Comment rechercher et identifier des corps humains enfouis dans le sol depuis plus de 90 ans dans un sol argileux ?
Pour apporter quelques éléments de réponse à cette question, partons à la découverte de l’archéologie au-travers du « Projet Fromelles » : voici la deuxième partie de notre mise en lumière sur les fouilles intensives qui se sont déroulées à Fromelles en 2009 afin de retrouver les corps des soldats australiens et britanniques morts aux combats (ceux de la Bataille de Fromelles en juillet 1916 dont nous avions parlé ici) et enterrés rapidement par les allemands dans des fosses communes du bois de Pheasant Wood (Bois des Faisans). Quels moyens ont-ils été mis en oeuvre pour tenter leur identification ? Quelles difficultés ? Quels résultats ?
Le déroulement des fouilles
C’est Oxford Archeology, un institut d’Archéologie Britannique très expérimenté dans ce type de fouilles, qui est mandaté par Commonwealth War Graves Commission pour prendre en charge le Projet Fromelles.
Le projet démarre en avril 2009 et commence par la mise en protection du site (accès sécurisé) : il faut avant tout éviter la contamination du site par tout élément perturbateur (l’analyse ADN qui suivra perdrait toute fiabilité). Les fouilles proprement dites sont lancées en mai 2009 par une cérémonie officielle à laquelle assistent des membres des gouvernements britanniques et australiens.
17 semaines de fouilles sont nécessaires.
Le Dr Louise Loe dirige le projet. L’équipe, est constituée de 30 spécialistes de divers domaines : ostéoarchéologues, archéologues de la médecine légale, anthropologues, un spécialiste de radiographie médico-légale, un dentiste médico-légal, un anatomopathologiste médico-légal, des officiers de scènes de crime… Des experts extérieurs ont également été mandatés dans le but d’apporter une expertise « qualité » sur le travail réalisé.
La collecte de données et l’analyse sont réalisées les deux premiers mois de l’année 2010. Mais l’identification se poursuit encore à l’heure actuelle.
Les méthodes utilisées pour les fouilles
La première étape nécessaire à l’exhumation des corps et des objets (on parle aussi parfois d »Artefacts »), a consisté en des fouilles mécaniques (à la pelle) sous contrôle d’un officier des munitions non explosées, jusqu’à une profondeur de 20 cm au-dessus de la zone d’inhumation.
Dans une seconde étape, c’est un travail à la main par des ostéo-archéologues qui travaillent couche par couche du plus haut et vers le bas.
Pour détecter des objets (et os enfouis), des méthodes telles que la détection de métal, les rayons X* sur des échantillons de sol autour de squelette ont été utilisées.
Focus sur les Rayons X
Les rayons X sont un rayonnement électromagnétique (comme la lumière visible) mais de plus forte énergie et donc de plus courte longueur d’onde : du même ordre de grandeur que celle des distances entre atomes. Du fait de cette similitude dans les longueurs, il y a interaction entre un faisceau de rayons X incident et la matière : la lumière est diffusée par la matière. Les ondes diffusées vont entrer en interférence et être détectables à condition d’avoir affaire à des cristaux (atomes bien organisés) : on parle alors d’ondes diffractées.
On peut exploiter ceci dans la mesure où :
– les distances entre plans d’atomes qui sont détectées, sont caractéristiques des cristaux en présence dans l’échantillon,
– la reconnaissance des phases cristallines détectées se fait par comparaison avec une base de données.
Ainsi lorsque plusieurs types de cristaux sont présents (sols argileux + os), la figure de diffraction sera différente.
Les difficultés
Parmi les difficultés rencontrées, la nature du sol en est une. L’argile du site est épaisse et collante : les corps ont donc été relativement bien stabilisés pendant toutes ces années mais lors de la fouille, le tamisage par les ostéologues est rendu difficile. Il s’agit de trouver les bonnes techniques pour retrouver des os de petite taille sans les abîmer pour qu’ils puissent conter leur histoire.
Les objets retrouvés
Ils sont nombreux (+ de 6000 objets retrouvés) et divers, surprenants, parfois très émouvants car très personnels :
– des boucles métalliques d’uniformes,
– un billet de train (non utilisé) replié dans un sac de masque à gaz,
– des épingles à nourrice,
– des badges, boutons, tissus issus des uniformes
– des porte-cigarettes,
– des kits médicaux, des crayons,
– des livres, une Bible (avec passages soulignés),
– des pièces,
– …
L’étude de ces objets est importante mais cela revêt moins de poids (car moins fiable) que celle des restes des individus car les objets ont pu être déplacés ou échangés entre les soldats.
La découverte des squelettes et l’analyse ADN pour l’identification des corps
Les squelettes retrouvés sont globalement dans un bon état de conservation.
L’identification n’est cependant pas évidente et est le fruit d’un croisement de données issues de plusieurs approches. Elles s’appuient sur des méthodes traditionnelles mais pas uniquement, étant donné le contexte particulier de la fouille.
L’étude des corps fait état de blessures, de traumas visibles au niveau du squelette : ces résultats utiles pour identifier les causes de la mort, pourront également servir pour améliorer les connaissances sur l’effet de traumas sur le squelette.
L’une des pistes suivies pour l’identification consiste à essayer de remonter, grâce aux caractéristiques des os, à la stature de l’individu, sa hauteur, ses traits faciaux. Des infections ou des défauts congénitaux sont également des indices permettant de bâtir des hypothèses pour l’identification. L’étude de la dentition est aussi riche en renseignements : la présence de caries dentaires, de couronnes permet de reboucler avec les informations contenues dans les archives des dossiers médicaux des jeunes soldats disparus (même si ces données sont parfois parcellaires voire inexistantes car détruites).
Mais le profilage ADN, technique de pointe, est largement utilisée dans le cadre du projet Fromelles, elle intervient après les autres approches et les complète. Il s’agit de comparer l’ADN des restes humains (extrait des os, des dents) avec celui des descendants vivants mais cela reste complexe car l’ADN d’un individu est issu d’une réorganisation et recombinaison de l’ADN de ses deux parents, alors lorsque la comparaison doit se faire sur des personnes séparées d’une centaine d’années, l’effet de « dilution » est important.
Pour contrer un peu les effets du temps, des marqueurs spécifiques (des zones de l’ADN peu modifiées lors de la filiation) sont passés à la loupe. Il s’agit de séquences de l’ADN mitochondrial -ce qui constitue la lignée maternelle- ainsi que d’autres situés sur le chromosome Y (pour la lignée paternelle).
Les soldats suffisamment âgés sont partis au combat après avoir été pères. La comparaison avec l’ADN de la descendance directe est alors possible.
Pour les soldats sans enfant, il faut regarder les descendants des frères (chromosome Y) ou des sœurs (ADN mitochondrial)
Focus sur l’ADN
L’ADN se trouve au cours de nos cellules (nous en avions parlé ICI) dans le noyau. Il forme les chromosomes (22 paires + les chromosomes sexuels X et Y). Seuls les hommes sont porteurs du chromosome Y, transmis par leur père, c’est la raison pour laquelle il permet d’observer la lignée paternelle.
Au sein de nos cellules, des petites structures spéciales, les mitochondries (plusieurs centaines, voire milliers par cellule) jouent un rôle particulier : il s’agit de petites usines fournissant l’énergie aux cellules possédant leur propre ADN. Une caractéristique importante de cet ADN est qu’il est directement hérité de la mère.
Alors que regarde-t-on ?
Sur le chromosome Y d’un homme, hérité de son père, c’est le test Y-STR qui est réalisé : on observe le nombre de STR « short tandem repeat », c’est-à-dire le nombre de séquences répétées sur des zones particulières du chromosome qui sont l’objet de très peu de mutations. Donc pour les hommes d’une même lignée, la signature via le STR est une caractéristique commune : ce compte permet donc de repérer facilement des liens de parenté.
Sur l’ADN mitochondrial (de forme circulaire) qui possède peu de gènes non codants, on cherche à repérer des modifications dans l’ordre des bases et à les comparer avec une référence externe. Un individu aura en effet le même ADN mitochondrial que sa mère et sa grand-mère maternelle.
Voilà, le sujet est passionnant ! La science via l’archéologie et les techniques d’analyse se trouve ici au service de l’Histoire de la guerre (mais aussi l’histoire personnelle des individus) avec des techniques poussées mais aussi une bonne dose de savoir-faire et d’expertise !
Jusqu’ici 150 soldats sur les 250 ont pu être identifiés et possèdent désormais une stèle personnalisée.
Voici quelques vidéos dédiées au projet permettant un autre éclairage sur l’ampleur des travaux, et la spécificité des recherches.