L’augmentation de la teneur en CO2 atmosphérique et le réchauffement climatique rapide qui en découle, on en parle beaucoup, un peu partout… et on a bien en tête certaines conséquences auxquelles, il faut d’ores et déjà se préparer telles que la montée des eaux, la fonte des calottes glacières et du permafrost, l’augmentation de la fréquence de phénomènes météo extrêmes, l’assèchement de certaines zones de la planète, la modification du rendement des récoltes (j’en avais parlé là).
En ce qui concerne la biodiversité, les conséquences sont également dramatiques (j’en avais parlé dans cet article) : on pense aux coraux menacés par l’acidification ou les difficultés de l’ours polaire à trouver sa nourriture suite à la fonte de la banquise mais il y a, en fait, bien plus que cela !
Un récent article paru dans Science (11 novembre 2016) [1], dresse un état des lieux assez exhaustif des effets du changement climatique sur les espèces et leurs interactions jusqu’à la véritable perturbation d’écosystèmes : du gène jusqu’aux individus (leur physiologie, leur comportement), puis les espèces, les populations (leur dynamique), les communautés et finalement les écosystèmes. Un article très riche dont je vous propose une petite synthèse éclairée.
Modification de la diversité génétique
Les nouvelles données liées au climat (hausse des températures, augmentation de la fréquence des vagues de chaleur, modification de la composition chimique de l’atmosphère, des océans et de l’eau douce) constituent une véritable pression sélective pour les espèces : certaines ont déjà commencé à faire preuve d’évolutions en terme de génétique. Les auteurs évoquent pour illustrer ce point, les travaux d’une équipe de chercheurs belges, anglais et danois [2] ; leur sujet ? les capacités d’adaptation de la puce d’eau (ou Daphnia magna) qui vit dans les eaux douces stagnantes et est sensible aux changements de température. Leur étude a apporté la preuve que l‘espèce est capable d’évoluer pour plus de tolérance à la chaleur et ce, de façon rapide. Des changements dans les génotypes des populations nées entre les années 60 et les années 2000 ont bel et bien été observés.
D’autres exemples sont fournis tels que celui du saumon rose qui migre plus tôt (disparition d’un marqueur génétique codant la migration tardive).
Modification de la physiologie
Le réchauffement a affecté la répartition mâles/femelles de certaines espèces (paramètre encore appelé « sex-ratio »). En effet, certaines tortues de mer ou des poissons (cas de l’entélure ou Snake pipefish) produisent des œufs qui éclosent en femelles ou en mâles selon les conditions de température. Lorsque la température augmente trop, la prédominance d’un sexe sur l’autre est marquée ce qui peut créer des déséquilibres de populations et des menaces pour la reproduction.
Le réchauffement augmente également le coût métabolique pour certaines espèces marines (le réchauffement augmente les besoins en O2 alors que justement avec la hausse des températures, il se fait plus rare (la solubilité des gaz dans les liquides diminue avec la température). La contrainte métabolique risque alors d’ affecter par exemple l’activité musculaire, le comportement, la croissance, la reproduction. La souffrance et la chute de l’effectif des populations a par exemple été observée chez la loquette d’Europe (Zoarces viviparus) qui vit en mer du Nord (ces 40 dernières années, la température des eaux a, en certains points, augmenté de 1.13°C).
Un peu plus connue, la difficulté de certains organismes (tels que l’escargot de mer Limacina helicina) à calcifier leur coquille (ceci est lié à l’augmentation de CO2 absorbé par l’océan qui rend l’eau plus acide).
Modification de la morphologie au sein des espèces
Le coût métabolique évoqué ci-dessus peut également avoir une conséquence directe sur la taille des individus : en conditions chaudes, un rapport surface/volume élevé est alors favorisé. Cet effet a déjà été constaté chez certaines espèces de salamandres des montagnes Appalaches (réduction de 8 % de la taille corporelle ces 50 dernières années).
La diminution de la longueur des ailes de certains oiseaux a également été corrélée au réchauffement. Parfois, certaines modifications morphologiques peuvent remettre en question la survie des oiseaux : notamment lorsque les becs sont plus petits, et deviennent mal adaptés pour la recherche de nourriture (nous en avions parlé dans cet article pour le « Bécasseau maubèche »).
Dans le même ordre d’idée, le changement morphologique de certaines espèces concerne la couleur : la modification est liée à la production de mélanine pour améliorer la thermorégulation.
Impacts sur les populations
La plupart des espèces vivent au rythme des saisons. Les différents composants du réchauffement climatiques modifient donc certains événements ce qui affecte les populations entières. La date de floraison du phytoplancton est par exemple avancée (le premier maillon des chaînes trophiques) ainsi que, pour de nombreuses espèces marines, les périodes de reproduction et de migration.
Dans de nombreux cas, les dynamiques des populations sont modifiées selon tous ces paramètres. Evidemment, il y a les effets directs qu’on appréhende assez bien :
– on assiste à un boom des espèces adaptées à un environnement plus chaud,
– des pertes au niveau des espèces qui ne le sont pas.
Quelques mots sur le blanchiment des coraux… Ces derniers vivent en symbiose avec des petites algues appelées zooxanthelles (dans les mers chaudes). Lorsque la température s’élève (et moins de un « degré » en plus, peut faire toute la différence), la cohabitation corail-micro-algues est rompue : le corail rejette ses hôtes et blanchit ; il finit par souffrir d’un manque de nourriture.
Mais certaines espèces parviennent néanmoins à « migrer » : des coraux autour du Japon se sont déplacés jusqu’à 14 km/an ces 80 dernières années [3]. C’est énorme : une valeur élevée que les auteurs expliquent en partie par la présence de courants chauds (courants de Kuroshio et Tsushima). Une bonne nouvelle lorsqu’on sait que les coraux jouent un rôle fondamental comme ressources et habitat pour de nombreuses autres espèces dans les régions tropicales et subtropicales.
Certaines espèces perdent tout simplement leur lieu de reproduction : ces 13 dernières années, l’omble à tête plate (Salvelinus confluentus) – un salmonidé originaire des régions montagneuses du nord-ouest de l’Amérique du Nord- a perdu 10% de son environnement de ponte (suite à l’augmentation des températures). Mais l’espèce est aussi menacée par le fait des activités humaines (développement pétrolier et gazier, exploitation forestière et minière, projets hydroélectriques).
Le réchauffement au niveau de l’Arctique est particulièrement préoccupant : il est, depuis ces 10 dernières années deux fois plus intense que le réchauffement moyen de la Terre et le phénomène est bien plus rapide que ce que prévoient les modèles (voir ici un précédent billet sur le sujet). La diminution de la couverture de glace (des printemps plus longs) joue alors négativement sur les espèces de mammifères vivant dans ces environnements, bien que des réponses assez variées apparaissent selon les espèces et les régions. Plus d’une dizaine d’espèces de mammifères arctiques sont particulièrement vulnérables à cause de leur dépendance forte avec la glace telles que certaines mouettes ou phoques annelés
Mais des conséquences moins directes interviennent également : le recul du couvert de glaces modifie les aires de répartition et la rencontre entre espèces (prédateurs/proie ou espèces compétitrices) remodèle les relations et donc le nombre d’individus au sein des populations.
Plus indirectement également, la mortalité de certaines populations augmente en raison du développement de maladies véhiculées par tiques ou moustiques. Des épisodes de ce type se sont déjà produits par le passé : des infestations de tiques ont déclenché une forte épidémie de babésiose (maladie parasitaire de type paludisme) chez des lions dans la plaine du Serengeti -savane s’étendant sur la Tanzanie et le Kenya (en 1994 et 2001) (lien).
Ces exemples sont autant de preuves des effets « à grande échelle » du changement climatique.
Effet sur les interactions entre espèces
La modification des interactions entre espèces liée à la redistribution géographique au sein des espèces amène d’autres effets : des réseaux trophiques sont perturbés et des sources de nourriture se trouvent surexploitées par l’afflux de consommateurs venus d’ailleurs, et n’arrivent pas à se régénérer (cas de certaines algues à l’ouest de l’Australie).
Des incompatibilités phénologiques ont été observés entre certaines espèces de papillons et leurs plantes hôtes qui ont désormais un cycle décalé : les larves ne peuvent plus se nourrir.
Le réchauffement des océans constatés ces dernières décennies a modifié fortement les courants marins, conduisant à une baisse du phénomène de « upwelling » et diminution du phytoplancton dans certaines régions jusqu’à 30 %. Ce premier maillon des chaînes alimentaires marines entraîne une perte d’abondance des poissons voire une désertification complète dans certaines zones.
Ailleurs au contraire, dans les eaux douces des lacs peu profonds par exemple, l’augmentation des températures accentue l’eutrophisation (lien) et l’explosion de cyanobactéries toxiques : une des raisons est que la minéralisation de la terre des bassins versants est accentuée, ce qui favorise l’apport en nutriments. Un sujet qu’il serait intéressant de creuser.
Des effets sur l’ensemble des écosystèmes.
Tous les effets mentionnés ci-dessus (génétique, changement de physiologie, des morphologies, migrations, distribution, perte de populations, modifications des phénologies, des interactions entre espèces) ont d’ores et déjà été observés pour 1°C d’augmentation des température.
En intégrant tous ces effets, les auteurs mettent en évidence un risque de modification de l’état des écosystèmes entiers à grande échelle (voire des aires biotiques) car de nombreux processus écologiques sont remis en question.
Les effets pour l’homme
L’homme doit lui aussi s’adapter pour supporter le contrecoup de ces changements (d’un autre côté, sa responsabilité dans le réchauffement n’est plus à démontrer). Les impacts concernent les points suivants :
– la pêche est modifiée (effet de la perte d’effectif, et de la réduction de taille),
– les rendements des cultures sont affectés,
– les maladies via l’explosion des vecteurs de transmission sont exacerbées,
– la fonctionnalité des écosystèmes est, dans certains cas rompue (les récifs coralliens absorbent l’énergie des vagues et réduisent les effets des tempêtes).
Ces effets montrent que le futur est plus qu’incertain et la sécurité alimentaire – et la sécurité tout court – pour les populations (humaines cette fois) est loin d’être assurée.
Alors que faire ? Au-delà des efforts déjà engagés pour essayer de limiter le réchauffement, il faut surtout continuer à étudier et à comprendre les différents impacts sur la biodiversité et les écosystèmes. La tâche est encore ardue !
Références :
1- Brett R. Scheffers, Luc De Meester, Tom C. L. Bridge, Ary A. Hoffmann, John M. Pandolfi, Richard T. Corlett, Stuart H. M. Butchart, Paul Pearce-Kelly, Kit M. Kovacs, David Dudgeon, Michela Pacifici, Carlo Rondinini, Wendy B. Foden, Tara G. Martin, Camilo Mora, David Bickford, James E. M. Watson., « The broad footprint of climate change from genes to biomes to people », Science, Vol 353, Issue 6313,p 719, 11 nov 2016
2- Geerts A. N. et al., « Rapid evolution of thermal tolerance in the water flea Daphnia », Nature Climate Change 5,665–668, 2015
3- Hiyora Yamano et al., « Rapid poleward range expansion of tropical reef corals in response to rising sea surface temperatures », Geophysical Research Letter, vol 38, L04601, doi:10.1029/2010GL046474, 2011
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