Notre capacité à produire de l’électricité a prolongé les activités humaines au-delà du coucher du Soleil. L’un des derniers numéros de Science met en avant les effets néfastes de nos lumières artificielles, en d’autres termes : la pollution lumineuse.
De nombreuses espèces voire des écosystèmes entiers sont perturbés à la fois par les lumières de proximité, mais aussi par celles qui sont plus lointaines ainsi que par la brillance du ciel, un phénomène qu’on observe sur toute la Terre ou presque et qui n’a cessé de s’amplifier avec le temps.
Les études s’intéressent de plus en plus aux effets sur des groupes d’espèces et sur les relations avec leur milieu mais on est encore loin d’avoir fait le tour de la question.
Effets sur les oiseaux.
L’impact principal concerne la migration. En effet, bon nombre d’oiseaux se déplacent la nuit et attirés par différents points lumineux, ils se détournent de leur route migratoire souvent proche des zones urbaines. Ils risquent aussi de s’épuiser ou de se heurter à des obstacles !
Pour d’autres espèces, la lumière est tout simplement perturbante pour leurs activités diurnes : c’est en journée qu’ils chantent, élèvent leurs petits ou se mettent en quête de nourriture; la lumière de nuit désorganisent tout cela, leur perception de la durée du jour est modifiée.
Effet sur les mammifères
Les chauve-souris, animaux nocturnes par excellence, sont très sensibles à la lumière. Elles sont particulièrement vulnérables car elles se déplacent en se repérant à des éléments de paysage linéaires tels que des haies, ruisseaux… Or, la présence de lumière fait obstacle et fragmente leurs repères.
Leur sortie nocturne est retardée et la lumière artificielle peut aussi les conduire à abandonner leur refuge ; dans tous les cas, cela menace les populations car des activités clés sont réduites (nourrissage, reproduction).
Les amphibiens
Plusieurs espèces d’amphibiens ont été étudiés : les crapauds sont perturbés par exemple. Les études ont montré que la lumière artificielle réduisait leurs activités, leur niveau énergie et diminuait la croissance des juvéniles !
Et si on regardait sur l’ensemble des espèces en lien avec les milieux de vie ? En quoi la lumière artificielle est-elle différente des signaux lumineux naturels ?
Effets de la lumière artificielle sur les écosystèmes
Avant le développement urbain tel que nous le connaissons, c‘est la Lune qui dominait la nuit. Désormais, avec la lumière artificielle, beaucoup de paramètres sont modifiés :
– l’intensité : elle est beaucoup plus forte que celle de la Lune,
– la composition des couleurs : la lumière artificielle est prédominée par le bleu, couleur plus froide que celle de la Lune,
– la prédominance spatiale et temporelle : la luminosité de notre satellite naturel est variable durant la nuit, influencée aussi par ses propres phases et par la météo.
La façon dont la lumière est diffusée est fonction du type de milieu et de la topographie du sol. Pour les milieux terrestres, distinguons les zones denses en arbres des zones de plaines.
Les milieux forestiers sont toujours assez sombres étant donné que les arbres empêchent une bonne fraction de la lumière d’arriver au sol.
Les environnements ouverts sont plus préoccupants : la lumière est diffusée par tous les éléments qui les composent tels que les arbres, arbustes, herbes hautes, bâtiments. En conditions naturelles, plusieurs espèces peuvent se partager le même habitat sur un cycle de 24h, en étant actives à différents moments.
La modification des conditions de lumière a un impact au sein d’une espèce (rythmes hormonaux affectés, altération de l’expression des gènes circadiens, activités déphasées). Chez les oiseaux, ce sera par exemple un chant lancé plus tôt le matin et une activité plus longue sur 24h. Chez certaines espèces nocturnes, leur activité va diminuer (cas de certaines chauve-souris).
L’impact peut aussi jouer sur les interactions entre individus et les chaînes alimentaires, dans un sens ou dans un autre : les chouettes peuvent élargir leur zone de chasse, les chauves souris peuvent chasser sous les réverbères (attracteurs d’insectes) mais elles s’exposent ainsi un peu trop.
Les milieux aquatiques sont aussi fortement affectés : d’une part, la lumière artificielle est réfléchie sur les surfaces et d’autre part, les particules dissoutes et les matières en suspension absorbent et diffusent la lumière : la nature et l’intensité de la lumière reçue par les espèces sont modifiés ce qui peut perturber leur comportement (migration, alimentation, déplacement en banc).
Un exemple est celui du zooplancton qui représente l’écrasante majorité des organismes présents dans les mers : ils représentent l’un des premiers maillons des chaînes alimentaires. Leur activité est liée à la différence de luminosité entre le jour et la nuit qui déclenche leur mouvement vertical vers la surface lorsqu’il fait plus sombre, afin d’y consommer le phytoplancton.
Avec plus de lumière de nuit, les déplacements vers la ressource nutritive sont moindres. Les chaines alimentaires pourraient même être perturbées.
Quelles stratégies pour atténuer tous ces effets ?
La pollution lumineuse est délétère pour toutes les raisons évoquées précédemment. Or, elle ne fait que croitre chaque année dans le monde. Un certain nombre de pays ont cherché à limiter ses effets et une convention de conservation des espèces d’animaux sauvages migratoires a vu le jour. Mais les différentes pistes ne sont pas entièrement satisfaisantes : efficaces pour certains espèces, très peu pour d’autres. Quelles sont les mesures de protection et pourquoi leur efficacité est-elle discutée ?
Les techniques utilisées pour limiter les effets néfastes de l’éclairage passent par la modification des luminaires pour empêcher la diffusion de la lumière dans toutes les directions ou diminuer l’intensité lumineuse, la limitation de la durée d’allumage, une modification des couleurs ou encore un éclairage intelligent !
Migratory birds temporarily stuck in the World Trade Center Memorial Lights
Tout en bas de l’échelle de l’efficacité, nous trouvons la coupure de l’éclairage au-delà d’une certaine heure. Il s’avère que c’est justement au début de la nuit (donc avant la coupure) que l’activité de la faune est la plus intense. Ce qui semble efficace par contre, c’est l’éclairage adapté et intermittent des routes intégrant des modifications temporelles au niveau des routes migratoires des oiseaux. L' »hommage lumineux » aux tours jumelles « Tribute in Light » mis en place quelques mois après les attentats du 11 septembre 2001 ont produit de fortes perturbations sur les oiseaux en pleine migration. Il a été décidé d’éteindre les feux sur de courtes durées mais cela a suffi et a permis de résoudre le problème.
Baisser l’intensité lumineuse des éclairages publics semble être une bonne idée. Cependant, bon nombre d’espèces sont très sensibles car adaptées aux milieux nocturnes ! Donc, jusqu’à quel niveau diminuer l’intensité pour prévenir les effets néfastes ? Pas facile de répondre à cette question, car les seuils ne sont pas vraiment connus et peuvent varier selon la structure de l’habitat et la durée d’exposition. L’idée est donc de limiter l’intensité en se calant à celle de la Lune.
Le passage aux LED est une option largement répandue. Ce n’est pourtant pas aussi simple car les LED produisent une lumière avec une forte composante dans le bleu (la plus efficace pour éclairer). Malheureusement, c’est cette couleur qui perturbe le plus les espèces animales ! L’utilisation de diodes dont la composante bleue peut être réduite est recommandée
En un mot, beaucoup de pistes sont encore en cours d’exploration et devraient permettre de minimiser efficacement les effets de la lumière artificielle sur l’environnement. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la Trame Noire.
Référence :
A.Jägerbrand, K. Spoelstra, « Effects of anthropogenic light on species and ecosystems », Science, Vol 380, Issue 6650 pp. 1125-1130, 2023 Juin, DOI: 10.1126/science.adg3173