Samedi 19 novembre, tous les curieux de nature, les amateurs de science (professionnels ou non) et férus de recherche se sont réunis à la cité des échanges de Marc-en-Barœul, près de Lille pour le 4e Forum CNRS ! Une occasion idéale pour découvrir les recherches en cours sur des grands thèmes de l’actualité, pour échanger avec les chercheurs, pour découvrir de nouvelles problématiques, des innovations, toucher du doigt et manipuler…
Voici quelques idées marquantes des grands débats auxquels j’ai pu assister et un focus sur les stands /expos sur lesquels je me suis arrêtée.
NB : Pour éviter l’écriture et la lecture d’un billet trop long, je découpe ce reportage en plusieurs parties.
Partie I
Comportement, mémoire, ce que dévoile l’épigénétique
C’est une table ronde autour d’Isabelle Mansuy (Université de Zürich et Département des Sciences et Technologies de la Santé, Ecole Polytechnique Fédérale de Zurich), Sarah Morley-Fletcher (Université de Lille-1, Unité de glycobiologie structurale et fonctionnelle) et François Tronche («Gene Regulation and Adaptive Behaviors», CNRS UMR7224, INSERM U952) qui ouvre la journée et on nous emmène dans les dédales du cerveau et des gènes.
Alors on s’en doute : des événements traumatisants, stressants nous marquent profondément ! Mais, on a du mal à imaginer jusqu’à quel point parce qu’effectivement, ça va loin : nos gènes en sont tous chamboulés ! Et forcément cela affecte toute notre vie (notre comportement, notre métabolisme) mais également celle de notre descendance.
Qu’est-ce que l’épigénétique ?
Au sein du noyau de nos cellules, on trouve l’ADN, une longue molécule en double hélice où les deux brins sont reliés comme une échelle vrillée. D’un point de vue chimique, l’ADN est composé de milliers de nucléotides mis bout à bout.
Qu’est-ce qu’un nucléotide finalement ? C’est un assemblage d’éléments chimiques contenant un groupe phosphate, un sucre, et une groupe à base d’azote (on parle de base azotée). Les nucléotides sont au nombre de 4 (car 4 bases azotées) et se regroupent par paire ; ces liaisons entre bases forment alors les barreaux de l’échelle.
La succession de multiples bases azotées forme une séquence d’ADN qui constitue le code génétique. Certaines parties de ces séquences sont les gènes qui codent pour des protéines, chacune étant synthétisée lorsque le gène est lu, transcrit en ARN messager puis traduit en protéine. Les protéines ont des fonctions précises dans l’organisme.
Lorsque l’ADN est fortement compacté, la machinerie responsable de la transcription du gène pour la fabrication d’une protéine ne peut pas fonctionner. Ainsi, pour certaines portions, l’ADN s’enroule autour de protéines (appelées histones). L’ensemble forme la chromatine. L’ADN très condensé en ces endroits précis rend les gènes inaccessibles : ils seront « éteints ».
Par le biais de l’environnement, il arrive que des molécules ou des groupements viennent s’accrocher directement à l’ADN ou aux histones…ceci rend le gène « inaccessible » et donc l’inactive. Ce nouveau caractère se transmettra à la descendance. C’est l’épigénétique : l’inactivation de certains gènes par l’environnement. Cette modification est ensuite transmise à la descendance.
Comme l’explique F. Tronche, il faut garder en tête que c’est l’épigénétique qui oeuvre lors du développement de l’embryon. Cela permet d’expliquer comment à partir d’une cellule unique, possédant l’ADN et tout le patrimoine génétique dans son noyau, une différenciation va se produire au sein des cellules filles afin de construire des organes, des tissus particuliers. Selon l’environnement de chaque cellule fille, certains gènes vont s’exprimer et d’autres s’éteindre donnant un caractère et une forme spécifiques : un neurone ou une cellule de foie…
Les quelques mécanismes connus à ce jour sont :
– la méthylation de l’ADN (greffage de groupes -CH3 en certains points de la molécule ce qui active ou réprime le gène concerné)
– la modification des histones, ces protéines autour desquelles l’ADN s’enroule (des altérations – ex. acétylation, phosphorylation- des protéines ce qui déroule ou condense l’ADN)
– l’action des ARN non codants (par exemple des micro-ARN) qui agissent comme des régulateurs moléculaires de l’ADN ou des ARN messagers et ainsi modulent la transcription ou la traduction des gènes)
Tous ces mécanismes peuvent être activés via l’environnement : l’alimentation, le contact avec des produits chimiques toxiques ou délétères (perturbateurs endocriniens, carcinogènes…), des événements stressants ou traumatisants, des pathogènes, la température*…
*la température oriente par exemple l’éclosion d’œufs de tortues en mâles ou femelles (nous en parlions dans un précédent billet consacré aux conséquences du réchauffement).
Petite précision : pour une même action environnementale, l’effet épigénétique sera différent selon la cellule et en particulier de l’organisation au sein du noyau (chromatine mais aussi d’autres compartiments). On parle de la topologie du noyau : l’épigénétique y étant fortement dépendante.
Effet d’événements stressants sur la mémoire
Le point commun entre les trois intervenants est qu’ils travaillent sur les mécanismes épigénétiques liés à des effets environnementaux (par exemple la réponse au stress : un sujet qui en intéresse plus d’un). Pour comprendre les effets de l’environnement sur les individus et leur descendance, et ce, de façon la plus rigoureuse possible, le modèle d’étude est la souris ou le rat (cela offre la possibilité de travailler sur des populations d’individus identiques, avec un taux de reproduction rapide et de pouvoir faire varier différents paramètres).
Ainsi, un certain nombre d’études se sont penchées sur les effets du stress chronique ou d’événements traumatisants à différentes époques de la vie : il s’avère qu’ils peuvent conduire à la fois à une modification des comportements et à des altérations du métabolisme. Comment ? Par quels mécanismes ?
Il s’avère que les petits deviennent des adultes antisociaux, présentent des problèmes de mémoire et des symptômes de dépression. L’équipe d’Isabelle Mansuy s’intéresse aux effets à long terme des traumatismes précoces sur les fonctions du cerveau, le comportement et la physiologie et utilise un modèle de traumatisme chez la souris. Elle cite par exemple comme outil expérimental la séparation maternelle imprévisible chronique combinée à stress chronique imprévisible de la mère
Les travaux de Sara portent sur le stress périnatal : quel est l’impact d’événements pénibles chez la mère gestante (une rate) sur son comportement et celui de ses petits après la mise bât ? La mère est plus anxieuse, et sa capacité à gérer son environnement et ses petits est plus limitée. Les petits rats vont développer des comportements émotionnels non adaptés : ils sont plus anxieux et présentent une altération de leur rythme veille/sommeil (signe lié à la dépression).
La réponse à un stress (travaux de F. Tronche) déclenche toute une série de réponses physiologique dont la sécrétion et libération de glucocorticoïdes (ou cortisol, hormone du stress). Ceux-ci activent des récepteurs présents un peu partout et en particulier dans le cerveau, au niveau des neurones du circuit de la récompense. Les récepteurs activés, agissent comme des facteurs de transcription et contrôlent l’expression de gènes ce qui se traduit par une modification du comportement ou de la prise de nourriture.
Bref, la modification du comportement suite à des émotions fortes relève d’un mécanisme épigénétique.
Quelques exemples de travaux de référence extérieurs nous ont été présentés : en particulier, le rappel d’une étude publiée en 2014 dans Nature Neuroscience par une équipe d’Atlanta. En travaillant sur des souris exposées à la fois à un stimulus olfactif (odeur spécifique de fleurs de cerisier) et un stress (petit choc électrique), les chercheurs ont déclenché une sensibilisation accrue à cette odeur, une mémorisation sur le long terme et une augmentation du nombre de neurones exprimant des récepteurs olfactifs. Ils ont surtout mis en évidence, que cette mémoire de l’odeur alors associée à un danger était transmise aux générations suivantes. Il semblerait néanmoins que cette étude ait été controversée car non reproduite et portant sur un petit nombre d’individus.
Les études sur l’homme ?
Les effets de la famine sur une famille et sa descendance (sur une ou deux générations) font partie des paramètres qui ont été étudiés. Il s’avère que la fréquence de maladies cardiovasculaires/diabète et de décès par cancer était plus élevée.
Bref suite à des événements stressants (stress prénatal ou séparation maternelle en début de vie), le comportement peut être modifié sur le long terme (anxiété) et transmis à la descendance : un héritage transgénérationnel qu’il faut désormais prendre en considération notamment pour la mise au point de voies thérapeutiques potentielles. Néanmoins les invités de la table ronde soulignent que même si certaines idées se dessinent dans la façon de faire, il est encore trop tôt avant d’en arriver là parce que nous n’en sommes qu’aux balbutiements de cette discipline et de la compréhension des mécanismes en jeu : il reste encore beaucoup à découvrir.
En attendant, dans le doute, essayons de manger sain (encore faut il définir ce qui est sain de ce qui ne l’est pas, une autre problématique), d’avoir une vie moins stressante (même si on ne peut pas tout contrôler, on peut tenter à minima d’apprendre à contrôler ses émotions…)
Pour ceux qui souhaitent en savoir plus, la vidéo est ICI.
La suite dans un prochain billet.
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2 comments for “Dans les méandres de la recherche scientifique (#1 Le stress en mémoire)”