Une p’tite pinte de bière ?

Une petite bière ça vous dit ? Bon comme nous sommes là pour parler science, je vous propose une pinte de science (ou Pint of Science) ; oui mais pas n’importe quelle science : la science de la bière.

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Il faut d’abord qu’on évoque « Pint of Science », un événement national, que dis-je international où la science sort des laboratoires de savants fous (enfin ça c’est pour les clichés) et s’invite dans les bars, au plus près du public pour faire aimer la science, la vulgariser et surtout montrer qu’elle s’attaque à tous les sujets. La manifestation existe depuis 2012 (ça a démarré en Angleterre) et cette année en France, ce sont 20 villes qui participent du 23 au 25 mai (vous pouvez retrouver tous les détails ici).

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Cette année, pour la première fois, Lille a prévu des réjouissances (conquête de Mars, graphène, réseaux sociaux).

Et pour fêter cela, une soirée de la lancement a été organisée le 22 avril dernier. Son thème : la bière dans tous ses états : des chiffres, des anecdotes, de l’histoire et la science de la bière le tout concentré autour de trois interventions complémentaires et passionnantes. Je décrirai plus en détail celle qui m’a le plus marquée, la science et notamment la physico-chimie qui se cache derrière sa fabrication.

Des chiffres, de l’histoire, des anecdotes
C’est Virginie Di Grégorio qui ouvre la soirée. Elle a créé son entreprise « Bière et paroles » en mars 2015 afin de développer la « culture de la bière », accompagner les brasseurs industriels ou artisanaux, organiser des événements autour de la bière, conseiller, former à la biérologie et proposer des dégustations… Bref, elle  nous régale de détails passionnants et parfois insolites sur l’histoire de la bière (on remonte à l’Antiquité en Mésopotamie !), le rôle joué par les femmes, les liens bière et nutrition, les différents degrés d’alcool, l’économie brassicole, les indications normalisées pour décrire la couleur et l’amertume et tous les autres usages possibles des co-produits (ou bio-déchets) issus du procédé de fabrication de la bière .

Saviez-vous par exemple que les drêches étaient utilisés en boulangerie ? Les drêches constituent le résidu de filtration du malt et du grain d’orge : c’est la fraction solide avant l’étape de fermentation. Encore très riche en sucres et protéines (cellulose, lignine, polysaccharides bien qu’une bonne partie de es derniers ait été extraite pour la fermentation), les drêches sont utilisés pour l’alimentation animale, la culture de champignons et la fabrication du pain, pour certaines recettes artisanales (un sacré goût ajouté).

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Drêches d’orge – Crédit photo Jinx

La fabrication de la bière
Pour cette seconde partie, Messieurs Fertin et Krier de l’IUT A de l’Université de Lille (qui développe une option « Industries Alimentaires et Biologiques au département Génie Biologique ») nous ont transportés dans la science du procédé « Some science in a pint » : chimie, physique, matériaux, paramètres opératoires …

Les ingrédients
* Le malt
C’est à partir d’orge qu’on forme le malt. Mais qu’est-ce que c’est exactement ? Et pourquoi doit-on faire apparaître le malt pour fabriquer la bière ?
C’est simple : le malt, c’est de l’orge qu’on a fait germer puis sécher avec éventuellement une opération de torréfaction.

Pour pouvoir fabriquer de la bière, il faut que des levures mettent en oeuvre une fermentation alcoolique : transformer des sucres en alcool, c’est-à-dire casser des liaisons.

Or, dans les céréales, comme dans tous les végétaux, le sucre est sous la forme d’amidon mais c’est un polysaccharide, c’est-à-dire un sucre complexe composé d’unités glucose mises bout à bout. L’une des formes de l’amidon, c’est par exemple l’amylose (nous en avions parlé dans l’article sur les pâtes).

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Amylose : une des formes de l’amidon

Pour les levures, ces liaisons sont un peu compliquées à casser  : il faut leur donner un coup de main ! L’idée est de « profiter » du processus naturel du grain d’orge, qui en germant va fabriquer diverses enzymes dont l’amylase (que nous mêmes produisons aussi dans la salive -et le pancréas- pour pré-digérer le pain par exemple) capable de découper les liaisons de l’amidon, la ressource énergétique de la plante. Bref, en faisant germer la graine, de façon contrôlée (humidification et chaleur), on va favoriser le développement des amylases (forme α et β qui n’ont pas exactement le même mode d’action) pour aider au « pré-découpage » (ou l’hydrolyse) de l’amidon.

Bref, la germination déclenchée par une étape de trempage est ensuite stoppée net au bout de quelques jours ! Pour cela, les graines sont séchées par une ventilation à l’air chaud de durée variable et à différents niveaux de température : c’est ce qu’on appelle le touraillage.

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Germination de l’orge : crédit photo Y. Kohno —

Evidemment, selon les durées de séchage, les niveaux de température atteints et les réactions de torréfaction déclenchées ou non (voir les réactions de Maillard déjà abordées ici), on va jouer sur la couleur du malt, et la qualité de la future bière (couleur, goût, et degré d’alcool mais pas seulement). On obtient ainsi du malt très pâle (pour la bière blonde) jusqu’à du malt couleur chocolat pour la guiness en passant par le malt caramel (pour la bière ambrée).

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L’eau
C’est un constituant majeur et sa qualité est très importante notamment sa teneur en ions (qui peut entraver certaines étapes de la fabrication de la bière), son pH et la présence d’oligo-éléments.

Le houblon
Il s’agit d’une plante grimpante et seule l’inflorescence du pied femelle est utilisé pour la bière.

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fleur de houblon

On l’utilise sous forme de cônes séchés ou pellets. Différentes espèces offrent différents arômes et une amertume spécifique ainsi que d’autres propriétés (article dédié prévu plus tard).

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Fleurs de houblon séchées

Les levures

Deux types de ferments sont utilisés : Saccharomyces uvarum qui produit une fermentation basse à une température de 0°C à 4°C et Saccharomyces cerevisiae qui agit à une température plus élevée entre 15 et 20 °C.
Les deux levures ne sont pas identiques dans le sens où d’une part la formation des bulles de CO2 ne sa fait pas avec la même cinétique et d’autre part pour certaines levures, l’alcool qu’elles produisent gêne la réaction qui se trouve donc ralentie. Le déplacement des levures n’est pas non plus identique : elles restent généralement dans le fond de cuve mais certaines remontent avec les bulles si ces dernières sont suffisamment nombreuses.

Le procédé
Concassage et trempe des grains
La première étape consiste en une mouture du malt : son concassage permet de mieux récupérer l’amidon, les amylases : la finesse est fonction du produit final désiré.
La seconde étape est un empâtage : un mélange eau+malt favorise l’augmentation de la teneur en eau au niveau du grain ce qui assure une meilleure diffusion des enzymes.

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Saccharification
Deux paliers de température
sont alors appliqués pour l’activation des enzymes.
Le premier palier à 50°C dure 15 minutes : on s’attaque aux matières azotées (transformation des protéines) tandis que le second palier entre 63 et 75°C dure 1h30 ce qui permet aux enzymes d’agir et de faire apparaître les sucres plus simples et les dextrines.
L’α-amylase et β-amylase coupent des liaisons glycosidiques livrant un mélange de chaines courtes (1 à 3 glucose enchaînés) qui sont des sucres fermentescibles (glucose et maltose par exemple) et de chaînes de moyenne longueur : des dextrines (un polyoside = de l’amidon un peu coupé).
La proportion de ces deux types de molécules dépend du type d’amylase qui entre en action : on joue pour cela sur le niveau de température du 2e palier (et sa durée) et le pH. Cela va modifier le degré d’alcool (plus la teneur en sucre sera élevée, plus la bière sera alcoolisée) mais toute la difficulté consiste à trouver le bon équilibre (sucres  simples / dextrines) pour une bière ayant alcool et du corps.
La β-amylase fournit plus facilement des sucres simples (utilisables directement par les levures) tandis que l’α-amylase conduit aux dextrines .
NB : les bières « trappistes » sont riches en dextrines, les bières « pils » en sont pauvres.

L’étape suivante est une filtration : on sépare la fraction liquide riche en sucre (le moût) de la fraction solide (le maische à destination de l’alimentation animale).

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Cuisson
Vient ensuite une cuisson qui dure 1H30, permettant la stérilisation du moût, sa concentration. Des réactions de Maillard (acides aminés + sucres ==> composés aromatiques) s’y déroulent ainsi que la coagulation des protéines. C’est également à ce moment-là que le houblon est ajouté (en très faible quantité) : la température est favorable à l’extraction de la lupuline, principe actif du houblon. Celle-ci se transforme en produits qui s’isomérisent : l’amertume apparaît.

Une clarification est nécessaire pour éliminer les particules insolubles puis un refroidissement suit afin d’obtenir une température idéale pour le travail des levures.

La fermentation et la garde
Il s’agit de l’ensemencement des levures dans les cuves ; la température est un paramètre clé. Deux fermentations vont pouvoir se succéder. Dans une fermentation principale, on assiste à une phase aérobie avec production de CO2 et une phase anaérobie avec production d’alcool.
Une fermentation secondaire, encore appelé « garde » peut être menée entre 0 et 2 °C et peut durer entre quelques jours et quelques semaines. Elle permet de clarifier la bière, et de développer des goûts : les levures stressées se mettent à produire des molécules aromatiques (arômes fruités) et les molécules indésirables disparaissent.

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Conditionnement
La bière est généralement filtrée (sur membrane ou Kieselguhr), et une carbonatation est réalisée. Mais certaines bières ne sont pas filtrées : la levure y reste présente. Du sucre y est ajouté ce qui déclenche la formation de bulles (action des levures).

Focus sur le houblon
La 3e partie de l’exposé était présentée par Hans Bodart de l’association Houblons de France. Il s’agit d’une association dont le but est de partager des connaissances, de promouvoir la culture du houblon en construisant un référentiel des houblons du monde, de fédérer les houblonniers et brasseurs, retrouver des espèces disparues du sol français, développer le concept de terroir…

La présentation portait sur de multiples informations : les espèces de houblons, les usages autre que pour la bière (et la liste est longue), l’apport du houblon à la bière (cela va bien au-delà du développement de l’amertume), des composants actifs du houblon (lupuline mais pas que)… Bref passionnant !

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3 comments for “Une p’tite pinte de bière ?

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