pour étudier la structure du sol, avoir accès à des informations importantes difficiles à obtenir par d’autres moyens. L’utilisation de cette méthode non destructive pourrait permettre d’identifier des conditions environnementales qui sont préjudiciables pour la qualité des sols, de mieux connaître l’écologie des plantes et des vers de terre.
Enfin la méthode pourrait aussi permettre d’améliorer le système de cultures dans le cadre de l’agriculture de précision, comprendre aussi les liens entre l’activité des lombrics et le développement racinaire.
Les auteurs précisent néanmoins que cette étude n’est qu’un premier pas permettant de tester la validité de la méthode. Il serait par exemple judicieux d’observer l’influence de la nature du sol (saturation en eau ou texture…) sur ce genre d’approche. Surprenant non ? A suivre !
Référence :
Lacoste M., Ruiz S., Or D., « Listening to earthworms burrowing and roots growing – acoustic signatures of soil biological activity », Scientific Reports 2018.
www.nature.com/articles/s41598-018-28582-9