Ah le bleu de la mer ! Ça fait toujours rêver !
Oui, sauf qu’en fait, quand on y regarde de plus près, la couleur de la mer est plutôt proche du vert notamment lorsqu’elle contient une bonne quantité de plancton et c’est tant mieux ! Observer la couleur de la mer c’est justement une des méthodes pour rendre compte de la richesse des océans car le vert est lié au contenu en chlorophylle, forcément synonyme de présence de phytoplancton. Nous en avions déjà parlé ici.
Il y a quand même quelques exceptions au tableau. J’ai découvert par exemple au fil des pages d’un superbe ouvrage (« Plancton : Aux origines du vivant » de Christian Sardet), cette magnifique créature tout de bleu vêtue et j’ai eu envie d’en savoir un peu plus.
Elle fait partie du plancton et dérive en surface des mers chaudes. Bon normal pour du plancton parce que j’ai découvert que le mot tire son étymologie du grec « π λ α γ κ τ ο ́ ς » qui signifie «errant, instable». Alors quelles particularités pour ce joli voilier ? Pourquoi ce bleu ?
Tout d’abord l’espèce porte le nom de Velelle (Velella velella) du latin « vélum – la voile » ce qui rend effectivement compte de la petite voile triangulaire et transparente qui émerge de la surface poussée par le vent. Parfois aussi, on l’appelle aussi « Barque de la Saint-Jean ». Cette voile est d’ailleurs disposée avec un angle de 45° par rapport à l’axe de la coque : attraper le vent le plus efficacement pour se balader sur toutes les mers du globe. En effet, cette espèce est cosmopolite, on la retrouve aussi bien en Méditerranée, que dans l’Atlantique, la Manche et mer du Nord, le Pacifique, les Caraïbes.
Le souci est que parfois les velelles échouent parfois sur les plages (dérivées par les vents et les courants) où elles offrent de jolis spectacles tout bleus ! Joli oui, mais quelque peu malodorant et surtout triste sort pour la bestiole ! Heureusement, les individus ont mis au point une stratégie de survie : ils n’ont pas tous la voile disposée dans le même sens, soit à gauche (+ 45°), soit à droite (-45 °) : ils assurent ainsi qu’en cas de vent de travers, seule une partie d’entre eux s’échoue.
De quel animal s’agit-il ?
Cousine de la méduse, cette espèce relève plutôt d’une colonie d’individus que d’un seul organisme. Plongeons pour découvrir la coque d’un magnifique bleu vif !
La coque est un flotteur à squelette de chitine rempli d’air (poussée d’Archimède oblige) sous laquelle s’agitent quelques tentacules (bleues aussi) assurant la pêche. Mais le plus fou là-dedans est qu’il ne s’agit pas d’un seul individu mais de colonies d’individus nommés zoïdes. Ce sont des polypes très bien organisés disposés sous le flotteur : un gros polype nourricier et des tas de polypes pêcheurs et reproducteurs ; tout ce joli monde s’affaire donc pour récupérer la nourriture (œufs de poissons, larves, copépodes, petits crustacés), et pour assurer défense et descendance.
Entrons dans les détails.
Le polype central est un gastrozoïde : il est muni d’une bouche.
Les polypes en périphérie munis de tentacules (des dactylo-zooïdes) capturent les proies avec un harpon et relarguent des substances urticantes : les proies sont alors vite acheminées vers le gastrozoïde.
Enfin, d’autres polypes assurent la reproduction asexuée (tout du moins dans une première étape) en produisant par bourgeonnement des centaines de minuscules méduses mâles ou femelles, de quelques millimètres. Ces dernières plongent alors dans les profondeurs des océans. Cette étape permet alors une production de larves par voie sexuée. En grossissant, elles redeviennent velelles et remontent à la surface et se remettent à flotter, dériver.
Un peu surprenant ces deux formes au sein d’un même animal ! En fait la velelle fait partie de l’embranchement des cnidaires (en référence aux cellules urticantes : les cnidocytes munies d’un vésicule rempli de venin) et de la classe des hydrozoaires : leur cycle de vie est caractérisé par deux phases différentes : le polype et la méduse.
Autant les polypes que les mini-méduses, sont couvertes d’algues symbiotiques (les zooxantelles comme pour les coraux). La symbiose consiste du côté des zooxantelles à récupérer un moyen de transport pour capter de façon idéale les rayons solaires et du côté de la velelle à profiter d’un apport nutritif supplémentaire.
Voici une petite vidéo (anglais) qui détaille certains de ces aspects.
Et la couleur bleue finalement ?
Elle s’explique par la présence d’une protéine pigment dans les tissus couvrant le flotteur et les tentacules : l’astaxanthine (famille des caroténoïdes).
Les molécules de la sorte (nombreuses liaisons conjuguées) possèdent des propriétés bien particulières : leur réaction par rapport à la lumière visible. Les électrons vont entrer en résonance avec certains photons.
Plus la chaîne de liaisons conjuguées est longue, plus la longueur d’onde absorbée est grande : l’énergie est plus basse et se décale de l’ultraviolet vers la lumière visible. Cela explique aussi les intéressantes propriétés anti-oxydantes de cette molécule (les électrons délocalisés sont donnés pour réduire et donc « neutraliser » une molécule oxydante)
Le pigment est présent en différentes quantités dans les différentes cellules, ce qui explique les variations de la densité de la couleur entre les différentes parties de la velelle.
Un des intérêts de la présence de cette molécule-pigment serait une protection contre une lumière excessive présente à la surface de la mer.
D’autres secrets ?
Il semble que ces individus possèdent le secret d’une forme d’immortalité car ils sont équipés de cellules totipotentes (cellules capables de se différencier pour reconstruire un tissu abîmé ou déficient). C’est d’ailleurs ainsi que les cellules cnidocytes sont reformées après avoir été utilisées pour attraper une proie.
Encore une charmante créature des mers, à la stratégie d’adaptation bien rodée (sinon on n’en parlerait pas), et qui aurait encore bien des secrets à nous livrer… notamment dans le cadre de la thérapie cellulaire.
Pour en savoir plus :
– http://www.iodde.org/post/Les-v%C3%A9lelles
– http://www.insu.cnrs.fr/environnement/ocean-littoral/quand-la-couleur-de-l-eau-reflete-la-richesse-des-oceans-la-campagne-oc
Références de publications :
Purcell J. et al., « Digestion and predation rates of zooplankton by the pleustonic hydrozoan Velella velella and widespread blooms in 2013 and 2014 », Journal of Plankton Research, Vol 37(5): 1056–1067, 2014
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