Comprendre le cancer du sein (partie I)

L’incidence mondiale du cancer du sein ne cesse d’augmenter, notamment dans les pays en cours de développement (Inde, Chine, pays d’Afrique). On explique généralement cette augmentation par différents facteurs (qui seront détaillés par la suite) :
– l’allongement de la durée de vie,
– la modification des pratiques obstétriques,
– la modification du style de vie.

Comme beaucoup de femmes, je me pose pas mal de questions  : cette maladie est très répandue, et malgré les nombreux progrès en matière de guérison, elle continue à faire peur surtout que des femmes de plus en plus jeunes sont touchées.
Je trouve qu’on a parfois du mal à s’y retrouver parmi les informations qu’on peut lire, entendre par différentes sources. Il arrive aussi qu’un terme un peu nébuleux apparaisse sans qu’on ose poser de question.
Bref, je relève le pari assez fou de faire un état des lieux vulgarisé des grandes lignes de ce qui est connu de cette pathologie : ses manifestations, ses causes, les facteurs aggravants et protecteurs. J’aimerais vraiment en comprendre un maximum : des termes « récalcitrants » comme le « carcinome infiltrant » ou « le cancer de type basal » ou encore les mutations des gènes BRCA1 et 2 (il y en a d’autres) jusqu’à l’influence des hormones ou l’effet protecteur possible de l’allaitement maternel (notamment dans quelles circonstances ? ) .

Dans la mesure où les risques de cancers du sein sont influencés par la génétique, l’histoire reproductive (hormones),  il est nécessaire, avant de plonger dans ce sujet, de rappeler quelques bases d’anatomie, de génétique et d’endocrinologie (pas de panique, tout le monde peut y arriver, à condition de ne pas se perdre dans les détails …).  C’est l’objet de cette première partie.

Partie I

Cellules, anatomie du sein, génétique, endocrinologie: que faut-il savoir ?

I- Qu’est ce qu’une cellule ?
I-1 Généralités
C’est l’unité de base structurelle d’un tissu vivant. Au sein d’un même tissu, on trouve généralement les mêmes types de cellules.

cellules
Source ICI

Pour faire simple, on peut dire qu’une cellule est une petite usine qui doit produire ou rendre un service, s’agrandir, se multiplier … Pour cela, elle a donc tout un tas d’ateliers à sa disposition. En particulier, un noyau (la tête pensante, là où sont stockées toutes sortes d’informations), des murs d’enceintes (le cytosquelette), une centrale énergétique (les mitochondries) permettant de récupérer l’énergie à partir du glucose, des ateliers de transformation des matières premières.

cellule_animale

La cellule : Organites abordées dans cet article : 2- Noyau 7- Cytosquelette 9-Mitochondries 12- Lysosome 14 : Membrane

I-2 Quelles informations dans le noyau de la cellule ?
Dans le noyau de nos cellules, il y a l’ADN (un raccourci fort utile pour désigner une très longue molécule appelée Acide désoxyribonucléique). Cette molécule est une double hélice (les deux brins) reliées par des liaisons comme une échelle vrillée et se présente sous la forme d’un long filament enchevêtré.

D’un point de vue chimique, l’ADN est composé de milliers de nucléotides (des plus petites molécules) mis bout à bout.
Qu’est-ce qu’un nucléotide finalement ? C’est un assemblage d’éléments chimiques contenant un groupe phosphateun sucre (d’où le nom « ribose » dans son appellation), et une molécule à base d’azote (on parle de base azotée)
Les nucléotides sont au nombre de 4 (car il y a 4 bases azotées différentes, dont les initiales sont C, T, A, G) et aiment se regrouper par paire (G avec C et T avec A). Les groupes phosphates et sucre correspondent globalement au squelette de l’ADN, car ils constituent les deux « montants » de l’échelle ADN. Les liaisons entre bases de chaque montant forment alors les barreaux de l’échelle. Notons que les liaisons peuvent se couper assez facilement : c’est important pour pouvoir par la suite « transcrire l’information » donnée par un gène.

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I-2.a Qu’est-ce qu’un gène ?
C’est la séquence, c’est-à-dire, la succession de ces 4 molécules de bases azotées différentes. Cette succession courte va permettre de « coder » une information (par exemple : « GTCA » (exemple de pure invention) correspond à un gène), c’est-à-dire de synthétiser une protéine qui aura une fonction bien précise dans l’organisme.

NB : Certains morceaux d’ADN ne sont pas prévus pour coder de protéine (mais ça, c’est une autre histoire).

Mais tous ces gènes codants, présents dans la longue molécule d’ADN, ne vont pas tous « s’exprimer ». Certains vont être éteints, et ne vont donc pas donner naissance à la protéine prévue au départ. Inutile en effet, d’exprimer les protéines qui permettent la fabrication de cellules rétiniennes, dans un autre organe que l’œil… Bref, un complexe mécanisme de régulation est actif dans chaque cellule.

I-2.b Qu’est-ce qui fait qu’un gène s’exprime ou pas ?

L’ADN est, comme on l’a dit, une molécule très longue (2 m) et doit « tenir » dans le noyau d’une cellule (quelques µm). Elle doit donc se replier fortement, se condenser afin de tenir moins de place. Le degré de compacité maximale apparaît sous la forme de chromosomes lors de la division cellulaire.

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Lorsque l’ADN est fortement compacté, la machinerie responsable de la transcription du gène pour la fabrication d’une protéine ne peut pas fonctionner : un gène trop compacté est en quelque sorte caché donc peu accessible.

Un état intermédiaire entre l’ADN délié et l’ADN très compacté (sous forme de chromosomes) est celui où l’ADN s’enroule -pour certaines portions- autour de protéines (appelées histones). L’ADN très condensé en ces endroits précis rend les gènes inaccessibles : ils seront « éteints ».
Un système de régulation complexe permet de condenser et décondenser ces portions d’ADN : ce système agit en réponse à certains signaux.

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ADN enroulé autour de protéines (en vert, appelées histones). © Spellcheck, domaine public

 

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I-2.c Les dérives possibles
Plusieurs types d’anomalies peuvent se produire sous l’effet de facteurs environnementaux ou internes (produits chimiques inhalés ou ingérés, rayonnements ionisants, alimentation, virus).
* La cassure de brins d’ADN

Sous l’effet de contraintes autour de l’ADN (présence de molécules oxydantes par exemple, produits chimiques ou rayonnements très énergétiques (soleil, rayons X, radioactivité), le squelette peut être cassé (cassure simple lorsqu’un seul brin est touché ou cassure double brin, beaucoup plus grave). Néanmoins, des mécanismes de réparation de l’ADN garantissent la stabilité du génome. Le problème survient lorsque les mécanismes de réparation sont eux aussi en défaut ou que la réparation se fait mal.

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* La mutation d’un gène
Une mutation est une modification d’un gène, par exemple le remplacement d’un nucléotide par un autre, ou carrément la suppression d’un nucléotide. Cela peut se produire lors d’une erreur de réplication ou d’une cause externe (environnement).  Si une protéine est codée, elle sera modifiée elle aussi, cela peut conduire (mais pas obligatoirement) à une modification de caractère chez l’organisme ou une fonctionnement altéré d’un organe.

* L’inactivation d’un gène par une molécule extérieure
Par le biais de l’alimentation, d’un médicament ou de l’inhalation de substances chimiques, il peut arriver que des molécules viennent s’accrocher directement à l’ADN ou aux histones (protéines sur lesquelles l’ADN est déjà enroulé par endroits)…ceci inactive un gène, qui ne codera pas de protéine (si cela était prévu). Ce nouveau caractère se transmettra à la descendance. C’est l’épigénétique : l’inactivation de certains gènes par l’environnement, caractère héréditaire.

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Maintenant que le fonctionnement d’une cellule est un peu éclairci, on peut passer aux spécificités des cellules mammaires.

II- Comment sont organisées les cellules mammaires ?

II-1 Généralités
Parmi les cellules mammaires, on trouve :
1- Des cellules qui fabriquent le lait ; elles sont regroupées dans des sortes de poches appelées alvéoles ; au centre de la poche, le lait s’accumule temporairement. Les alvéoles sont elles-mêmes regroupées en lobules comme des petites grappes.

2- Des cellules qui vont acheminer le lait jusqu’au mamelon pendant la lactation : ces cellules constituent le canal lactifère.

Ces deux structures sont faites de cellule dites épithéliales, car elles forment un épithélium, c’est-à-dire une sorte de revêtement de la poche ou du canal interne. Une des principales caractéristique des cellules épithéliales est qu’elles sont étroitement juxtaposées, solidaires, sans vaisseaux sanguins.

3- Des systèmes d’éjection du lait, qui jouent le rôle de pompes  ; on les appelle aussi les cellules myoépithéliales car ce sont des cellules musculaires (« myo ») qui se contractent mais sont également de nature épithéaliale (jointives comme un revêtement).

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II-2. Autre distinction des cellules épithéliales
NB : le vocabulaire est important pour la suite, car le nom de certains cancers, leur pronostic sont liées à l’anatomie.

Les cellules épithéliales de l’alvéole et des canaux sont en fait organisées en couches (on dit qu’elles sont stratifiées).
Il y a les cellules épithéliales « les plus internes » et le terme consacré est « luminales » qui forment la « lumière » (la cavité) autrement dit le contour interne de la poche, ou du canal.
Généralement des cellules épithéliales ne sont pas vascularisées et l’échange de nutriments et déchets se fait grâce aux cellules d’une interface (qui sert aussi de support) : qu’on appelle la lame basale.
Dans le cas des cellules mammaires, il y a en plus, une couche intermédiaire  appelée cellules basales (car en contact avec la lame basale) qui ne sont autres que les cellules myo-épithéliales (c’est-à-dire les pompes à lait).

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Alvéole et canal lactifère formés de cellules luminales (tournées vers l’intérieur ) et cellules myoépithéliales (en contact avec la membrane externe)

En résumé, on a donc :
– les cellules épithéliales (type revêtement) : celles qui tapissent la paroi interne des alvéoles (cellules luminales alvéolaires), ou la paroi interne des canaux (cellules luminales canalaires). Leur contact avec la membrane basale et l’extérieur est limité.
– les cellules myoépithéliales (qui se contractent) : elles forment la couche intermédiaire entre les cellules luminales et la lame basale ; elles sont donc en contact avec l’environnement extérieur. Les cellules de cette couche intermédiaire sont aussi appelées, cellules basales myoépythéliales.

II-3 Evolution des cellules mammaires au cours de la vie

II-3.a Les cellules souches
A sa naissance, une petite fille possède l’ensemble des éléments qui lui seront utiles pour produire le lait (lorsqu’elle deviendra maman). Les branches de l’arbre sont présentes, les alvéoles sont par contre à l’état de bourgeons. Aux différentes étapes de sa vie (puberté, grossesse et allaitement), l’arborescence va simplement se développer (se multiplier et grandir).

Que se passe-t-il exactement au niveau des cellules dont nous venons de parler ?

Tout part en fait de cellules souches : ce sont des cellules indifférenciées (non spécialisées donc)  présentes dans de nombreux tissus de notre corps, qui ont une grande capacité de renouvellement et qui permettent de créer des cellules particulières de chaque organe. Dans la mesure où la glande mammaire a la particularité d’évoluer fortement (en cas de grossesse) et d’involuer (après un sevrage), des cellules souches sont présentes dans les ébauches mammaires et même dans les tissus adultes. Cela a été démontré de façon convaincante par différentes équipes.

Que deviennent ces cellules souches ?
Lors de chaque cycle menstruel et bien sûr (surtout) lors d’une grossesse, elles évoluent en deux types de cellules : les cellules épithéliales (canaux et alvéoles) et les cellules myoépithéliales (les pompes).
Lorsque le programme d’évolution est mal écrit (car il a été endommagé par différentes causes), les cellules souches peuvent évoluer en tumeur (elles ont acquis la capacité de se multiplier sans frein) et ce, plusieurs fois (récidive).

II-3.b Qu’est-ce qui fait évoluer les cellules souches ?
C’est à ce moment, qu’on fait le lien entre cellules mammaires, œstrogènes, et génétique. Chouette alors.

Les œstrogènes, c’est en fait, une famille de molécules dont la plus connue, naturellement produite est  l’estradiol. Chimiquement parlant, les œstrogènes sont faits de 4 cycles de carbones rassemblés. Ce dernier détail a de l’importance, car plus tard, on parlera de testostérone, qui elle aussi est une molécule à 4 cycles de carbones juxtaposés (de ce fait, dans certains conditions, l’un pourra se transformer en l’autre).

Ce sont des hormones, c’est-à-dire des molécules telles des « signaux » générés à un endroit et passant dans le sang pour agir sur des cellules cibles. Les œstrogènes agissent sur les cibles situées au niveau des caractères féminins : utérus, seins mais aussi au niveau du cœur, des os, du foie et du cerveau.

Que font les œstrogènes ? Ils s’accrochent à toutes les cellules qui possèdent des récepteurs à œstrogènes (ER) : ces récepteurs, situés dans le noyau des cellules, sont des protéines qui se lient aux œstrogènes (grosso modo la bonne clé dans la bonne serrure).  Une fois le lien fait, l’une des voies d’action de cet ensemble complexe, est qu’il va s’accrocher sur l’ADN en des endroits bien précis -reconnus pour leur séquence- (appelé ERE « élément de réponse » aux œstrogènes). La conséquence est que le complexe E-RE va « allumer » certains gènes situés juste à côté : des protéines vont être synthétisées et influencer le comportement de la cellule.

oestrogen

Par exemple, une cellule souche va évoluer en cellule progénitrice (1ere descendance de la cellule souche), qui va donner à son tour une  « cellule luminale ».
Bref, grâce à l’action des œstrogènes sur certains gènes, les cellules souches donnent lieu à une prolifération de cellules, propres à construire une alvéole capable de produire du lait pour une éventuelle grossesse.

cellules_souches

Comme on peut le voir sur le dessin du bas de la figure précédente, il y a des cellules « en trop ». Un mécanisme de mort programmée (qui s’appelle « apoptose ») se met en place pour éliminer les cellules indésirables.

apoptose_luminal_cell

Toute cette belle machinerie fonctionne très bien… Mais parfois, au détour d’une transcription d’ADN, d’un gène défaillant ou abîmé, la prolifération n’est plus régulée…

Fin de la partie I

Rendez-vous ici pour la Partie II : qu’est-ce que le cancer ? Les différentes types de cancer du sein. De quoi dépendent-ils ?

Références utilisées
http://www.cancer.gov/cancertopics/understandingcancer/estrogenreceptors/AllPages
http://www.nature.com/nrc/index.html
Autour du génome humain: Argent, gloire et santé

>Le patrimoine génétique des cancers

B. Tiede et Y. Kang, « From milk to malignancy: the role of mammary stem cells in development, pregnancy and breast cancer », Cell Research (2011) 21: 245–257

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