De l’utilisation des résines et des ambres *

*où il est question des archets de violon et des dents de bébés.

Pine_Resin

Source ici

Qu’est-ce qu’une résine végétale ? Quelle est sa nature chimique ? A quoi sert-elle ? Comment la transforme-t-on et pour quels usages ? Quel est la rapport avec la pierre d’ambre dont on fait les bijoux ? Toute cette série d’interrogations se sont posées à moi à la suite de deux questions bien plus pragmatiques surgissant de domaines totalement opposés :
– pourquoi les violonistes frottent-ils leur archet sur de la résine avant de jouer ?
– sur quoi reposent les effets supposés des colliers d’ambre censés soulager les maux dentaires de nos tous-petits?

La résine végétale
Bon nombre de végétaux (conifères mais aussi certains rosiers) sécrètent une substance liquide plus ou moins visqueuse qui « transpire » vers la surface et qui a essentiellement pour fonction d’assurer la cicatrisation en cas de blessure ou de se protéger en cas d’attaques de parasites. Certaines études récentes ont montré que la résine permet aussi une protection contre les hautes températures et la dessèchement

Le terme consacré pour cette « transpiration » est l’exsudation.

resineSelon l’espèce végétale, l’âge de l’individu et les conditions dans lesquelles il se développe (climat, type de sol), différents liquides de nature chimique bien spécifique vont apparaître. Ceux-ci forment un ensemble composé des résines, gommes, latex…Nous ne nous intéressons ici qu’aux résines.

La résine se distingue de la sève, car elle ne participe pas à l’alimentation du végétal, ne se trouve pas dans les mêmes conduites et n’est pas l’objet des mêmes processus de circulation  :

– la résine se trouve généralement stockée (sans circulation) dans des canaux à résine (zones de stockage  bien spécifiques) entourés de cellules fabriquant la résine. Ces canaux sont situés soit à l’intérieur sous en surface du végétal.
– tandis que la sève qui apporte les nutriments, circule dans tout le végétal dans d’autres canaux (certains pour la sève brute et d’autres pour la sève élaborée).

   A l’intérieur des cellules des conifères, des gouttelettes d’huile essentielle sont présentes (on parle d’inclusions cytoplasmiques). Les résines sont alors formées par oxydation de plusieurs de ces huiles essentielles, et sont de nature chimique variable et complexe. Une fois au contact de l’air, la résine liquide qui a exsudé se met à durcir sous l’effet de deux phénomènes (le premier physique, le second chimique):
évaporation des substances volatiles
polymérisation de certaines unités de base (celles-ci s’accrochent les unes ou autres pour former une longue chaîne).
Ce durcissement permet de protéger une zone blessée.

Mais la formation de résines peut être également physiologique car elle a d’autres atouts que nous évoquerons ci-après.

Les grandes lignes de la composition chimique
Les molécules constituant les résines correspondent à des mélanges :
– d’isoprènes (molécule à 5 atomes de carbone) plus ou moins combinés  donnant diverses structures de la grande famille des terpènes.

– de composés phénoliques secondaires issus de la transformation des sucres produits lors de la photosynthèse.

La famille des terpènes correspond à la fusion de plusieurs molécules d’isoprène (C5H8 : la brique de base) mais les mécanismes réactionnels passent par d’autres précurseurs. On distingue par exemple :

* les monoterpènes composés de deux unités isoprènes fusionnées possèdent une structure acyclique, monocyclique, ou bicyclique). Il y en a plus de 900 connus; citons le géraniol, l’eucalyptol, le menthol, le camphre)

* les diterpènes sont des molécules (à 20 atomes de carbone) élaborées à partir  des unités isoprènes. Plus de 2700 diterpènes sont présents dans la nature. Citons l’acide abiétique ou la vitamine A..

* les triterpènes sont des molécules (à 30 atomes de carbone) de structure tétracyclique ou pentacyclique. Plus de 1700 triterpènes sont présents dans la nature. Citons le squalène (dans l’huile de foie de requin mais aussi les végétaux)

D’autres terpènes encore plus complexes et élaborés existent. Exemple : les tétraterpènes à 40 atomes de carbones (le carotène) ou les polyterpènes (caoutchouc naturel)

Terpene

Source ICI

Propriétés physico-chimiques

Les terpènes sont très odoriférants car bon nombre sont des mélanges de molécules volatiles.
Ils réagissent également avec la lumière : la résine ou l’ambre (voir plus loin) apparaissent plus ou moins foncées selon l’ensoleillement.
Notons que les terpènes ont montré un rôle certain dans la croissance et le développement des végétaux (lien et ici) mais interviennent également  dans des mécanismes de communication (appât pour les pollinisateurs) et de défense pour leur survie (voir cet article sur l’insoupçonnable intelligence des plantes, un autre ici « Les plantes ont-elles un cerveau »).

Evidemment, la proportion des différents constituants varie selon l’environnement du végétal et influe sur les propriétés physico-chimiques de la résine (fluidité et viscosité par exemple).

Les résines pour l’industrie

    Les résines possèdent certaines caractéristiques qui les rendent depuis fort longtemps, attrayantes pour l’industrie et les applications sont très diverses. Leur faculté à durcir lentement  en font de très bons vernis (technique connue depuis le 9e siècle).

Leur insolubilité dans l’eau en font un matériau très intéressant pour la préparation d’enduits d’étanchéité de navires ou de récipients en terre.

Une autre propriété intéressante des résines végétales est qu’elles sont solubles dans les alcalins et peuvent donner naissance aux savons (sels d’acides gras). Obtenus par réaction entre NaOH et les grosses molécules d’acide gras contenus dans certaines résines (ex : acide abiétique)

Elles sont également employées en médecine (usage externe et interne) de par leur effet antiseptique et antibactérien et font toujours l’objet de nombreuses recherches pour l’ensemble de leur effet pharmaceutique.

Bien sûr, les résines riches en composés volatiles aromatiques sont employées dans l’industrie des parfums.

Pour les violonistes
Attardons nous quelques instants sur une résine particulière, connue de tous : la térébenthine (aussi appelée la turpentine). Cette résine est produite par différentes espèces de pins (ex : le pin maritime). Lorsqu’on la distille (raffinage de la térébenthine), on récupère des fractions légères qu’on appelle « essence de térébenthine » utilisée comme solvant pour résines, vernis et peintures. Ces essences sont principalement constituées de monoterpènes (pinène α et β). En bas de la colonne de distillation, on récupère le résidu solide et cassant (la fraction lourde) qui porte le nom de colophane particulièrement prisée par les violonistes.

Ce résidu est un mélange de diterpènes de formule C20H30O2.
La colophane est en effet utilisée pour enduire les mèches des archets ce qui permet d’augmenter les frottements sur les cordes et de produire le son. Un archet neuf exempt de colophane ne produit absolument aucune note.
Voici une observation au microscope d’un crin d’archet. On y voit une superposition de petites écailles qui s’empilent comme les tuiles sur un toit. En frottant de la sorte l’archet glisse sur la corde sans frotter donc pas de son !

archet_microscope

Vue au microscope d’un crin d’archet Source_ICI

La colophane frottée sur les crins vient s’insérer entre les écailles qui, de ce fait, vont s’ouvrir et s’écarter, en augmentant les aspérités et donc le frottement sur les cordes.

Nouveaux développements de résines végétales
Le groupe français Roquette a développé une résine végtale à partir de ressources naturelles adpatée à la production de mousses injectables aux propriétés mécaniques intéressantes.

L’ambre est-elle une sorte de résine?
Oui et non …

ambre

Source http://fr.wikipedia.org/wiki/Ambre

Après la mort des végétaux et animaux, la matière organique se décompose lentement (voir un précédent article sur la décomposition après la mort). Cependant, dans certaines conditions (forte température, pression élevée, absence d’oxygène) et sous réserve que ce processus dure suffisamment longtemps (plusieurs millions d’années), il y a fossilisation. C’est également le cas pour la résine, lorsque elle se trouve emprisonnée dans des couches sédimentaires.

Durant ce processus, les monomères de base « l’isoprène » se polymérisent (i.e. s’attachent ensemble, se regroupent et se réorganisent de façon plus compacte par suite de réactions (dont des cyclisations impliquant les doubles liaisons situées en bout de chaîne). Tout ceci (qui n’est pas encore parfaitement élucidé) se traduit par une forte solidification de l’ensemble : c’est la naissance de l’ambre.
Celle-ci est composée d’acide succinique (l’ambre porte d’ailleurs également le nom de succin) mais également d’autres molécules bien plus complexes (polymérisation oblige).

succinique

Acide succinique

Les colliers d’ambre contre les maux dentaires chez le tout-petit.

Une sorte de mythe règne autour de cette jolie pierre d’ambre. On lui confère depuis longtemps des vertus thérapeutiques, simplement par contact.
L’un des domaines les plus en vogue à l’heure actuelle est le collier d’ambre pour soulager les maux dentaires chez les enfants. Quelques exemples de ce qu’on peut lire sur ces fameux pouvoirs : « L’ambre, un trésor anti-douleur. (…) pour soulager les douleurs dues aux déformations dégénératives des articulations, aux œdèmes, aux inflammations chroniques et aux rhumatismes. » Les articles pseudo-scientifiques évoquent l’absorption de l’énergie négative, un effet lié au magnétisme.

dent_lait
Sur quoi reposent ces croyances ?
Peut-être est-ce la découverte de la triboélectricité par les Grecs anciens lorsqu’ils frottaient l’ambre (alors appelée « Elektron ») contre une étoffe qui a fait naître cet émerveillement ? Ou encore les propriétés optiques du matériau (changement de couleur selon la luminosité)?
La seule base éventuelle d’un effet pourrait être de supposer qu’au contact de la chaleur de la peau, des vapeurs d »huiles essentielles de la résine d’origine pourraient être relarguées et avoir un effet apaisant… L’argument est effectivement avancé en ce qui concerne l’acide succinique (présent aussi dans le vin).
Cette hypothèse a-t-elle été validée par diverses études ?
Il semble qu’aucune étude ne vienne corroborer le fait que l’acide succinique possède des effets thérapeutiques.
Une thèse médicale s’est penchée sur la question des remèdes liés aux poussées dentaires (lien)  « médecine populaire des poussées dentaires » mais l’auteure ne s’est pas attachée à vérifier si quelque étude sérieuse venait valider les faits relatifs aux colliers d’ambre. Notons que certaines dispositions ont  été prises interdisant toute publicité de ce type (voir ICI) précisant qu’aucune preuve suffisante n’avait été apportée.
Les pédiatres mettent eux aussi en garde contre ces croyances très ancrées (lien) et rappellent que les interprétations d’expérience personnelles ne constituent en rien une preuve d’efficacité. Seuls des essais scientifiques menés dans des conditions qui éliminent le maximum de biais peuvent permettre de conclure s’il y a un effet supérieur au placébo. Pour l’instant, la littérature ne fournit pas ce type d’études. Et l’étiquette « naturelle » n’est en rien un gage d’innocuité et de sécurité !

Enfin, pour terminer, les risques de strangulation ne sont pas nuls, comme avec tout collier et sont donc jusqu’à preuve du contraire supérieurs aux bénéfices.

Deux très bonnes analyses réalisées ICI et (anglais)

POur en savoir plus

http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9sine_(v%C3%A9g%C3%A9tale)

http://www.universalis.fr/encyclopedie/resines-naturelles/

http://www.futura-sciences.com/magazines/nature/infos/dossiers/d/botanique-tout-savoir-coniferes-774/page/7/#page-50001307-2
http://fr.wikipedia.org/wiki/Colophane

http://cello-brained.blogspot.de/2011/09/trip-to-my-favorite-violin-shop-part-1.html

http://fr.wikipedia.org/wiki/Terp%C3%A8ne

http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/50/09/80/PDF/These-malecky.pdf

http://scd-theses.u-strasbg.fr/1583/01/Th%C3%A8se_Pauline_Burger.pdf

https://en.wikipedia.org/wiki/Turpentine

http://www.linternaute.com/science/biologie/comment/06/fossilisation/fossilisation.shtml

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000785514&dateTexte=

http://bioplastic-innovation.com/2013/03/20/la-nouvelle-resine-vegetale-gaialene-pour-le-moussage/

http://www.advbe.com/docs/Sinal2013-LeonMENTINK-Roquette.pdf

http://sigmaxi.org/4Lane/ForeignPDF/2007-03Santiago-Blay_French.pdf

Article de K.B. Anderson « The nature and fate of natural resins in the geosphere, Geochem. TRans, 2001,3

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